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Jean Daniel Camoin (APEA) : «Les crédits et les prêts donnent un pouvoir d’achat illusoire…»
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Jean Daniel Camoin (APEA) : «Les crédits et les prêts donnent un pouvoir d’achat illusoire…»

L’Association pour la Protection des Emprunteurs Abusés estime que les Mauriciens dépensent sans compter, et s’enferment dans un cycle d’endettement et de surendettement.
En France et au Canada, les ménages continuent en ce début d’année à s’endetter. A quoi est due cette frénésie ?
Nous constatons que les Mauriciens aussi dépensent sans compter. Mais ses habitudes de consommation ont changé. Les chiffres compilés (1986–2009) par le Bureau central des statistiques le confirment : au fil des ans, le foyer mauricien moyen dépense de moins en moins en alimentation - nous constatons même une baisse de gamme sur les produits - et de plus en plus en achat d’alcool, en électricité et en carburant ainsi que, surtout, en loisirs.
Disons-le franchement, le Mauricien rêve les yeux ouverts. Outre le fait de s’adonner aux jeux de hasard, espérant toucher le gros lot, le Mauricien recherche aussi un certain confort, avec les nouveaux produits que lui procure le marché. Il n’y a donc plus besoin d’économiser, car les divers crédits à la consommation – ventilés par une pub efficace – et les prêts bancaires sont là pour lui donner un pouvoir d’achat illusoire… Et c’est le cycle de l’endettement et du surendettement qui commence…
Selon la Banque de Maurice, l’endettement des ménages continue. Est-ce que le niveau est encore soutenable ?
Il est difficile de le dire. Il faut avoir une vision plus globale : voir l’endettement global des ménages pas seulement auprès des banques, mais aussi par rapport aux grandes surfaces et autres… Ce chiffre global nous donnerait une indication plus précise sur l’endettement effectif des ménages. Une tâche à laquelle les autorités concernées doivent s’atteler au plus tôt.
D’après ce même rapport, 56,9% des prêts accordés aux ménages concernent le logement alors que les avances sur cartes de crédit sont de 8,5%. Est-ce que cela constitue un motif de satisfaction concernant la responsabilisation des emprunteurs ?
Il est tout à fait normal que le Mauricien rêve d’avoir son propre chez-soi, un besoin primordial. Pour le financement, il doit s’assurer que le remboursement de ses dettes, ici en l’occurrence, de logement, ne dépasse pas, a priori, les 40% des ses revenus totaux, car il a d’autres besoins à satisfaire. Sinon, c’est le cycle du surendettement qui démarre.
En ce qu’il s’agit des cartes de crédit, sachant que quelque 200 000 cartes sont en circulation, nous avons vraiment des soucis à nous faire. Il est un fait que le Mauricien utilise un peu à tort et à travers ses cartes de crédit, aguiché par une pub toujours très efficace.
Il ne connaît pas non plus les frais, les intérêts, de ses cartes et autres processing fees. N’oublions pas le futur craze : le paiement de ses achats à crédit, à travers le téléphone portable, par SMS. Disons-le franchement, la carte de crédit, mal utilisée, pourrait se révéler dangereuse pour notre porte-monnaie et notre équilibre financier, et pourrait éventuellement conduire au surendettement.
Utilisons-la en dernier recours - en tenant en compte de notre capacité de payer - car nous avons tendance à dépenser davantage avec la carte, sans y penser… Ceci dit, nous pensons que l’utilisation du crédit pour des investissements durables et qui augmentent en valeur est acceptable s’il est bien géré.
 
Existe-t-il à Maurice des garde-fous pour s’assurer qu’une personne ne puisse devoir rembourser à une institution l’équivalent de plus d’un tiers de ses revenus ?
Nous avons bien le Mauritius Credit Information Bureau (MCIB) qui semble assez efficace dans la régulation des prêts bancaires uniquement. Ainsi, une institution financière pourrait demander au MCIB des informations sur tous les crédits bancaires d’un emprunteur (credit profile report) et ainsi jauger le risque inhérent. Ce qui aiderait aussi grandement l’emprunteur.
Mais nous pensons que ce n’est pas assez. Le MCIB ne contrôle que les prêts du secteur bancaire. Il faudrait un contrôle plus global, s’étendant aussi aux achats à crédit des grandes surfaces.
Depuis des années, l’APEA réclame l’institution d’une Centrale de contrôle de crédits à la consommation. Cette institution aurait le même rôle que le MCIB, mais pour secteur non-bancaire, c’est-à-dire, les grandes surfaces et autres… Ainsi, ces deux institutions complémentaires pourraient éventuellement assainir l’environnement du crédit à Maurice.
Est-ce que le Debtors Protection Act 2007 a permis de réduire le surendettement des ménages ?
En vigueur depuis le 7 mars 2007, le Debtors Protection Act pourrait être considéré comme une petite bouffée d’air frais pour les emprunteurs dont les dettes ne dépassent pas Rs 2 millions. Outre la création du poste de Commissioner for the Protection of Borrowers, cette loi s’assure, en théorie, que les lenders n’abusent pas de la situation.
Mais le problème avec cette loi est double. D’une part, cette loi – importante pour les consommateurs – est trop méconnue. Qui connaît le nom du Commissioner for the Protection of Borrowers ? Où se trouve le bureau ? Les autorités gagneraient à vulgariser davantage cette loi et cette institution.
Ensuite, si on examine les clauses Obligations of Lenders et Obligations of Borrowers, on se rend compte que, malheureusement, cette loi fait davantage appel à la bonne volonté des lenders et des borrowers. Ce qui, dans la réalité commerciale, n’est pas nécessairement pertinente.
Estimez-vous que l’APEA est parvenue à sensibiliser la population à une saine gestion du budget personnel et familial ?
Depuis plus de 25 ans, la mission première de l’APEA est de conscientiser toute la population sur les dangers du surendettement et sur les avantages d’une saine gestion du budget personnel et familial.
Nous effectuons des causeries dans les divers Women Centres et aussi au sein des entreprises qui veulent bien nous accueillir. Et, de temps en temps, nous organisons des campagnes ciblées (jeunes/enfants) à travers des concours, avec l’aide de sponsors.
Avons- nous atteint notre but ? Il serait présomptueux de le dire. Mais reconnaissons-le, nos moyens diffèrent grandement de ceux des grands commerces et des pourvoyeurs de jeux. Leurs publicités sont efficaces et les gens tombent souvent dans leur panneau.
Il s’agit vraiment pour les gens, en ces temps durs, de retourner à l’essentiel : de consommer sainement et de dépenser utile.
Quel est, selon votre expérience, le profil type de l’emprunteur qui se retrouve pris dans l’engrenage du surendettement ?
Malgré nos 25 années d’expérience sur le terrain, il est quand même difficile à l’APEA de dresser un profil type de l’endetté. Cela est dû au fait que les causes de l’endettement sont multiples. Mais, en règle générale, on pourrait plus ou moins identifier les personnes suivantes : les foyers à faibles revenus les jeunes couples (dettes de logement ou des biens de consommation) le joueur invétéré ou les détenteurs de multiples cartes de crédit.
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