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Jooneed Jeerooburkhan : « L’île Maurice est un concept colonial »

11 septembre 2010, 07:38

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Le pays pourrait faire un virage à 180° si ses citoyens prennent conscience des2 millions de km2 de mer qui nous entoure. C’est ce que soutient notre interlocuteur dans le livre qu’il a lancé récemment, «Un autre Maurice est possible».

? Dans votre livre, vous parlez de Maurice Etat archipel au lieu de l’île Maurice…

Il est grand temps qu’il y ait une certaine prise de conscience préalable de certaines choses fondamentales. Et la première, c’est la géographie.

Nous appelons Maurice, île Maurice.

Le gouvernement parle de Maurice île durable.

Or, depuis notre indépendance, nous sommes un Etat archipel. L’île Maurice est un concept colonial. Mais, nous n’en avons toujours pas pris conscience.

En 1983, a lieu la convention sur le droit de la mer sous l’égide des Nations unies. Convention qui nous établit dans notre identité d’archipel en reconnaissant à tous les Etats qui ont des littoraux, une zone économique exclusive qui s’étend à 370 km à partir de la côte. Donc, Maurice Etat archipel possède une zone économique exclusive de 2 millions de km2…

?… dont nous ne savons que faire !

Avant tout cela, en sommes-nous conscients ? Dans notre discours quotidien, nous n’en parlons pas. Nous parlons toujours de l’île Maurice. J’avais dit à mes éditeurs que j’aimerai, sur la couverture, une carte qui permette de visualiser l’ensemble de l’archipel. Nous avons eu  du mal à la trouver. D’abord, ils n’avaient aucune idée de quoi je parlais. Toutes nos îles n’ont jamais été montrées ensemble.

? Comment l’expliquez-vous ?

Nous avons intériorisé le discours colonial.

C’est un phénomène qui affecte tous les pays où sont passés le colonialisme et l’impérialisme.

? Maintenant que nous savons que toute cette eau nous appartient, qu’en faisons-nous ?

La politique des Etats est dans leur géographie.

Si nous prenons conscience au préalable de ce que nous possédons, à partir de là, il y a trois considérations. La première est économique : quelles sont les ressources de recel de ces millions de km2 ? Des ressources poissonnières, que viennent pilier les chalutiers étrangers !

Il faut, au départ, avoir une politique de formation des jeunes pour une culture de la mer.

Et, qui nous permet d’avoir un garde-côte, c’est essentiel. Beaucoup d’emplois peuvent être créés dans ce secteur.

? Pourtant, nous avons confié nos côtes à l’Inde !

C’est une attitude de dépendance qui nous ramène à la culture coloniale. Il nous fait être plus proactif. Ce qu’il nous faut, c’est un garde-côte mauricien, qui fasse appel à l’assistance et l’expertise indiennes pour former nos ressources dans ce domaine. Cela n’écarte pas le soutien d’autres pays, mais que ce soit un soutien technique seulement.

La deuxième chose est notre industrie de la pêche. Il nous faut avoir une flotte de l’industrie commerciale. Pas nécessairement une flotte d’Etat. Mais, il faut qu’il y ait une industrie de la pêche organisée et que nos jeunes puissent y travailler comme équipage.

Il faudrait en sus former des biologistes marins qui travailleront à une gestion intelligente et durable de nos ressources en poissons. Qu’on ne fasse pas de la sur pêche pour que les stocks soient épuisés.

Il y a aussi les nodules. Les fonds marins sont jalonnés des pierres que l’on appelle des nodules. Ces nodules sont pleins de métaux.

C’est à nous de trouver la technologie – avec l’aide de nos voisins et de nos amis – pour pouvoir aller chercher ces nodules, les transformer en métal, dont l’Inde et la Chine notamment, ont grand besoin pour leur développement accéléré.

? Pour pouvoir faire cela, vous dites qu’il faut arrêter avec les faux débats. Comment fait-on cela ?

