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Jeff Lingaya : L’homme de tous les combats
30 novembre 2013, 06:49
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Jeff Lingaya : L’homme de tous les combats

Faire les Mauriciens regarder au-delà de leur nombril et être réceptifs aux messages de la famille universelle, c’est le fil d’Ariane de Jeff Lingaya. Cet enseignant engagé, qui s’est surtout illustré lors de grèves de la faim, nous réserve d’autres surprises.
Cet homme de 36 ans fera à nouveau parler de lui dans un avenir proche. Non pas parce qu’il projette de s’engager dans une autre grève de la faim – il en a fait deux jusqu’ici et la plus longue a duré 21 jours – mais parce que lui et d’autres partageant les mêmes idéaux, se constitueront en association.
Mais Jeff Lingaya aime rappeler que son engagement envers les autres ne date pas d’hier. En fait, cela remonte au début de son adolescence et depuis, a été constant. «Très tôt, j’ai réalisé que la famille est un concept très large. Vers l’âge de cinq ans, j’ai commencé à ne plus me sentir à l’aise dans les rites familiaux, à m’évader et à me remettre en question.» Et bien que son père Michaël lui ait fait découvrir les libres penseurs et les philosophes, cet élève du collège du St.-Esprit va se distancer de sa famille de sang. Il finit même par trouver l’école ennuyeuse et préférer le bouillonnement des activités extrascolaires – il organise notamment le premier concert de solidarité en faveur d’une jeune fille leucémique – tout en faisant ce qu’il faut pour réussir ses examens.
Il est étonné par l’esprit de fatalisme animant la société qu’il impute à la cassure politique du Mouvement militant mauricien (MMM) en 1983. «Maurice surfe jusqu’à présent sur la vague de fatalisme et de déception qui en a découlé. Cette blessure a fait les idéaux véhiculés par le MMM voler en éclats. La déception a été meurtrière et quand moi, je grandis, je remarque qu’aucun parent n’encourage son enfant à s’engager pour une cause, à descendre sur le trottoir pour prendre position.»
Ces constats l’amènent à faire des choix ne cadrant pas forcément avec ce qu’entrevoient pour lui ses parents. Il s’en explique. «J’ai exposé mes raisons aux miens et personne n’a pu venir démontrer que ma logique n’avait pas de sens. Ils ont alors compris qui j’étais.» Et qui est-il aujuste ? Jeff Lingaya parle de «grand point d’interrogation». Le dire, estime-t-il, serait l’enfermer dans un moule alors que lui est multiple.
En Form III, il opte pour les matières scientifiques alors qu’il a eu un prix en arts. Quand il fait son entrée en Form IV, il prend ses distances de la famille en allant vivre chez un ami de ses parents. Il y reste six ans. C’est Paul Randabel, enseignant de français, qui va lui faire changer son fusil d’épaule au niveau académique et abandonner les sciences au profit de la littérature et des arts. Ce n’est pas le volume de livres à l’étude qui le rebute mais d’avoir à se freiner pour ne pas se donner autant dans les activités extrascolaires.
C’est en effectuant un remplacement en tant qu’enseignant d’art et de français pour les élèves de Form I à V au collège Bon et Perpétuel Secours qu’il confirme son «urgence à transmettre et partager» ce qu’il a tiré de son vécu et en particulier ce qu’il a appris de Paul Randabel, à savoir, mieux connaître l’individu pour l’aider dans son parcours. «Il faut donc interagir avec l’individu mais pas en salle de classe. Ce qui fait que je n’avais plus de récréation ou de break et que j’étais en perpétuelle conversation avec les élèves, tout en étant très conscient que j’étais un garçon dans un collège de filles.» En parallèle, il étudie au Mauritius Institute of Education pour obtenir son diplôme d’enseignant.
Ce qui ne devait être qu’un remplacement de deux mois dure en fait neuf ans. Au final, il a tellement accordé une attention individualisée à ses élèves qu’il est épuisé. «De plus, le système ne permettait pas des interactions individuelles qui auraient pu avoir effacé les blessures que la société cause aux élèves. Mais la remise en question de ce que les parents pompaient dans leur tête, à savoir toutes sortes de choses matérielles et utilitaires, était là. Je faisais un contrepoids, du moins jusqu’à un certain point.»
