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Jean-Noël Humbert: «Les bénéfices générés par le sucre raffiné se volatilisent avec la roupie forte »
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Jean-Noël Humbert: «Les bénéfices générés par le sucre raffiné se volatilisent avec la roupie forte »

Le CEO du Mauritius Sugar Syndicate fait un diagnostic de la situation dans l’industrie sucrière.
Comment se présente la prochaine campagne sucrière ?
Selon les dernières mesures effectuées par le Mauritius Sugar Industry Research Institute, (MSIRI) à la mi-avril, il semblerait que le tonnage de canne à sucre qui pourrait être obtenu de la prochaine récolte serait comparable à celui obtenu de la récolte 2009, abstraction faite de la superficie récoltée, qui est difficile à évaluer à ce stade. Toutefois, étant donné que le taux d’extraction obtenu en 2009 a été l’un des plus bas enregistré au cours des dernières années, nous pourrions espérer une meilleure récolte avec le rétablissement de l’extraction à un niveau qui serait plus proche de la normale. Puisque nous approchons de la fin de la saison cyclonique, nos chances de réaliser une meilleure récolte augmentent.
La baisse des superficies mises sous cannes se poursuit-elle ?
Oui, si nous tenons compte de la baisse des superficies récoltées entre 2008 et 2009, nous pouvons dire que la tendance à la baisse se maintient. Elle a été en moyenne d’environ 1 500 hectares par an au cours des 8 dernières années. Mais, nous savons aussi que cette situation résulte de changements profonds qui sont intervenus dans le paysage économique du pays, ainsi que d’une reforme en profondeur du secteur sucrier. Nous avons donc traversé une période de réajustement et d’adaptation durant laquelle il a fallu lâcher du lest et donner au secteur sucrier sa juste dimension nous pouvons parler de right sizing. Nous espérons à présent pouvoir connaître une période de stabilisation et de consolidation. Dans ce contexte, la conservation de nos ressources en cannes à sucre est une priorité absolue. Des investissements considérables ont été effectués dans la reforme de notre secteur sucrier et d’autres restent à faire, et il ne sera pas possible de rentabiliser ces investissements sans une masse critique de canne à sucre. Il faudrait également plus de clarté et de visibilité concernant la politique nationale en matière de production d’énergie et de bioéthanol. Cela contribuerait certainement à donner une nouvelle dimension à notre secteur sucrier et à créer une nouvelle motivation chez tous les opérateurs du secteur.
Comment peut-on encourager les petits planteurs à continuer à produire de la canne ?
Il faut considérer les encouragements aux petits planteurs sur deux axes différents, mais indissociables, pour assurer leur survie dans le court terme et assurer la pérennité de leur activité. Premièrement, le plus urgent, c’est un soulagement immédiat face aux difficultés auxquelles ils sont confrontés à un moment où leurs revenus sont à la baisse avec la réduction des prix sur nos marchés préférentiels. Il faut savoir qu’un planteur qui a abandonné sa production cannière est un producteur de plus de perdu. Les petits planteurs sont aujourd’hui confrontés à de réels problèmes de financement quant à leurs opérations culturales, telles que la replantation, l’achat des engrais et le paiement de la main-d’oeuvre. Si rien n’est fait pour leur offrir un soutien adéquat à ce niveau, nous risquerions de voir l’abandon de la production se poursuivre au détriment de l’ensemble du secteur. Mais, ce soutien serait vain et constituerait un gaspillage de ressources s’il n’est pas accompagné de mesures structurelles importantes permettant d’assurer une réforme en profondeur du secteur des petits planteurs.
