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Kee Chong Li Kwong Wing : « L’Inde ne prend pas Ramgoolam au sérieux »
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Kee Chong Li Kwong Wing : « L’Inde ne prend pas Ramgoolam au sérieux »

L’économiste Li Kwong Wing ne mâche pas ses mots envers le gouvernement de Navin Ramgoolam, qu’il accuse d’amateurisme concernant la façon dont le problème du traité avec l’Inde a été géré. Il estime aussi que Maurice arrive toujours à enregistrer une croissance grâce à des activités au noir, qu’il évalue à 30 % de notre économie.
? Le ministre des Finances affirme que la situation économique est rose, mais qu’il a dû noircir le tableau pour avoir la sympathie de la Banque mondiale. Quelle est la réalité ?
Je ne sais pas quel type d’expert-comptable est Xavier Duval s’il conseille à ses clients de noircir le tableau pour obtenir un prêt. En général, une entreprise qui veut avoir un prêt dit que sa situation est bonne et que celle-ci va encore s’améliorer pour rassurer le banquier qu’elle pourra repayer. Tout ce que Duval a réussi à faire, c’est de nous faire passer pour un Etat voyou et une République menteuse. Oublie-t-il que la Banque mondiale a un représentant à Maurice ?
? La situation n’est donc pas aussi grave que cela ?
Nous sommes dans une situation où il n’y a pas de crise économique. Pour le moment. Techniquement, le pays n’est pas en récession, puisque nous avons toujours une croissance comprise entre 3 % et 4 %. Mais, nous sommes en récession sociale. Malgré le fait que le pays est en train de progresser, la majorité de la population s’appauvrit et l’inégalité s’agrandit.
? Comment est-ce possible quand nous sommes en croissance ?
C’est possible parce que la richesse, qui est en train d’être créée dans le pays, est faite à travers une structure économique inégale et une concentration de ressources entre les mains d’une poignée de personnes. Et la globalisation amène les multinationales dans le pays et tue les petites entreprises.
? Comment expliquez-vous le fait que nous ne sommes pas en récession économique ?
Parce que 30 % de notre économie est au noir. Face aux difficultés, certains – et ils sont de plus en plus nombreux – s’engagent dans des activités illicites, les paris illégaux, la prostitution, le proxénétisme, la contrebande, le trafic de drogue, les faux médicaments, les marchands ambulants, etc. Cela a créé une économie parallèle que j’estime à un tiers de notre économie.
? Autant que cela ?
Maurice est le numéro un mondial en termes de consommation de drogue. Vous imaginez ce que vaut ce business ? On parle de plus de 10 000 avortements par an. Donc, quand le gouvernement dit qu’il y a la résilience, ce n’est pas la résilience du gouvernement, mais celle de ces gens qui ris diab par lake. Il y a aussi ceux qui quittent le pays pour aller travailler ailleurs et envoient de l’argent chaque mois chez eux. Maurice est en train de rouler grâce à un matelas d’argent noir.
? Mais cela ne peut être la seule explication à une croissance de 3 % à 4 %.
Le secteur privé est en train de se débrouiller tant bien que mal en dépit du gouvernement…
? En dépit du gouvernement ? C’est lui qui passe des lois pour lui faciliter la vie, qui s’assure qu’il paie une taxe minimale, qui approuve ses projets...
Le gouvernement aurait pu faire beaucoup plus. D’ailleurs, l’investissement privé a baissé.
? Quand le secteur privé investi, il fait des IRS pour les vendre aux étrangers.
Nous avons une structure économique dans laquelle nous avons continué à protéger leurs privilèges et leur emprise sur les ressources. Comment les empêcher de chercher la meilleure façon de faire des profits rapides ?
? N’est-ce pas très irresponsable de leur part ?
Prenez l’exemple de Bagatelle. Au lieu d’utiliser ces terres tellement fertiles pour assurer notre sécurité alimentaire et produire des choses qui nous aideraient à réduire nos importations, ils ont estimé que c’était plus facile de faire un grand projet de bétonnage anti-Maurice Ile Durable, antibiodiversité et qui détruit la partie la plus fertile de l’île parce que cela permet de faire des profits rapides. Le gouvernement encourage cela quand il enlève la Capital Gains Tax, quand il incite les étrangers à investir sans qu’ils paient de taxes sur les dividendes ou pour qu’ils rapatrient leur argent. Dans la logique du capitaliste, c’est mieux de faire ce genre de développement car le gouvernement l’encourage. Cela lui permet de dire que l’économie est en croissance, mais cela favorise aussi le mauvais type de croissance.
