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Jane Ragoo, présidente de la confédération des travailleurs du secteur privé (CTSP) :

1 septembre 2012, 04:47

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«L’unité syndicale compromise par l’orgueil de Subron et Chuttoo»

Quatre ans que les syndicats luttent pour l’amendement à la loi du travail… Mais face aux lobbies du patronat, ils n’arrivent pas à se faire entendre. Jane Ragoo explique que la faiblesse de leur action est due, en partie, à un problème d’orgueil entre deux figures de proue de la classe syndicale : Reeaz Chuttoo et Ashok Subron.

? Deux manifestations syndicales sont prévues ce week-end : celle de la CTSP, à Rose-Hill aujourd’hui, et celle du «Joint Negotiating Panel» (JNP), demain à Port-Louis. Vu la difficulté de mobiliser les gens, n’est-ce pas se tirer une balle dans les pieds que de se disperser ainsi ?

Vous avez parfaitement raison. Mais le problème est que dans une cuisine, on ne peut pas avoir deux cuisiniers. Il y a des syndicalistes très orgueilleux et qui veulent être le seul maître à bord.

? Etes-vous en train de parler d’Ashok Subron ?

Je suis en train de parler de deux personnes. Soyons honnêtes, à part Jack Bizlall, il y a deux excellents syndicalistes à Maurice : Reeaz Chuttoo et Ashok Subron.

Tout le monde sait que si ces deux-là mettent leur énergie et leur conviction en commun, ils peuvent faire bouger les choses.

Mais l’unité syndicale est compromise par l’orgueil de ces deux hommes.

? Vous reconnaissez le problème, mais que faites-vous pour le régler ?

Il faut bien comprendre le contexte.

Quand Mohamed fait son annonce à la veille du 1er Mai, Jack Bizlall nous réunit et nous dit que l’heure est grave et qu’il faut travailler ensemble. A partir de là, nous organisons une première réunion, puis une

deuxième et une troisième. La Confédération syndicale de gauche (CSG), qui regroupe la GeneralWorkers Federation, la Federation of Progressive Unions – et dont les représentants sont Ashok Subron et Atma Shanto – ne participe pas à ces réunions. La seule composante de la CSG qui vient aux réunions est le Front des travailleurs unis. Reeaz Chuttoo a donc pris l’engagement récemment, devant une assemblée, d’appeler Ashok Subron et Atma Shanto pour leur dire qu’il est temps de mettre notre orgueil de côté, de penser à la classe des travailleurs d’abord et de mettre nos efforts en commun pour pouvoir forcer le changement à la loi du travail. Atma Shanto a dit qu’il était d’accord et qu’il viendrait à la prochaine réunion, mais il n’est pas venu.

Reeaz a appelé Ashok deux ou trois fois – c’était il y a un mois. Ashok a dit qu’il était bloqué et qu’il allait reprendre contact, mais on n’a plus entendu parler de lui depuis.

? Qu’en est-il de la date des deux manifestations ?

Au début du mois d’août, nous avons pris la décision d’organiser une manifestation et nous avons arrêté la date du 1er septembre (NdlR : aujourd’hui). Nous avons informé tout le monde de cette décision – Ashok Subron inclus. Et puis, nous avons appris, il y a deux semaines, que le JNP a décidé d’organiser leur manifestation le lendemain, soit le 2 septembre !

? Ce serait fait exprès ?

Oui, je le pense. Et j’estime que ce n’est pas bien de la part du camarade Ashok de nous faire cela. Ashok est une personne que j’apprécie beaucoup parce qu’il travaille avec son coeur, il oeuvre dur pour les travailleurs – tout comme nous – mais ce n’est pas bien de nous faire cela. Nous voulons tous changer cette loi, mais l’orgueil des hommes est en train de mettre des bâtons dans les roues des travailleurs. Je crois vraiment qu’il faudrait mettre un peu plus de femmes à la tête des fédérations syndicales !

? Mais nous avons une femme à la tête d’une fédération – vous, en l’occurrence. Avez-vous tenté d’intervenir ?

Non, parce que je sais que Reeaz Chuttoo a pris l’engagement de faire le premier pas. Je ne peux rien faire, car ce n’est pas moi le problème, mais deux hommes – Ashok et Reeaz. Et ils doivent pouvoir accorder leurs violons. Je sais que camarade Reeaz a fait le premier pas, je crois que c’est maintenant au tour d’Ashok de faire un pas.

? Sinon, on pourrait conclure que l’orgueil est plus important que la cause.

