Publicité

Kishore Beegoo : « Notre produit touristique est dépassé »

3 août 2011, 10:21

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

lexpress.mu | Toute l'actualité de l'île Maurice en temps réel.

Le Managing Director de «Cargotech Ltd» et directeur d’«Air Mauritius répond aux questions d’Alain Barbé.

? Les hôteliers disent que les tarifs d’«Air Mauritius» sont trop élevés. Qu’en pensez-vous ?

Si les tarifs d’Air Mauritius étaient trop élevés, d’autres lignes aériennes seraient venues desservir l’île et proposeraient des tarifs moins onéreux. Mais ce n’est pas le cas. Pourquoi des ténors comme Air India, Virgin, Singapore Airlines, Cathay Pacific, Lufthansa, Alitalia, Kenya Airways et tant d’autres ont-ils cessé de desservir Maurice ? Réponse : la desserte n’est pas rentable. Les tarifs de certains hôtels sont élevés et pour cette raison, les clients se rabattent sur des bungalows ou des hôtels avec moins d’étoiles.

? Vous voulez dire que le gouvernement a continuellement ouvert le ciel à d’autres transporteurs ?

Les lignes aériennes de certains pays, comme la Suisse, l’Espagne, l’Italie, la Chine, la Malaisie, Hongkong, la Thaïlande ou le Pakistan et l’Australie ont l’autorisation de desservir Maurice. Des accords ont été signés avec ces pays. Ces lignes aériennes disposent, au total de 3 640 vols annuellement, soit un million de sièges annuels. Mais ils ne viennent pas. La destination Maurice n’est plus aussi attrayante que par le passé. Mais les hôteliers blâment Air Mauritius et la politique d’accès aérien du gouvernement.

? Certains opérateurs veulent que l’on accorde deux vols supplémentaires, par semaine, à «Emirates», pour répondre à leurs besoins pendant la période de pointe. Votre avis ?

Cela devrait pouvoir se faire. De cette façon, les hôteliers n’auront aucune raison de blâmer Air Mauritius et le gouvernement si des vols supplémentaires ne les aident pas à remplirleurs hôtels haut de gamme. Mais il faut bien analyser la situation. C’est vrai qu’Emirates a aidé au développement touristique mauricien et a réveillé Air Mauritius. Mais en même temps, d’autres lignes ont été affectées.

? Les hôteliers font le lien entre le manque de capacité, en termes d’appareils et de sièges, et le faible taux de remplissage des hôtels…

Les lignes aériennes modulent leurs capacités durant l’année. En période de pointe, elles augmentent leur nombre de vols, alors que pendant la basse saison, elles les réduisent. Ce qui fait que leur taux de remplissage global est élevé. Air Mauritius ne peut pas augmenter ses vols s’il n’y a pas de passagers. Cela aura un impact sur sa performance financière. La vérité, c’est qu’il y a trop d’hôtels cinq-étoiles ! Or, ce n’est pas ce type d’hôtels que la plupart des clients recherchent. Les clients sont très bien informés. Ils connaissent les prix des chambres d’hôtels dans différents pays, et aussi les prix de la nourriture.

Et comme les prix sont affichés en euros, la comparaison saute aux yeux. Pour la plupart des nouvelles chambres d’hôtels qui sont arrivées sur le marché, les prix sont plutôt élevés, alors que pour certaines nouvelles lignes aériennes, les prix sont plus compétitifs que les lignes aériennes conventionnelles. Aujourd’hui, l’industrie hôtelière mauricienne ne semble plus offrir un produit qui correspond aux besoins des clients. Si les hôteliers n’ont pas fait le bon choix dans leur investissement, le gouvernement et Air Mauritius ne peuvent pas en être tenus responsables.

? Qu’est-ce qui explique, selon vous, la baisse de la marge de profits des hôteliers ?