? Que voulez-vous dire par mauvais type de croissance ?
Prenez le Sugar Investment Trust (SIT) – régi par le Sugar Efficiency Act. Le but était d’amener les petits planteurs à participer dans le développement de l’industrie cannière et de démocratiser l’industrie sucrière. Aujourd’hui, le SIT est en train de faire des morcellements, de la spéculation foncière.
? Vous dites que la crise n’est pas encore là. Arrivera-t-elle jusqu’à nous ?
Depuis l’indépendance, l’économie a fait une moyenne de 5,5 % de croissance. Depuis 2005, nous avons fait une moyenne de 4 %. Et depuis 2010, nous sommes passés en dessous de 4 %.
? Il y a un contexte économique extrêmement défavorable. Nos principaux marchés sont en Europe et celle-ci est en récession.
Quel est donc le rôle du gouvernement ? Quand il y a une crise, ce n’est pas à lui de diversifier et de restructurer ? L’Asie n’est pas en récession ! Nous sommes dans une situation où 80 % de notre économie dépend de l’Europe. La crise va durer encore cinq ans et il est possible que l’euro va disparaître. Comment va-t-on faire pour sortir de ce problème ? Personne au sein dece gouvernement n’a commencé à réfléchir sur une restructuration de notre économie. Nous parlons de réforme électorale, d’alliance électorale, d’avortement pour qu’il y ait une tension communale. Et savez-vous pourquoi Ramgoolam fait cela ? Pour assurer sa survie politique !
? Sa survie ne dépend-elle pas de la bonne marche du pays ? Si tout tombe à l’eau, ce sera lui le premier responsable !
Il mise sur le fait qu’une partie de la population sera toujours satisfaite de son sort, parce que leurs parents ont toujours vécu de façon très frugale. Ils vivent une certaine fatalité qui fait qu’ils donnent le bénéfice du doute au fils de SSR tant qu’il y a une paix sociale et que leurs acquis ne sont pas menacés. Puis, il pense qu’en divisant la population, il pourra mieux régner. Il réveille les animosités communales à chaque fois qu’il est en difficulté.
? En fait, la seule chose qui ne dépend pas de l’Europe est l’offshore. Or, celui-ci est menacé. Que se passerait- il si l’Inde résilie le traité de non double imposition ?
Nous n’avons rien fait, en ligne avec la politique de «jay de» de Ramgoolam. Nous avons un avantage que nous a donné l’Inde, mais nous dormons sur nos lauriers et continuons à traire la vache à lait. Tant que l’Inde avait besoin d’investissement, ça allait. Mais aujourd’hui, ce pays a beaucoup de réserves et peut donc se permettre de faire la fine bouche.
Il y a aussi des élections qui arrivent et il y a la pression populaire, puisque beaucoup de ministres ont été incriminés pour corruption. Donc, l’Inde doit montrer qu’elle prend l’affaire très au sérieux. On ne peut s’attendre, à chaque fois qu’on ira pleurer, invoquer «mo papa», parler de relations spéciales, que l’Inde acceptera. Et le gouvernement, croyant que ses supplications marcheront à tous les coups, n’a rien fait pour essayer de diversifier nos activités. C’est une faute grave puisque le traité est en danger depuis plus de dix ans !
? Quand vous dites «n’a rien fait», vous voulez dire que l’on n’a pas pris ces menaces au sérieux ?
Oui et depuis que Ramgoolam  est au pouvoir, Maurice n’a ratifié de traité de non double imposition avec aucun pays africain. Ramgoolam n’a jamais eu d’intérêt à développer une relation sérieuse avec l’Afrique et la preuve, c’est la nomination des personnes comme Doongoor, Lemaire, Lamvohee, Laridon, Raj Virahsawmy ! L’Inde, la Chine et la Russie veulent aller en Afrique puisque l’Europe s’est désengagée, mais nous ? Nou nek koze ! Donc, aucune stratégie vis-à-vis de l’Afrique, aucun fall back position vis-à-vis de l’Inde. Entre-temps, tous les pays avec qui nous avions des traités ont révoqué ou renégocié ceux-ci.