En développant les vrais débats. En introduisant ceux qui comptent, des débats en ligne avec notre identité de peuple pluriel, sur notre identité d’Etat archipel. Des débats sur notre place stratégique au coeur d’un océan qui est appelé à devenir le nouvel axe du monde.

? Comment fait-on pour dépasser ces faux problèmes ?

Il faut lancer les vrais débats et faire parler les gens ouvrir les colonnes des journaux, interviewer les gens. Il faut surtout que nous prenions conscience d’une chose : le modèle capitaliste est en panne.

? Le problème c’est que quand des choses, comme l’affaire Choonee se passent, ces débats-là excluent tous les autres ! Ne faudrait-il pas qu’on en parle ?

Oui, il faut en parler. Mais, qu’on ne traîne pas ce débat-là ! Si on peut accuser Choonee de sectarisme, on peut tout aussi bien accuser ceux qui ont traîné le débat de contre-sectarisme.

Je suis d’accord avec Ram Seegobin quand il dit que l’affaire Choonee, c’est le symptôme d’un mal et que c’est le mal qu’il faut combattre, pas le symptôme. Le mal, c’est comme un marécage entretenu par tout le monde et les moustiques s’y multiplient.

Or, on protège le marécage, on laisse se multiplier les moustiques mais quand un en sort, on déclare la chasse aux moustiques. Ce marécage est le communalisme institutionnalisé.

Donc, il faut déclarer la guerre aux causes profondes, s’attaquer aux racines du mal pas s’amuser à s’attaquer aux symptômes alors que l’on sait que la chasse aux symptômes ne fait qu’aggraver les divisions et accumuler les rancunes.

? Comment avez-vous trouvé la réaction de Navin Ramgoolam ?

Sa réaction a été très intelligente. Je reproche aux médias de n’avoir pas retenu la première phrase de son communiqué de Paris. Tout est là – «si ces propos sont avérés». En fait, j’estime que les médias se sont rendus coupables de manque de professionnalisme dans cette affaire.

? Vous n’approuvez pas la façon dont les médias ont traité cette affaire ?

Il y a un regard nordiste, un regard d’ancien maître, de colonisé qui a été porté sur toute l’affaire des castes. C’est ce regard externe qui a analysé, disséqué le problème Choonee. Alors que comme Mauriciens, je pense qu’il nous incombe à tous d’approcher les problématiques au sein de nos communautés et même de celles auxquelles nous n’appartenons pas de façon beaucoup plus sympathique, sinon empathique.

? C’est plus facile de continuer avec le statu quo que de remettre les choses en question et recommencer à zéro !

Nous n’avons pas encore, au niveau de nos gouvernants et de nos partis politiques, abordé la question de la création d’un nouveau modèle, ni la question de la réflexion même d’abord de ce qui ne va pas avec le modèle actuel. La plus grande trahison à ce niveau vient du MMM, qui devait s’atteler à cette tâche.

? Mais le MMM ne l’a pas fait et personne ne l’a fait !

L’histoire de Maurice depuis l’indépendance est une histoire d’occasions ratées !

? Faut-il attendre que rien ne va plus pour que l’on commence à réfléchir ?

Je dirai qu’il faut faire confiance au peuple.

? Le peuple ne réagit pas, le gouvernement non plus. On parle beaucoup mais qu’attendons-nous ?

J’ai confiance dans la jeunesse. Personne ne s’attendait, en 1936, que Rozemont, Anquetil, Pandit Sahadeo et Seeneevassen lancent le Parti travailliste. Personne ne s’attendait, en 1968, que les militants émergent. Notre jeunesse va nous surprendre. Quand les jeunes se rendront compte que leur avenir est compromis, je crois que ce sursaut viendra.

? Vous ne comptez pas sur la classe politique que nous avons actuellement ?

Non. Cela viendra avec les nouvelles générations.

 

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