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Kee Chong Li Kwong Wing : « Le traité avec l’Inde nuit à l’Offshore »
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Kee Chong Li Kwong Wing : « Le traité avec l’Inde nuit à l’Offshore »

«Le traité de non-double imposition avec l’Inde a fait perdre de la compétitivité à l’offshore»
Dans quel contexte émerge le secteur de la finance offshore à Maurice ?
Nous sommes au début des années 80. L’économie de Maurice est toujours très axée sur le sucre, alors que le textile et le tourisme sont encore balbutiants. Les responsables politiques cherchent une diversification dans de nouveaux secteurs. Il faut en effet trouver de nouveaux pôles de croissance. Le choix se porte sur le commerce régional, par le développement d’un port franc. Il fallait créer un entrepôt de transbordement qui pourrait déboucher sur de la petite transformation, du tri, de l’étiquetage ou de l’emballage avant réexportation. A l’époque, Maurice faisait de la reexportation vers l’Afrique du Sud, presque du «sanction busting». Avec le concours d’Air Mauritius et d’autres opérateurs mauriciens, le régime de l’apartheid réussissait à contourner les sanctions économiques infligées par la communauté internationale. Cette activité de transbordement s’est également développée grâce au commerce avec Taïwan. A l’époque, l’environnement était très marxisant dans l’océan Indien. Les conflits en Afrique de l’Est et en Afrique australe affectent le commerce des Indiens qui y ont fait fortune.
Quelle était l’idée ?
Nous souhaitions développer une plate-forme de commerce régional avec la création d’un port franc. A terme, cela devait déboucher sur le concept «d’île franche» ou duty-free paradise. Bien avant Dubaï. L’idée était de proposer une fiscalité très légère, donc attractive, afin de créer des opportunités de commerce avec une nouvelle classe d’entrepreneurs qui investirait dans des secteurs d’activités innovateurs. Il fallait aussi introduire de nouveaux services financiers. Nous lancions ainsi les mutual funds, les property funds, le leasing et la Bourse de Port-Louis, pour encourager l’actionnariat populaire. Il fallait ensuite y greffer un centre financier qui proposerait la gestion des devises, de la trésorerie, des documents de commerce international, et d’autres services encore comme le leasing. L’idée était de faire de Maurice un centre financier pour le commerce international, afin d’attirer les entreprises régionales, mais également pour la gestion du patrimoine des commerçants et des hommes d’affaires africains, à travers le private banking. C’est ainsi que la loi pour l’offshore banking fut introduite en 1988.
Comment ont démarré toutes ces activités ?
Je dois avouer que le secteur privé n’a pas trop compris l’envergure de ce plan d’«economic reenginering». Il etait plutot à la recherche de motivations pour explorer de nouveaux créneaux. Quand Lutchmeenaraidoo – ministre des Finances à l’époque – est parti, tout a bougé de façon disparate. Il n’y a pas eu de plan global ni de synergies. Le port franc s’est développé de son côté et l’offshore banking a stagné. Le port franc est petit à petit devenu un centre d’exposition, un entrepôt pour produits importés, qui a été absorbé par le Business Park of Mauritius avant de passer sous la coupe du Board of Investment (BOI). Aujourd’hui deux groupes concentrent toute l’activité du port : Mauritius Freeport Development et Freeport of Mauritius. Il n’y a pas véritablement d’essor en ce qu’il s’agit de la réexportation. De son côté, l’offshore a démarré tout doucement, car peu de firmes de professionnelles s’y intéressaient, et il n’y avait pas de prestataires.
De leur côté, les plus grandes firmes comptables et les grands cabinets d’avocats rechignaient à prendre leur licence d’ offshore management company. Rama Sithanen a dû solliciter l’OCRA (NdlR, firme mondiale spécialisée dans l’offshore) pour lancer la première société offshore, à 50/50 avec Rogers, sous le nom d’International Management Mauritius (IMM), qui sera repris plus tard à 100 % par Rogers. En fait, le déclic a été l’ouverture de l’Inde aux investisseurs étrangers et la découverte du traité de notre non-double imposition avec la Grande péninsule, signé en 1983.
Cette dépendance vis-à-vis de l’Inde pose-telle problème ?
Tout l’offshore est effectivement concentré sur l’Inde. Aujourd’hui, on ne fait que préserver l’acquis de ce traité de non-double imposition. La réglementation, l’environnement fiscal et les amendements des lois sur les sociétés, les holdings et les autres entités sont modelés pour servir ce traité. Or, le travail avec l’Inde n’est que du travail de back-office il y a peu de valeur ajoutée ou de créativité. Dès lors, nous avons oublié de diversifier nos marchés et nos produits financiers. Nous sommes, par exemple, en train de trop négliger l’Afrique et la Chine. Nous devenons moins compétitifs que des juridictions comme les Seychelles. Nous avions de l’avance sur Singapour ou Hong Kong, par exemple, et nous nous sommes fait rattraper. Nos compétiteurs deviennent plus attrayants, ils innovent. Et nous perdons notre avantage comparatif.
Cela se répercute-t-il sur l’emploi ?
En ne faisant que du backoffice passif, l’île Maurice est devenue une nation de clercs. Nous n’offrons pas de formation taillée sur mesure qui permettrait d’avoir des professionnels pour le hub financier, alors que nous disposons d’un énorme bassin de diplômés. Le peu de compétences que nous avons est en train d’émigrer en raison de la stagnation et de la faible valeur ajoutée des services financiers. Au Luxembourg ou à Londres, par exemple, l’on voit beaucoup de Mauriciens qui occupent des postes avec de hauts niveaux de responsabilité. Si nous voulons vraiment lancer le secteur des services financiers à Maurice, nous risquons de ne pas trouver pas de main-d’oeuvre, et cela risque de créer une surenchère salariale.
Sur quels types de produits «offshore» pourrait- on se positionner ?
Il faudrait repenser à greffer l’offshore sur le port franc et le business régional. Dans la banque offshore, nous pourrions développer la gestion de patrimoine pour les fortunes africaines, à travers un réseau de petites banques privées. Nous pourrions également développer l’assurance et la réassurance. Dans le domaine maritime, il y a d’importants débouchés comme le financement, l’assurance, l’affrètement et l’enregistrement des bateaux. Pourquoi ne pas créer un pavillon mauricien performant ? Il ne faut pas oublier que nous avons un chantier naval. Les services financiers devraient constituer un véritable support des activités du port franc. Nous pourrions aussi développer des activités de protection de marques et de propriété intellectuelle. Dans le secteur aérien, nous avons un «private jet terminal», et pourrions donc faire du leasing et affréter des avions privés à des hommes d’affaires africains. Nous pourrions également financer les activités d’un hub de maintenance pour les compagnies aériennes de la région.
Propos recueillis par Pierrick PÉDEL 
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