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Kailash Dabeesingh, «chartered arbitrator» : «l’arbitrage est une justice privée, payante»

27 octobre 2012, 06:14

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L’«Independent Commission against Corruption» a reçu une plainte anonyme, la semaine dernière, lui demandant d’enquêter sur la pratique de l’arbitrage privé par les juges en fonction. En tant que professionnel, qu’en pensez-vous ?

C’est extraordinaire. Mais, il faut tenir compte du fait que nos lois permettent à nos juges de pratiquer l’arbitrage privé. Avec l’accord du président de la République, bien entendu.

Excepté que le président dit qu’il n’a jamais donné son aval à aucun cas d’arbitrage par un juge !

Dans ce cas, il y a bien dû y avoir un accord général donné par l’ancien président au chef juge.

Si c’est le cas, il doit exister une preuve écrite de cette autorisation. Où est cette autorisation sur papier ?

Je ne sais pas, mais ma lecture des choses est que le chef juge a eu une autorisation générale du prédécesseur de Kailash Purryag et c’est sur cela qu’il s’appuie pour entreprendre des arbitrages privés.

Ce qui m’interpelle, c’est le fait que dans d’autres juridictions, comme la Grande- Bretagne par exemple, les juges peuvent s’adonner à l’arbitrage seulement si le chef juge l’autorise. Et cela se fait au cas par cas, selon le calendrier de travail du juge.

L’arbitrage est une affaire privée, donc très peu de personnes savent comment cela se passe. Avez-vous assisté à un arbitrage présidé par un juge ?

Oui, car souvent, même quand on ne me demande pas de présider des arbitrages, j’y assiste quand même, comme expert.

Je donne ce qu’on appelle les Arbitration Support Services, en préparant par exemple la défense pour l’une ou l’autre partie.

Où se tiennent ces séances d’arbitrage privé ?

(Silence…) Vous pouvez deviner.

Dans le bureau du juge ?

C’est très gênant pour moi de répondre à cette question. (Long silence…) Oui.

Pendant les heures de travail du juge ?

Ecoutez, je suppose que c’est après leurs heures de travail…

… quelle heure ?

Quelques fois les samedis, quelques fois à 14 heures ou 15 heures.

A 14 heures, 15 heures, un juge n’est-il pas censé écrire ses jugements ?

Ah, je ne sais pas. Vous savez, cela me rappelle ce que le juge Eddy Balancy a dit il y a deux semaines, dans une interview à Weekend : que les juges se ruinent la santé pour compléter leurs dossiers. Alors où trouventils le temps de présider des arbitrages ?

L’arbitrage est une justice privée, une justice payante. Et donc l’on doit se plier aux exigences du client.

Le problème quand c’est un juge qui préside un arbitrage, c’est que cela se fait quand le juge a le temps et cela ralentit le processus. Le jugement tarde aussi.

Et vous ne demandez pas à vos clients pourquoi ils ne retiennent pas vos services en tant que juge arbitre que vous êtes ?

Bien sûr. Quand il y a un litige, les parties vont systématiquement voir leurs avocats. Et les avocats croient qu’il n’y a qu’une seule façon de résoudre les litiges : aller en Cour.

Quand les avocats réalisent que le client préfère avoir recours à un arbitrage pour que les choses aillent plus vite, alors ils contactent des juges. Ainsi, ils tissent une relation avec le juge. Et le juge est reconnaissant à l’avocat qui lui amène du travail.

Ce sont vos clients qui vous disent que leurs avocats préfèrent que ce soit un juge qui préside un arbitrage ?

Laissez-moi plutôt vous parler de mon expérience. Dans un cas, on m’avait déjà nommé juge arbitre et à la façon dont les avocats réagissaient, j’ai compris qu’ils voulaient mettre un juge à ma place. Finalement, j’ai choisi de démissionner. Le lendemain, un juge a été nommé à ma place.

Peut-on contester le jugement d’un arbitrage privé ?