Les seuls systèmes où il peut encore fonctionner sont ceux où l’accent est mis sur l’écologie et les valeurs de la conscience humaine. Mais les impératifs de la survie se rappellent à son bon souvenir si bien qu’il prend un emploi d’enseignant à l’Industrial and Vocational Training Board. Il n’y reste que quatre mois. «C’était terrible. Des enfants extrêmement intelligents étaient broyés par un système académique ne tenant pas compte de leur individualité et ce système faisait une boucherie de leur intelligence. Ces enfants étaient vampirisés par deux formes d’intelligence, la linguistique et les mathématiques et s’ils n’excellaient pas dans les deux, ils ne parviendraient pas à accéder aux postes de pouvoir.»
Jeff Lingaya se retrouve alors au sein de plusieurs plateformes citoyennes. C’est ainsi qu’il prend part à plusieurs manifestations. Sa troisième tentative d’intégrer une structure rémunérée est à Terrain for Interactive Pedagogy through Arts, organisation non-gouvernementale où il rencontre Émilie Carosin, docteur en psychologie cognitive et comportementale, et apprend beaucoup d’elle. «Elle a acquis des connaissances dans les livres alors que moi, c’était sur le terrain et les interactions étaient très intéressantes. Cette rencontre a été un point marquant de ma vie mais je n’ai pu fonctionner dans une organisation non-gouvernementale car les objectifs, les impératifs et le mode de fonctionnement ne se réconciliaient pas au monde des enfants et au mien.»
Jeff Lingaya s’en va mais est toujours en quête de causes à défendre. Il en trouve une dans la grève des employés d’Infinity BPO. «C’est en écoutant la radio que j’ai appris la nouvelle et j’ai pris mon vélo pour aller aux renseignements.» Il y rencontre notamment des amis de Rezistans ek alternativ et au contact des employés, il se fait expliquer les raisons de la grève. Il trouve toute fois que ce qu’il entend ne cadre pas avec le compte rendu des médias. Si bien qu’il se met à rapporter ce qu’il voit au quotidien à Ébène sur sa page Facebook, qu’il considère la plateforme de transition idéale. Il est aux premières loges des négociations tractations, des «lâchages, traîtrises et de l’injustice». Au final, il ne reste plus que deux grévistes et c’est là qu’une d’entre elles opte pour la radicalisation, à savoir la grève de la faim. Il décide de lui emboîter le pas. «Je l’ai fait pour rappeler les origines et les décisions de départ car les gens ont tendance à être amnésiques surtout lorsqu’ils pensent avec leur ventre. Ma vocation est d’aider à rendre les autres réceptifs aux choses qui doivent être transmises.»
C’était sa plus longue grève de la faim. Il n’a jamais craint d’y laisser la vie. «La mort est un concept. Il y a des gens qui vivent toute leur vie comme des morts et contaminent d’autres. Perdre l’enveloppe corporelle n’est donc pas important pour moi. C’est vivre une vie de mort qui m’aurait été insoutenable.» Il n’a pas crié victoire quand le Premier ministre a annoncé la mise sur pied de la National Energy Commission dans le sillage de la grève de la faim organisée contre CT Power. «C’était une jolie fleur qu’il a faite. Cette fleur a toute sa valeur mais une fleur n’est pas la tige sur laquelle elle repose, ni les racines de la plante. Moi, ce sont les racines et tout ce qui entoure la plante qui m’intéressent. Le monde ne s’arrête pas qu’au ventre ou à la fleur de la cause à défendre.»
Ses prochains combats sont la biométrie pour les cartes d’identité, la poursuite des objections à l’installation de CT Power et les dysfonctionnements institutionnels. «Nous subissons déjà des injustices démocratiques et républicaines tous les jours, notamment les cas Balancy, Boudet. L’association dont je vous parle s’est constituée de façon naturelle. Celle-ci défendra quatre axes : les droits humains, l’écologie, les malversations financières et les dysfonctionnements institutionnels. Mon message en tant que membre de la famille humaine aux autres, c’est de développer les trésors de votre individualité au maximum tout en vous mettant au service de la famille universelle.»
«Aucun parent n'encourage son enfant à s'engager pour une cause, à descendre sur le trottoir pour prendre position.»
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