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Kee Chong Li Kwong Wing : «Face à la crise, il faut réinventer notre modèle de développement»

18 janvier 2012, 07:57

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Le porte-parole du MMM au Parlement pour les questions économiques se prononce sur les conséquences pour Maurice de la dégradation de la note française par l’agence de notation Standard & Poors.

? La France vient de perdre son triple A. Quelles peuvent en être les conséquences sur l’économie française elle-même ?

L’impact sur la France va être négatif. Principalement parce que c’est la confiance qui va être entamée. Le crédit va devenir plus cher et plus difficile à obtenir. Il y a un risque de contraction de liquidités. Le gouvernement va poursuivre sa politique d’austérité pour éviter une nouvelle dégradation de sa note du fait de la dette élevée du pays. Il ne faut donc pas attendre de mesures destinées à stimuler l’économie dans un avenir proche. Dès lors, les perspectives de récession et de hausse du chômage se précisent.

? La France étant le principal partenaire commercial de Maurice, quelles retombées cette dégradation de la note française risque-t-elle d’entraîner sur l’économie mauricienne ?

La situation que j’ai décrite va bien évidemment affecter Maurice qui dépend de la France et de la zone euro pour ses marchés et ses exportations. Le tourisme, le textile et le Business Process Outsourcing seront les trois secteurs les plus touchés. Avec un double effet : une baisse de la demande et une pression à la baisse sur les prix. En outre, l’incertitude va ajouter au manque de visibilité pour le futur. Les dépenses des consommateurs vont se contracter, les profits des entreprises vont baisser et on risque de connaître des licenciements. Dès lors, la faible croissance pourrait se transformer en véritable récession.

? Neuf pays de la zone euro ont été dégradés. Cela veut-il dire que c’est la fin de l’euro ?

L’euro a été créé sur de bonnes intentions mais sur de mauvaises bases parce qu’il n’ya pas eu d’intégration fiscale, de politique économique commune et d’union politique. C’est pourquoi l’euro ne peut pas fonctionner tel qu’il est constitué. La structure de la zone euro est contradictoire du fait de la non-homogénéité de ses membres. Donc même si l’euro ne disparaît pas, sa structure doit changer et les membres de la zone euro également. Quoi qu’il arrive, l’euro va continuer à baisser vers 1,15 dollar à court terme et pourrait même se retrouver à parité avec le billet vert à la fin de l’année. Avec comme conséquence une récession contagieuse.

? Face à l’appréciation de la roupie, que peut-on faire ?

Il faut d’abord remarquer ceci : c’est davantage l’euro qui baisse que la roupie qui monte. Nous n’y pouvons pas grand-chose. Le problème s’aggrave car face à la dépréciation de l’euro, le dollar devient une valeur refuge et s’apprécie. Cela crée ainsi un effet de ciseau qui sape l’économie, avec des recettes à l’exportation qui diminuent et une facture des importations qui augmente. Face à cette situation, il faut à tout prix maintenir notre part de marché en Europe, protéger nos recettes par un hedging intelligent sur les devises et monter un système d’assurance des exportations en faisant du currency matching. Nous devons également améliorer le fonctionnement de notre chaîne d’approvisionnement et notre logistique. Ce qui nous permettrait d’augmenter notre productivité et notre compétitivité. Ce n’est pas que sur les prix que nous pouvons faire face à la hausse de la roupie, nous devons aussi nous diversifier en nous tournant vers l’Afrique et l’Asie.

? Cette appréciation de la roupiene comporte-t-elle que des inconvénients ?

Tout n’est pas noir. Nous pouvons tourner la situation à notre avantage. La roupie forte nous permet d’importer d’Europe à bon compte ce que nous consommons et ce dont nous avons besoin en matière d’équipements, de machines-outils ou de know how afin de moderniser notre appareil productif.

L’euro faible représente aussi une occasion de rembourser les dettes que nous avions contractées quand la monnaie européenne était au plus haut. Tout cela nous permettrait de réaliser des économies de devises et de nous engager dans un partenariat constructif avec les entreprises européennes qui cherchent à délocaliser et à trouver de nouveaux marchés. Nous avons là une carte à jouer, surtout dans le domaine des services à destination des pays anglophones.

? Que pensez-vous de la politique monétaire qui est actuellement menée ?

L’objectif de la politique monétaire a toujours été de garantir la stabilité des prix à moyen terme pour un développement ordonné de l’économie. Cela a apporté certains éléments positifs car la Banque centrale a réussi à éviter une inflation à deux chiffres qui était redoutée il y a encore un an. Mais l’intervention de la Banque centrale sur le marché des devises et sa volonté manifeste de soutenir la roupie malgré les larges déficits au niveau de la balance commerciale et du compte courant nous interpellent. Cela, sur la réalité du reflet des fondamentaux de l’économie qui fait face à un triple choc : décroissance continue, chômage persistant et déficit commercial chronique. La question est de savoir si cette politique monétaire ne va pas à terme entraîner moins de croissance, donc moins de recettes fiscale et donc plus de dettes publiques. Le tout sans pouvoir contrôler l’inflation importée et alimentée par la spéculation sur les marchés de matières premières.

? Quelle est votre opinion de la politique économique actuelle ?

Nous constatons que face à la crise de l’euro et à la menace de récession globale, l’économie mauricienne est toujours en pilotage automatique. Le gouvernement croit toujours en notre bonne étoile et se satisfait de notre niveau de croissance et de la note de l’agence Moody’s, malgré les turbulences et la volatilité de nos principaux marchés. Mais cette situation que l’on peut qualifier de new normal, avec sa croissance inférieure à la moyenne, son chômage grandissant et ses inégalités croissantes, risque de se détériorer davantage. Et ce, pour trois raisons : l’investissement privé est en baisse, la spéculation foncière est devenue un pôle de croissance et les écarts de revenus sont devenus intolérables au vu des récents résultats de la Mauritius Revenue Authority. Ceuxci nous montrent une hausse fulgurante des taxes indirectes pour financer les dépenses du gouvernement. La politique économique, qui nous a servis par le passé, demande à être totalement revue face à cette nouvelle situation de crise financière, énergétique, alimentaire et climatique.

? Quelle politique économique préconisez-vous alors ?

Il faut voir secteur par secteur ce qu’il faut changer et réinventer notre modèle de développement. Pour cela, il faut mettre en place un nouveau plan de développement à long terme. Il s’agit de revoir toutes nos priorités en termes d’investissements et de dépenses publiques et de miser sur une économie de services basée sur de nouvelles compétences et la recherche de nouveaux marchés.

Propos recueillis par Pierrick Pédel

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