(Sourire triste…) Tout à fait et c’est terrible. Mais la balle est dans le camp d’Ashok. Il disait l’autre jour que l’unité se fait à la base. Chez nous aussi, l’unité se fait à la base. Cependant, il faut un leader, un guide. Les leaders peuvent servir à unifier tous les travailleurs.

? Mais ce que je ne m’explique pas, c’est que vous ne réalisez pas que cette désolidarisation entre syndicats sert aux patrons et que si vous étiez ensemble, peut-être que la loi du travail – qui est le thème de votre manifestation – aurait déjà été amendée.

Nous le savons. Nous disons toujours que «zis dan linite ek solidarite tou travayer ki nou pou kapav fer respekte nou drwa».

? Pensez-vous vraiment qu’en dépit de tous les lobbies du patron, vous pourrez vraiment amener un changement dans les lois du travail ?

Si tous les travailleurs sont ensemble, oui. Si on est uni, on pourra avoir cette même victoire qu’ils ont eue dans l’industrie sucrière. Car la seule arme du travailleur est la manifestation. Nous avons aussi compris que le ministre du Travail n’a aucun pouvoir, que cinq ministres bien placés au gouvernement sont en train de faire un lobby très fort pour ne pas changer la loi du travail. Il y a un comité ministériel chargé de se pencher sur cette loi. Mais il semble qu’il y ait tellement de pression du patronat et que des ministres sont tellement proches de certaines compagnies qu’il ne serait pas dans leurs intérêts que la loi change en faveur du travailleur. Et, c’est pour cela qu’il faut se mobiliser car c’est seulement la masse qui peut faire fléchir le gouvernement.

J’espère que camarade Ashok va réaliser qu’il faut que l’on marche ensemble.

Peut-être que vous avez raison et que nous n’avons pas pu faire bouger les choses jusqu’ici à cause d’un manque de solidarité.

? Revenons à la décision de Mohamed de permettre des accords collectifs sans passer par les syndicats. Qu’est-ce qui pourrait expliquer cela ?

Clency Appavoo, président de la Mauritius Employers’ Federation, a déclaré le jour de sa prise de fonction, que la loi du travail devrait être amendée pour que les patrons puissent faire des accords collectifs directement avec un groupe de travailleurs, sans avoir à passer par des syndicats. Il semble que le ministre défende les intérêts du patronat.

Et vous savez quelle est la meilleure preuve de cela ? Alors que le JNP décide de ne pas respecter la décision du tribunal de l’Emploi pendant le litige dans l’industrie sucrière, on voit, à la télé, le gouvernement et le patronat en train de demander de respecter la loi du travail. Généralement, des lois du travail protègent les travailleurs et ce sont eux qui demandent aux patrons de respecter la loi. Mais, ici, la loi du travail protège le patron et écrase le travailleur.

? L’image du ministre et du patron se présentant ensemble à la télévision résume bien pourquoi vous n’arrivez pas à faire changer la loi du travail, non ?

Exactement. Et nous, nous n’avons même pas accès à la télévision. La MBC refuse de couvrir nos activités «pour la stabilité » du pays car ils estiment que nous sommes en train de faire du désordre. Ils ne réalisent pas que le «travayer pa kouyon». C’est pour cela que je lance un appel au Premier ministre : ses ministres et ses conseillers font face à de forts lobbies du patronat. Il faut qu’il arrête de les écouter. On lui demande de nommer un comité bipartite, de nommer ses ministres, de nommer les syndicats, de nous laisser discuter des lois.

? Des discussions encore ?

Peut-être qu’ils ne réalisent pas l’impact qu’a cette loi sur les travailleurs. C’est quelque chose auquel les politiciens n’ont tendance à s’intéresser qu’à l’époque des élections. Le Premier ministre devrait réaliser que ce qui est en train de se passer est très grave : depuis le 2 février 2009, un patron ne doit plus justifier le licenciement d’un employé devant le Termination of Contract Service Board, le préavis de trois mois pour licencier le travailleur a été ramené à un mois, les gens sont employés sur contrat et n’ont donc aucune sécurité d’emploi.

En sus de cela, le ministre donne aux travailleurs une claque à la veille de la Fête du travail. Il dit que seuls 20 % des travailleurs sont syndiqués. Pourquoi ne vient-il pas dire que la situation est telle à cause de la répression des patrons, à cause des menaces du patron et à cause de la peur des travailleurs à l’effet que le fait qu’il soit syndiqué va jouer  contre lui et peut lui faire
perdre son emploi ?

Propos recueillis par Deepa BHOOKHUN

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