Publicité
Jean-Claude Bibi : « Il n’arrive souvent rien aux policiers accusés de brutalité »
Par
Partager cet article
Jean-Claude Bibi : « Il n’arrive souvent rien aux policiers accusés de brutalité »

Il vient de remporter une affaire en Cour dans laquelle la police a été trouvée coupable de brutalité. Mais Me Jean Claude Bibi parle, lui, de torture et d’impunité pour ces officiers.
??Vous avez gagné une affaire en Cour, lundi, dans laquelle vous représentiez un homme se disant victime de brutalité policière. Je croyais que la brutalité policière était révolue ?
J’avais remarqué, il y a à peu près deux ans, que les choses s’étaient calmées. Je ne sais pas si les policiers – il ne faut pas tous les mettre dans le même panier – ont repris leurs mauvaises habitudes parce qu’ils savent qu’il n’y a pas de vrai mécanisme protégeant les gens. Et qu’ils peuvent continuer à battre en toute impunité.
??Que voulez-vous dire ?
La National Human Rights Commission (NHRC) ne fonctionne plus. Il faut comprendre son fonctionnement : elle ne va pas initier d’enquête s’il y a une charge provisoire contre la personne qui se dit victime de brutalité policière. Cela devient alors un catch 22 la police arrête une personne qu’elle soupçonne détenir des informations ou qui aurait commis un délit. En général, quand elle arrête une personne, la police met une charge provisoire contre celle-ci dans les 24 heures qui suivent. Donc, dans tous les cas, il y aura une charge provisoire contre la victime. La NHRC ne va pas enquêter. C’est un non-sens !
??Il y a d’autres recours. Dans l’affaire que vous avez gagnée, l’Etat a été condamné à verser Rs 50 000 à votre client, la Cour ayant statué que la police était coupable de brutalité.
Il ne s’agit pas de brutalité policière, mais de torture. Le terme «brutalité policière» peut vouloir dire une gifle, des coups de poing ou une agression verbale. Dans ce cas précis, mon client, Thierry Nursoo, a dit clairement qu’on l’a torturé.
?? Ce n’est pas un peu extrême «torture» ?
Non, c’est le terme légal exact. En 2003, on a ajouté à l’article 78 du code criminel que quand on utilise la violence afin de soutirer des informations ou une confession à un suspect, cela équivaut à la torture. Maurice a signé la convention contre la torture et notre définition de la torture est la même que la définition internationale.
??Que va-t-il arriver à ces policiers trouvés coupables de torture ?
Je ne sais pas. Après avoir été torturé, en 2006, Thierry Nursoo est allé au Police Complaints Bureau (PCB) pour porter plainte. Généralement, une fois une plainte déposée au PCB, elle est automatiquement prise en charge par la NHRC. Six ans se sont écoulés et nous n’avons rien entendu. Y a-t-il eu une enquête ? Quel en est le résultat ? On n’en sait rien. Je ne sais pas ce qui va arriver à ces policiers parce que souvent, la réponse est rien.
??Le PCB ne vous a pas répondu ?
Jamais. Aucune information ou communication depuis que mon client a porté plainte. Mais, j’ai estimé qu’il était nécessaire d’attirer l’attention du Directeur des poursuites publiques (DPP) et du Commissaire de police sur ce jugement de la cour intermédiaire. Et aussi sur le fait que la Cour suprême a mis de côté l’appel après que le Parquet ait décidé de le retirer.
??Pourquoi ?
Il n’y avait aucun mérite légal à l’appel.
??Le Parquet n’a pas vu que les motifs d’appel n’avaient pas de mérite quand il a travaillé sur le dossier ?
C’est cela que je trouve étrange. Et je peux vous dire que les juges n’ont pas trouvé la chose amusante. Ils ont fait comprendre au représentant du Parquet qu’ils ne pensaient pas qu’il y avait des motifs pour faire appel dans cette affaire.
??Il semble y avoir une contradiction dans le système. Quand votre client poursuit la police, il poursuit l’Etat. Or, la torture est un délit criminel. L’Etat doit-il être le défenseur de ces policiers tortionnaires ou doit-il, au contraire, poursuivre ceux qui ont torturé ?