Le recours est très limité. S’il y a eu une erreur sur un point de droit, on peut contester le award en Cour. Le but d’un arbitrage est de ne pas s’enliser dans des appels successifs. C’est pourquoi, dans la clause compromissoire de l’arbitrage, c’est écrit qu’il n’y aura pas de droit d’appel. Sauf que notre Code civil de procédure dit que l’on peut faire appel sur un point de droit. L’appel est, en fait, une demande à la Cour de rejeter le jugement de l’arbitrage.

Si l’on en croit le Conseil privé, les erreurs des juges sur des points de droit sont de plus en plus fréquentes. Si un juge qui préside un arbitrage privé fait une erreur sur un point de droit, une des parties peut techniquement aller en Cour et demander aux collègues du juge de déclarer que leur collègue a fait une erreur ?

(D’un ton solennel…) J’ai témoigné de ce que vous dites. Le même arbitrage duquel j’avais démissionné. Le juge a donné son jugement, la partie perdante a fait appel sur un point de droit et vous pouvez deviner ce qui s’est passé.

Je préfère que vous nous le disiez !

La Cour a refusé de mettre le jugement de côté. L’argument pour justifier la décision de ne pas rejeter le jugement était choquant.

Vous devez être le centre d’attraction dans des forums internationaux puisque vous pouvez déclarer que vos compétiteurs sont des juges de la Cour suprême !

Mes collègues étrangers savent très bien ce qui se passe à Maurice et je peux vous dire que quand ils ont pris connaissance de la situation, they raise their eyebrows, bite their lips and shake their heads. Même en Afrique du Sud, un juge en retraite n’a pas le droit de présider des arbitrages sans autorisation spéciale.

Vous pensez que les juges en fonction ne devraient pas du tout pratiquer l’arbitrage ?

Non, je pense plutôt que pour éviter tout problème d’éthique, les frais de l’arbitrage devraient être payés à la Cour et contribuer au budget du judiciaire, comme cela se fait en Afrique du Sud et à Singapour.

Cette seule mesure va régler tous les problèmes.

Cela vous choque-t-il que le président de la République n’ait pas rappelé à l’ordre les juges ? Que l’«Attorney General» ne l’ait pas fait ? Que le PM estime que ce n’est pas son problème ?

Le président dit qu’il va attendre les conclusions du Bar Council.

Ce n’est pas correct parce que le Bar Council est un club qui n’a aucune autorité judiciaire.

J’ai eu cette conversation avec le prédécesseur de Yatin Varma, Rama Valayden.

Il était bien d’accord qu’on aurait dû rappeler à l’ordre les juges, mais j’ai cru comprendre qu’on l’a rappelé à l’ordre.

C’est malsain que tout le monde a peur des juges ainsi. S’ils hésitent à prendre position, c’est qu’ils ont peur de représailles. Or, on ne devrait pas avoir peur de représailles quand il s’agit d’une cour de justice indépendante, non ?

Absolument. Vous savez ce qui me chiffonne le plus dans tout cela ? C’est l’argument du chef juge pour justifi er la pratique de l’arbitrage par les juges. Il a dit : «Les parties paient so where is the problem ?»

Vous dites être le seul «Chartered Arbitrator» à Maurice. Or, le président de l’«Emloyment Relations Tribunal» (ERT) Rashid Hossen, se targue d’être un bon arbitre juge. L’est-il ?

C’est simple à savoir. Il suffi t d’aller consulter la liste du Chartered Institute of Arbitrators. Ce sont eux qui défi nissent les normes à respecter et qui donnent la licence aux juges. Celle-ci est donnée pour cinq ans. Après cette période, ils évaluent votre performance avant de décider s’ils vont la renouveler ou pas.

Et j’imagine que même si Rashid Hossen était un «Chartered Arbitrator », quand le «Chartered Institute of Arbitrators» aurait découvert qu’il cumule ses fonctions de président de l’ERT avec la présidence de comités disciplinaires au sein des entreprises, ils l’auraient disqualifié ?

Tout à fait. Le Chartered Institute of Arbitrators l’aurait rayé de sa liste. Un juge arbitre doit être indépendant et avoir le sens de l’éthique.

 
 
 Propos recueillis par Deepa BHOOKHUN

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