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Jean-Claude Lau : « Le gouvernement est au service de l’Etat qui lui est au service des citoyens »
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Jean-Claude Lau : « Le gouvernement est au service de l’Etat qui lui est au service des citoyens »

?  Les «scandales» politiques se multiplient et coûtent énormément aux contribuables mauriciens. Pourtant, ces derniers restent relativement silencieux. Pourquoi l’indignation n’atteint-elle pas nos côtes ?
Quand j’ai vu le mouvement rassemblant 15 000 jeunes sur Facebook, je me suis dit que cela rejoint les autres mouvements qui ont cours un peu partout dans le monde, comme celui d’OccupyWall Street. En Grèce, le mouvement prend de l’ampleur parce qu’il y a une crise économique.
Ici, on a été relativement épargné par la crise, car nous ne sommes pas dépendants d’un seul pays. Peut-être l’attitude sera-t-elle autre, si les conditions socio-économiques se dégradent.
? Mais les «scandales », comme «Med- Point» ou encore l’affaire Khamajeet, ne devraientils pas interpeller la société civile ?
Je me souviens qu’il y avait eu, à une certaine époque, une manifestation autour de la guerre du Vietnam. Celle ci avait été organisée par le Mouvement militant mauricien (MMM). Très peu de gens connaissaient alors le Vietnam. Pour expliquer les effets, enjeux et répercussions de cette guerre à la population, le MMM avait organisé des forums , à l’université et dans les écoles. Cette démarche a sensibilisé les gens au problème.
Ce qui explique aussi le fort taux de politisation de la société. Tout le monde s’intéressait à la politique. 
? La jeunesse est-elle dépolitisée, selon vous ?
Je ne dirais pas ça. Ce sont plutôt les politiques qui sont désocialisés. La politique est davantage lue en termes ethniques, ou reliée au monde des affaires. Les projets et les idées passent presque au second plan. Il est vrai que l’on distingue très peu les différences politiques.
Avant, les gens se concentraient plus sur «le politique», dont on voyait le côté noble.
Alors que «la politique» concerne plus la structure.
? Il y a eu, ces derniers temps, la création du concept de «député de proximité». Est-que cela ne fausse pas le rapport entre le politicien et ses mandants ?
On ne fait pas, selon moi, la différence entre ce qui est politique et ce qui est étatique.
Cela veut dire que l’Etat doit pouvoir fonctionner de manière neutre et d’après la loi. Quand on est au gouvernement, on est au service de l’Etat, qui est, lui, au service des citoyens.
La démocratie, c’est le pouvoir du peuple. Le peuple met en place la structure étatique, avec ces institutions, qui doivent fonctionner de manière continuelle et égale pour tous. Dans une démocratie, les partis doivent pouvoir exercer les prérogatives de l’Etat. Mais un parti ne peut pas remplacer l’Etat, que nous comparerons, par exemple, à une voiture.
Le gouvernement, c’est le chauffeur.
Le chauffeur est un peu contraint, pas les structures.
? L’Etat n’est-il pas aujourd’hui un peu «pris en otage» par les partis ?
Il existe une confusion entre ce qui est politique et de qui est étatique. Le député de proximité ne devrait pas transgresser les lois. Dans certains pays, on devient inéligible quand on transgresse ces lois.
Il faut utiliser d’autres institutions du pays, comme le judiciaire, pour contrôler certains dysfonctionnements. C’est pour ça qu’il y a plusieurs pouvoirs, dont le judiciaire, le législatif et l’exécutif. C’est quand il y a collusion entre deux de ces pouvoirs que la démocratie est menacée.
? A-t-on une société de classe, de caste ou de cash ?
C’est un peu un mélange de tout ça. Le poids de l’origine raciale pèse encore.
La caste aussi. Le poids de l’argent pèse encore plus qu’avant. C’est parce que le pays s’est beaucoup enrichi.
On est plus un pays du tiersmonde.
Mais une société est toujours en mouvement. Les structures prennent du temps à se dissoudre. Entre les classes, les castes ou le cash, il y a des frontières qui bougent tout le temps. Notre société a bougé très vite au cours de ces 20 dernières années. On est passé d’une colonie à une république. Mais aussi d’une économie agricole à une plus axée sur les services. Il y a eu beaucoup de mutations.
Au moment de la création du MMM, on avait l’impression qu’il y avait une hiérarchisation des communautés.
En fonction de sa communauté, on s’insérait dans une classe économique. Mais la situation a beaucoup évolué, même s’il en reste certaines traces.
? Quelle est l’évolution du communalisme ?
Pendant longtemps, on n’a pas parlé en termes de castes.
Mais j’entends de plus en plus de gens qui y font référence.
L’appartenance à une communauté est toujours une construction sociale et constitue une barrière entre les gens.
Faire tomber ces barrières est un peu le travail politique. Car malgré l’interpénétration des communautés, dans nos têtes, on sépare les choses. Une frontière est une représentation de l’esprit. On a intégré l’idée qu’il y a une ligne entre les communautés. Un éminent ethnologue disait d’ailleurs que ce qui est important, ce ne sont pas les différentes ethnies elles-mêmes, mais ce sont les frontières, qui déterminent leur contenu.
? Depuis la publication de votre livre «Interethnicité et la politique à l’île Maurice », en 1991, les choses ont-elles changé ?
Il y a une sorte d’émiettement, avec toutes les sectes  que je vois. J’ai l’impression qu’elles ont gagné du terrain.
Et cela ajoute à la division, alors qu’on aurait dû aller vers le rassemblement en tant que citoyens. C’est cela qui aurait mené à la fi n du communalisme.
? Mais au fond, dans une société multiethnique, le communautarisme n’est-il pas un peu normal ?
La Réunion est multiethnique. Mais les Réunionnais ont intégré les valeurs de la République française en général.
Ici, cela n’a pas été fait.
? Vous parliez, un peu plus tôt, de l’évolution de notre économie. Le gouvernement a fi xé l’objectif d’avoir un «graduate» par famille. L’économie mauricienne pourra-telle absorber tout ce beau monde ?
L’idée est très noble. Plus il y a de gens éduqués, plus on peut créer de la richesse.
La question d’absorption ne se pose pas vraiment. Mais je pense qu’il faut commencer par s’attaquer à un niveau plus bas. Car il y a toujours des gens qui ne savent pas lire et écrire.
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