J’aurai pensé que le Parquet aurait été plus intéressé à poursuivre ces policiers. Mais il semble que quand des officiers de la Criminal Investigation Division (CID) sont impliqués, le Parquet hésite.
??Est-ce parce qu’il y a un conflit d’intérêts ? Le Parquet se retrouve être le représentant de l’Etat de même que celui qui doit poursuivre ?
Oui. J’aimerais que le DPP vienne éclaircir la chose. Quand Rajesh Ramlogun est décédé, en 2006, l’Attorney General de l’époque, Rama Valayden, avait dit que le Parquet n’allait plus défendre et protéger les policiers impliqués dans des cas de violence. C’est pour cela que j’ai été assez surpris de voir que dans le cas d’un suspect qu’on a battu, dévêtu, qu’on a fait danser sur la table, avec qui on a joué au football (NdlR, les policiers l’ont entouré et lui ont donné des coups de pied) – une déclaration a été faite à cet effet à la station Pope Henessy dès sa libération, en donnant le nom des policiers –, on ne sait toujours pas ce qu’il est advenu de l’enquête. Ce n’est qu’à la suite de cette enquête qu’ils auraient pu décider si le Parquet allait défendre ces policiers ou non. On n’a pas poursuivi les officiers au criminel.
??Disons que la police me torture pour me soutirer une confession et qu’elle l’obtienne. La loi dit que si une confession a été obtenue de force, elle ne tient plus. Qui enquête pour déterminer si la confession a été obtenue de force ou non ?
C’est censé être la CID et la NHRC. Mais elles ne font rien quand il y a une
charge provisoire et la confession, obtenue de force ou pas, tiendra.
??Comment pouvez-vous accepter une commission pour les droits humains qui n’a plus de membres, et ne fait plus ce qu’elle doit faire ?
Nous avons évoqué ce problème lundi sur une radio et un article a été publié dans l’express à ce sujet l’an dernier, mais il n’y a eu aucune réaction des autorités. La loi dit qu’il faut trois membres et un président à cette commission. Depuis des années, il n’y a qu’un président. Selon le Premier ministre, dans une réponse parlementaire, «li pe travay. Li enn loto ki ena zis enn larou, me li pe roule».
??Pourtant, sur les forums internationaux, l’on s’enorgueillit d’avoir une commission pour les droits de l’homme.
C’est bon pour notre image. Nous sommes plusieurs à penser que cette commission existe plus pour notre image que pour un vrai effort d’éradiquer la torture et la violence.
??A vous écouter, on a l’impression que les allégations de brutalités policières ne sont pas prises très au sérieux. Est-ce parce qu’il y a trop de personnes qui mentent à ce sujet ?
Disons qu’un suspect est battu et qu’il est emmené en Cour, le lendemain, pour une inculpation provisoire. Cela dure quelques secondes. Et cela lui demande beaucoup de courage pour lever sa main et dire au magistrat qu’il a été battu. Généralement, le magistrat demande qu’une enquête soit menée ou que la personne soit conduite à l’hôpital. Mais, souvent – c’est dit dans les rapports de la NHRC – la police n’obéit pas à l’ordre du magistrat. Le plus grave, c’est que la personne, après s’être plainte, retournera avec les policiers qui l’ont torturée. Imaginez ce qui peut se passer.
?? Y a-t-il beaucoup de fausses déclarations de torture ?
C’est une enquête qui détermine s’il y a eu torture ou pas. On ne peut pas savoir si on n’enquête pas. Cela fait longtemps qu’on entend le Premier ministre dire qu’il est temps d’avoir une commission indépendante des Police Complaints. Mais, il n’y a rien eu. Vous pensez que les policiers ne réalisent pas ce qui se passe ? Il y a la NHRC qui ne fonctionne pas, idem pour le PCB et une éventuelle commission indépendante dont on n’entend plus parler. Et, dans l’affaire Nursoo, non seulement le DPP ne poursuit pas ces policiers, mais leur offre les services légaux.
Propos recueillis par Deepa BHOOKHUN
(Source : l’express, samedi 23 juin 2012)
Publicité
Publicité
Les plus récents




