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Jacques Dinan : « Les plans de logement sont inaccessibles aux plus pauvres »
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Jacques Dinan : « Les plans de logement sont inaccessibles aux plus pauvres »

Lutter contre la pauvreté et l’exclusion est un combat aux multiples facettes. La création d’un ministère, d’un centre d’études sur la pauvreté relève partiellement le défi posé. Jacques Dinan, président de Caritas, organisation non gouvernementale impliquée dans cette lutte, partage ses idées sur l’indigence et sur l’enjeu fondamental du logement.
Comment évaluez-vous la problématique actuelle du logement, à la suite notamment du cas des squatters de Dubreuil ?
C’est une situation très complexe qui est la conséquence de nombreux paramètres : Maurice compte environ 1,28 million de personnes annuellement, il y a 10 000 mariages, plus de 15 000 naissances et 9 000 décès. Il n’est donc pas étonnant de constater que la demande pour des logements croisse très rapidement. Les chiffres du Bureau central des statistiques confirment cette rapide évolution : le recensement de l’an 2000 dénombre 296 300 foyers au sein de notre République, avec une projection de 360 700 foyers en 2010 et 416 000 en 2020. Ainsi, il faudrait pouvoir loger quelque 10 000 nouveaux foyers annuellement. Hélas ! Nous sommes très loin du compte, même si le gouvernement, conscient de la situation, promet la construction de milliers de logements sociaux.
L’enjeu est donc de casser le cercle vicieux de la pauvreté qui prive du droit au logement, et des logements trop chers qui ne sont pas accessibles aux plus pauvres…
Il est évident que les familles les plus pauvres sont les plus affectées par la problématique du logement. Pour ceux qui ne reçoivent qu’un faible salaire, il est impensable de pouvoir emprunter pour s’acheter un logement et ensuite de rembourser. On a beau dire qu’il existe des plans logement mais ces plans ne sont pas accessibles aux familles qui en ont le plus besoin. Il faudrait mettre en place des plans qui soient à la portée des familles les plus démunies, car le droit au logement est primordial et l’accès à un logement décent est le point de départ d’une meilleure qualité de vie pour des personnes qui vivent dans des conditions inhumaines.
La création d’un centre de recherches sur la pauvreté est-elle de bon augure pour régler le problème ?
Il est certainement utile de faire des recherches afin de recueillir le maximum de données et agir en conséquence. En effet, la question de la pauvreté doit être étudiée aussi bien de manière globale que sur le plan individuel. Il faut une approche holistique qui tienne compte de tous les facteurs à tous les niveaux. Il est souvent question à Maurice de poches de pauvreté. Quelles en sont les causes par rapport aux groupes ? Quelles en sont les causes pour chaque famille, pour chaque personne ? Quel est le profil de chacun ? Quel est leur potentiel ? Comment aider les uns et les autres à se réhabiliter ? Comment y arriver en veillant strictement au respect humain ?
Faire de la recherche dans le domaine de la pauvreté est particulièrement délicat car il s’agit d’un domaine où les chercheurs sont confrontés à des situations humaines difficiles. Il va sans dire que l’approche doit être très prudente. L’accent doit être mis sur l’attitude appropriée des chercheurs afin qu’ils sachent faire preuve de délicatesse, de discrétion, de savoir-faire et de psychologie.
Mais ce n’est pas suffisant…
Permettez-moi de rappeler la création fi n 2009 d’un Observatoire sur la pauvreté, basé au sein du Mauritius Research Council et bénéficiant du soutien financier du Programme de coopération décentralisée de l’Union européenne. Il a été aussi question ces jours-ci d’une étude très poussée sur la pauvreté entreprise par la National Empowerment Foundation et qui serait bientôt rendue publique. N’y aurait-il pas des risques de duplication ? N’y aurait-il pas subitement trop de recherche et d’étude, et donc de rapports ! Les rapports, c’est bien. Ce qui importe surtout, c’est la mise en oeuvre des recommandations faites, et dans les plus brefs délais !