? Peut-être que Ramgoolam a des assurances que l’Inde ne va pas résilier le traité.
C’est là la clé du problème. Ramgoolam a toujours donné l’impression qu’il est le blueeyed boy de l’Inde, que tant qu’il est là, ce pays ne nuira pas à nos intérêts. Or, c’est clair aujourd’hui que l’Inde ne prend pas Ramgoolam au sérieux. Elle a donné assez d’indications en votant trois lois, pour montrer à quel point elle est sérieuse sur cette affaire de corruption. En sus de cela, ils ont préparé un livre blanc pour que le public puisse débattre de la question. Et Ramgoolam pense toujours qu’ils ne sont pas sérieux ? La position de l’Inde sur Maurice est très claire – ils disent que Maurice est en train de blanchir l’argent et le renvoyer en Inde.
? Est-ce vrai ?
Bien sûr que non. D’où la question : pourquoi l’Inde est-elle en train de nous jouer ce mauvais tour ? Cela démontre que Ramgoolam n’a aucune influence chez les Indiens. Son palmarès n’est pas bon, il n’a jamais nommé un ambassadeur de calibre dans la Grande péninsule, il n’a jamais utilisé le traité pour aider ce pays à investir ailleurs, il y a démantelé le bureau du Board of Investment et quand il y va, il veut rencontrer Imran Khan. Il n’est pas sérieux et l’Inde n’est pas en train de le prendre au sérieux !
? Vous dites que s’il y avait un autre Premier ministre, les choses auraient été différentes ?
Exactement. Ramgoolam est un bluffer et toute la question a été traitée de la manière la plus amateur qui soit par le gouvernement. Les Indiens en sont bien conscients. Pourquoi l’Inde est-elle en train de nous attaquer quand elle sait très bien que c’est injuste et que les allégations de blanchiment d’argent sont fausses ? Nous avons un accord d’échange d’informations avec ce pays. Nous l’avons sponsorisé pour qu’elle se joigne au groupe EGMONT, en 2007. C’est un groupe de pays dont les membres sont légalement obligés de coopérer pour l’échange des informations. Nous avons accepté qu’un Indien soit posté à l’ambassade de ce pays à Maurice pour qu’il puisse vérifier tous les livres – MRA, ministère des Finances, etc. Aucune des allégations n’a été prouvée.
? Pourquoi l’Inde continue à dire que nous sommes en train de blanchir l’argent ?
C’est un prétexte parce qu’ils n’ont plus besoin de Maurice.
? Cela ne fait donc aucune différence quel Premier ministre est au pouvoir. Pourquoi vous acharnez-vous sur Ramgoolam ?
Parce qu’il fait croire qu’il a des liens privilégiés avec l’Inde. Et il a le toupet de dire que ce pays l’a assuré qu’il n’allait jamais faire du mal aux intérêts de Chota Bharat (petite Inde). Dans ce cas-là, peut-il nous assurer, à son tour, que lors de la renégociation du traité, nous en avons un avec l’Inde qui est plus avantageux que celui que ce pays a donné à Singapour ? Peut-il s’assurer que l’Inde n’enlève pas l’exemption fiscale sur le Capital Gains des entreprises mauriciennes ?
? C’est exactement ce que l’Inde veut revoir.
Je croyais que Ramgoolam a dit que l’Inde n’allait pas faire du tort à nos intérêts ?
? C’est injuste de mettre cela sur le dos de Ramgoolam. SAJ aurait été Premier ministre, la situation interne en Inde n’aurait pas été différente et les choses auraient été les mêmes.
Anerood Jugnauth aurait diversifi é, il aurait dit : «Enough is enough, on s’en fout de l’Inde s’ils ne veulent pas de nous, allons chercher ailleurs ! On peut se passer de ces Indiens, tournons-nous vers la Chine, le Singapour, le Zimbabwe.»
Propos recueillis par Deepa BHOOKHUN
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