Il s’agit en fait du deuxième axe d’intervention tel que proposé dans le Multi Annual Adaptation Strategy (MAAS), qui prévoit une restructuration du secteur par le regroupement des petits planteurs en de plus grandes exploitations, permettant du coup une modernisation de leurs opérations culturales et la réalisation d’économie d’échelle. Ce projet est déjà en voie de réalisation, mais il faudrait rapidement procéder à une évaluation des résultats obtenus à ce jour, prendre acte des difficultés, tirer des leçons des échecs et des réalisations, et apporter immédiatement les mesures correctives appropriées. Les résultats de cette évaluation pourrait être analysés en parallèle avec une étude réalisée récemment par le MSIRI sur les raisons de l’abandon la culture cannière par les petits planteurs à Maurice.
N’y a-t-il pas un paradoxe à importer notre sucre ?
Nous savons que la question d’importation de sucre par Maurice peut paraître aberrante, voire même surréaliste pour ceux qui ne disposent pas de toutes les données sur cette question. Il existe deux raisons principales qui ont motivé notre décision. La première est d’ordre purement économique, car il s’agit, grâce à l’importation, de libérer un tonnage équivalent à la consommation locale, soit environ 40 000 tonnes, permettant au pays d’attirer des revenus additionnels à l’exportation sur des marchés préférentiels et rémunérateurs. La deuxième raison relève des nouvelles dispositions d’accès au marché, qui ont été établies dans le cadre de l’accord de partenariat économique avec l’Union européenne, et qui prévoit qu’à terme, les limites de fourniture établies pour chacune des régions Afrique Caraïbes Pacifique seront en fonction de leurs capacités réelles d’exportation. Dans ce contexte, il est clair que si Maurice décidait de servir en priorité son marché domestique au détriment de ses exportations, l’Union européenne se réserverait le droit de revoir à la baisse la limite d’accès de la région dans laquelle nous nous situons, c’est-à-dire la région d’Afrique australe et orientale, au détriment des opportunités qui s’offrent aujourd’hui et s’offriront demain dans le cadre de notre nouvelle stratégie commerciale. Qui prendra la responsabilité de ce manque à gagner ?
Où en sont les cours mondiaux du sucre ?
Après un emballement des cours, causé essentiellement par une sur-spéculation des hedge funds sur fond de marché déficitaire, qui avait en janvier de cette année porté le prix du marché de Londres pour le sucre blanc à plus de US $ 750 la tonne, un certain réajustement à la baisse s’est opéré durant le dernier mois avec le désengagement des hegde funds, ramenant les prix autour de US $ 500 la tonne. Ce niveau de prix reste quand même sensiblement plus élevé que celui qui prévalait l’an dernier à la même période, qui était de l’ordre de US $ 380 la tonne. Les analystes prévoient un marché mondial qui restera déficitaire durant l’année en cours. Dans ce contexte, le Syndicat des sucres exerce beaucoup de prudence au niveau de ses achats sur le marché mondial et s’assure toujours d’obtenir les meilleurs prix à travers des appels d’offres internationaux.
L’industrie sucrière a-t-elle eu recours au «stimulus package» ?
L’Industrie sucrière n’a eu qu’un recours très limité à l’Additional stimulus package. Le seul fonds dont le secteur ait vraiment bénéficié pour sa réforme dans le cadre du MAAS est un montant d’environ 150 millions d’euros au titre de mesure d’accompagnement de l’Union européenne, ayant servi pour le financement du Voluntary Retirement Scheme et le projet de regroupement des petits planteurs.
Quel est l’impact de la roupie forte sur les comptes des raffineries ?
Etant donné que plus de 90 % de nos recettes sucrières sont libellées en euros, il est évident que l’appréciation de la roupie a un impact considérable sur le prix du sucre, et par conséquent sur le revenu de tous les opérateurs du secteur sucrier. Dans l’état actuel des choses, avec les taux de change en cours sur le marché, nous ne pouvons que constater que les bénéfices obtenus de la mise en œuvre de la nouvelle stratégie commerciale de l’industrie et le passage du sucre roux au sucre raffiné, sont tout simplement en train de se volatiliser. La situation est devenue extrêmement préoccupante.
 
Propos recueillis par Pierrick PÉDEL
 
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