N’aurait-il pas fallu surtout aller dans le sens de la professionnalisation des métiers de la solidarité et de l’aide sociale d’autant que le ministère des Finances a compilé depuis 2006 des chiffres révélateurs de l’ampleur de la pauvreté ?
Sans doute ! Mais en plus de la préparation professionnelle, il est nécessaire pour ces personnes d’avoir aussi et surtout une «formation du coeur», comme le souligne le pape Benoît XVI dans son encyclique Deus Caritas Est. Le vrai travailleur social n’exerce pas un métier. Il le fait par vocation mais de manière professionnelle. Il ne lui suffi t pas d’avoir des compétences académiques, il doit aussi avoir une attitude qui inspire la confiance, qui motive, qui démontre un profond respect pour toute personne humaine.
Le ministre de l’Intégration sociale et de l’Economic Empowerment, Xavier-Luc Duval, annonce vouloir construire 10 000 logements sociaux. L’annonce ne dit pas quelle forme ils prendront. A quoi devraient correspondre des logements sociaux pour qu’en plus d’avoir un toit les familles bénéficiaires souffrent moins de la marginalisation ?
Le logement décent est un point de départ. L’objectif doit être la réhabilitation sociale des familles afin qu’elles soient pleinement intégrées au sein de la société. Pour y arriver, il convient d’accompagner les familles, tout en leur accordant la possibilité d’être parties prenantes de leur propre avenir. Elles doivent prendre conscience de leur rôle en tant que parents au sein de la société. Elles doivent pouvoir discuter des questions ayant trait à l’éducation, à l’environnement, à l’emploi, à l’entrepreneuriat, entre autres.
A Caritas, nous insistons sur le développement intégral et intégré de la personne humaine afin que ces familles démunies puissent sortir du cycle infernal de la pauvreté. C’est ainsi que nous avons mis au point des centres d’éveil pour les enfants des familles démunies, des programmes de formation en alphabétisation fonctionnelle et en Life Skills Management, ainsi que des projets visant à encourager et à former des personnes sans emploi afin qu’elles puissent développer des activités génératrices de revenus.
L’objectif est de faire en sorte que le pauvre ne soit plus dépendant de la société mais que la société puisse bénéficier de son concours, de ses compétences, de son savoir-faire. Le pauvre doit apprendre à devenir acteur de son propre développement.
Avez-vous noté une augmentation des «travailleurs pauvres», catégorie de la classe moyenne souffrant du coût de la vie ou de l’endettement ?
Il est un fait que la société de consommation pousse au surendettement. La publicité omniprésente cible souvent ceux que vous appelez «les travailleurs pauvres». Il est facile à Maurice de vivre au-dessus de ses moyens, du moins pour quelque temps jusqu’au jour où l’endettement devient ingérable et mène à la catastrophe.
Soulignons en particulier ici les effets du jeu. Aujourd’hui, il est possible de jouer à tous les coins de rue. Nombreux sont ceux qui rêvent de devenir multimillionnaires. Se rendent-ils seulement compte que pour chaque multimillionnaire, il y a des centaines de milliers de perdants ? Il serait nécessaire de mettre en place des campagnes nationales d’information et de formation sur la bonne gestion du budget familial. Chacun pourrait prendre conscience des dépenses essentielles, des dépenses optionnelles et des dépenses inutiles. Les uns et les autres seraient encouragés à dépenser selon leurs moyens et en toute connaissance de cause.
La lutte contre la pauvreté était déjà à l’agenda de l’ancien gouvernement. L’impression est qu’on piétine. Qu’en pensez-vous ?
La lutte contre la pauvreté requiert la participation concertée de tous les acteurs : gouvernement, secteur privé, organisations non gouvernementales.
Le moment est propice pour une telle collaboration. La création récente d’un ministère de l’Intégration sociale et de l’Economic Empowerment est de bon augure. Il est souhaitable que nous sachions travailler en synergie avec pour objectif primordial de faire en sorte que le cycle de pauvreté soit brisé et que des familles démunies ne soient plus les oubliés du développement.
Interview réalisée par Gilles RIBOUËT. Photos : Naden Chetty.
(Source : l’express iD – mardi 17 août 2010)
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