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Jean-Claude Augustave : «Nos compétences validées que dans notre engagement citoyen»
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Jean-Claude Augustave : «Nos compétences validées que dans notre engagement citoyen»

Sociologue et directeur du Centre Etoile d’Espérance, Jean-Claude Augustave estime que nous avons un «système d’éducation ancré dans l’injustice».
Alors qu’ailleurs on parle de validation de compétences, à Maurice la décision de permettre à ceux ayant trois «credits» de monter en HSC suscite des controverses. Est-ce un manque de discernement ?
Il faut d’abord dire que les compétences ne sont pas reconnues à Maurice. La reconnaissance de l’individu passe au second plan et celui qui aspire à un avenir honnête a peu de chances de se faire reconnaître selon ses mérites. Ce qui importe ici, c’est d’être politically correct, d’être né sous une bonne étoile communale ou castéiste. Pour «monter», le citoyen moyen se retrouve contraint d’avoir recours à des moyens peu avouables ayant trait à son patrimoine ou à ses relations et même à des recours financiers parfois frauduleux.
S’il y a manque de discernement ? Oui, avec notre nombril encore lié aux entrailles du colonialisme. Et aussi parce que nous sommes emprisonnés dans un système de bourrage de crâne qui nous aveugle complètement. Nous nous retrouvons sans vision, donc sans discernement. Avec notre système éducatif foncièrement élitiste, la majorité est disqualifiée d’office. Alors imaginez la stigmatisation qui frappe ceux qui n’ont que trois credits au School Certificate. Leur accès au Higher School Certificate ne changera rien au sort de la majorité. De toute façon, que valent un SC ou un HSC au regard de ce qui compte réellement à Maurice ?
Il s’agit peut-être d’ouvrir une voie à ceux qui n’ont pu s’adapter à l’école ?
Y a-t-il une structure pour leur permettre de rattraper leur retard ? Ils seront de toutes les façons emprisonnés dans un système de compétition. Donc, faire son HSC avec trois credits ne constitue pas nécessairement une voie vers la réussite. La solution est ailleurs.
Vous avez eu un parcours assez inhabituel pour aboutir à un diplôme en sociologie…
Je suis de la génération pré-1975. J’ai grandi en pleine effervescence, vers une construction idéologique qui touchait les jeunes. Il s’agissait pour nous de lutter contre l’injustice sociale. J’étais à la fin des années 1960 dans un collège avant-gardiste pour l’époque, le St Andrew’s, qui accueillait filles et garçons, qui nous éduquait avec une grande ouverture d’esprit. Une ouverture telle, que je remettais même en question le programme de Cambridge. Ainsi, pour le SC, pour l’épreuve de Bible Knowledge, je m’en fichais de réussir selon les critères des Anglais de Cambridge. Je remettais en question ce qu’on nous enseignait. Résultat : je n’ai même pas eu un «F» pour Failed. On ne m’a donné aucun grading… Donc, 23 ans plus tard, à Vincennes Paris VIII, j’ai pu après un concours, être admis en Histoire, Economie et Société, puis faire une licence en Territoire, Economie et Société, avec spécialisation en ethnologie urbaine. Il me fallait, après des années d’engagement politique, parvenir à constituer un bagage idéologique. Cela m’a permis, à mon retour à Maurice, de m’engager au niveau de la société civile, d’abord au Centre de Documentation, de Recherches et de Formation Indianocéaniques (CEDREFI) puis de participer à la création du Mouvement pour le progrès de Roche-Bois (MPRB). Ma formation à Vincennes m’a permis de mieux appréhender la société pour mieux m’engager vers l’autonomisation des citoyens.
Peut-on imaginer qu’éventuellement à Maurice, des travailleurs sociaux puissent faire valoir leurs expériences de terrain pour avoir une reconnaissance universitaire ?
Il y a quelques années, l’université de Maurice proposait des cours menant à un diplôme en Social Work pour les travailleurs sociaux sponsorisés par des Ong. Devinez ce qui est advenu d’eux… Ils ont utilisé ce diplôme pour se retrouver caissiers dans des établissements bancaires, loin des terrains où ils étaient censés s’engager auprès de ceux qui avaient besoin d’eux.
Vincennes misait beaucoup au départ même sur la pluridisciplinarité. En quoi votre expérience vous a-t-elle permis de mieux vous intégrer au cursus universitaire ?
Mon plus gros avantage, c’est d’avoir été bilingue. En Histoire, Economie et Société, il fallait faire des recherches et des lectures en anglais pour mieux saisir l’économie. Mais mon passé politique m’a aidé au niveau pluridisciplinaire, sur le plan culturel mais aussi pour intégrer le cursus de sociologie. En sociologie, il y a davantage recours à la pluridisciplinarité qu’en droit, par exemple.
Vous avez déclaré en août 2009 que les Ong doivent se préparer à faire face aux enjeux socio-économiques. Est-il donc nécessaire de se retrouver à l’université pour œuvrer dans le social ?
Il y a deux ans, l’Etat montrait des signes qu’il se déchargeait de ses responsabilités sur les Ong par rapport aux fléaux sociaux. Donc, on s’est retrouvé en situation où il fallait former des cadres. Si l’Etat et le secteur privé ont des moyens et des ressources, tel n’est pas le cas pour les Ong. Mais la vraie université, c’est l’université de la vie et du terrain. Roche-Bois, par exemple, est une université en lui-même. Dans ce quartier à l’écart du développement économique, on trouve toutes sortes de problèmes, de pauvreté, d’alimentation, de logement. Tous les malheurs du monde. Il faut y vivre pour comprendre, pour aller à l’essentiel, pour comprendre les causes et les effets. L’université aide au plan théorique, pour permettre d’acquérir des outils d’analyse. C’est dans notre engagement citoyen que nos réelles compétences sont validées. C’est en vivant avec les citoyens les plus mal lotis qu’on parvient à comprendre le mal que cause un système éducatif ancré dans l’injustice. Pourquoi Roche-Bois est toujours enfoncé dans la Zone d’éducation prioritaire ? Comment combattre la stigmatisation qui touche ce quartier ? C’est là où on se rend compte que la solidarité peut jouer un grand rôle.
Vous avez été directeur du Centre Nelson Mandela pour la culture africaine. La perception que c’est un centre pour une composante de la population où se mêlent ascendance et religion vous embarrasse ?
Il y a une nécessité pour cette composante de la population d’origine africaine de se sentir représentée par une institution. Effectivement, la confusion à Maurice entre religion et communauté et entre religion et langue complique les choses. Il aurait été préférable que ce centre représente la nation mauricienne dans son ensemble, pour promouvoir l’interculturalité, surtout si on garde en tête le fait que l’Afrique est l’une de nos terres de peuplement. Il aurait alors fallu avoir un centre culturel kreol. Je crois aussi que l’Aapravasi Ghat aurait dû, toujours dans cet esprit d’interculturalité, s’appeler le «dépôt de l’immigration»…
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