Les hôteliers auraient dû prévoir des réserves pour des périodes de disette. Mais que voit-on ? Ils ont investi dans la région et certains ont des dettes de plus de Rs 5 milliards. N’auraient-ils pas mieux fait de revaloriser leurs produits locaux ? Aussi, les touristes préfèrent désormais visiter plusieurs destinations et séjournent rarement longtemps au même endroit. Ils préfèrent cette formule à des vacances de longue durée. Nous sommes en retard en ce qu’il s’agit de l’écotourisme. Notre produit touristique est à la traîne. Il est resté presque le même durant ces 30 dernières années. Plusieurs hôtels cinq-étoiles ont eu à réduire les tarifs pour attirer plus de touristes. Il y a donc un prix que le client est prêt à payer. Voilà pourquoi les hôtels trois-étoiles sont remplis. Certes, il y a toujours des clients qui iront dans les cinq-étoiles. Mais ce marché spécifique semble avoir atteint ses limites.

? Vous voulez dire que Maurice n’est plus une destination touristique de choix ?

C’est une réalité. Il y a d’autres destinations qui ont dépassé Maurice, en termes de visibilité, d’accessibilité, de value for money et de qualité, comme les Seychelles, les Maldives, le Maroc. La Mauritius Tourism Promotion Authority (MTPA) est aussi à la traîne pour ce qui est du marketing. On peut se demander quel type de clientèle la MTPA a ciblé, car il y a de plus en plus de touristes qui vont dans des bungalows. Les hôtels deux et trois-étoiles sont remplis. Comment expliquer que les arrivées soient en hausse et que le taux de remplissage de certains hôtels soit faible ? Il faut tout effacer. Tout est à refaire. Il faut repenser le produit touristique mauricien dans son ensemble. La façon dont la MTPA comptabilise les arrivées touristiques doit aussi être revue. Ne sommes-nous pas en train de compter parmi le nombre de touristes, les Mauriciens, qui ont longtemps vécu à l’étranger, qui ont des passeports français, anglais, australiens, ou autres et qui viennent rendre visite à des amis ou parents ? Cela, pour montrer que le nombre de touristes augmente. Notre produit hôtelier n’est pas, pour l’instant, adapté aux touristes chinois ou indiens. Il faut créer de nouveaux produits et se focaliser sur la qualité avant de faire la promotion auprès d’autres marchés, afin d’ éviter de faire des dépenses inutiles. Il ne suffi t pas de dire qu’il y a un manque de sièges.

? Mais n’est-il pas temps de revoir le «business model» d’«Air Mauritius» ?

Les 16 000 actionnaires de la compagnie nationale d’aviation s’attendent à ce qu’Air Mauritius fasse des profits et paie des dividendes. Les hôteliers veulent qu’Air Mauritius opère des vols supplémentaires pour pouvoir améliorer le taux de remplissage deschambres d’hôtels… Quelle solution doit-on choisir ? Air Mauritius devrait peut-être racheter les parts de ses actionnaires existants et en offrir une part appropriée à l’industrie hôtelière, afin que les hôteliers y investissent une partie de leurs profits. Cela aidera à couvrir les pertes subies par Air Mauritius, si l’on devait transporter des touristes en provenance de certains marchés.

? Vous dites, donc, que le «business model» d’«Air Mauritius» est bel est bien dépassé ?

Oui. C’est aussi le cas pour l’industrie hôtelière et la MTPA. Tous sont arrivés la fi n d’un cycle. La destination Maurice, la MTPA, le secteur hôtelier, Air Mauritius, chaque partie doit faire son mea culpa. Du côté d’Air Mauritius, on voit qu’elle doit faire face à une plus rude compétition. La compagnie nationale d’aviation subit aussi des pressions en ce qu’il s’agit de sa performance financière. Alors que ses coûts d’opération, dont 40 % concernent l’achat de carburant, augmentent. Les touristes veulent des vols plus fréquents, depuis le pays d’embarquement jusqu’à la destination, mais Air Mauritius n’est pas en mesure de satisfaire tout cela avec sa flotte existante. Air Mauritius a donc atteint la fin d’un cycle.

Mais la différence, c’est qu’André Viljoen, l’acting Chief Executive Officer d’Air Mauritius, a initié des démarches auprès d’un cabinet de consultants pour une évaluation des nouvelles conditions de marché et établir un nouveau business model afi n de pouvoir répondre aux besoins des hôteliers et des Mauriciens. Air Mauritius s’est montrée disposée à revoir entièrement ses objectifs. Contrairement aux hôteliers et à la MTPA, qui, au lieu d’accepter les nouveaux impératifs du marché,

Propos recueillis par Alain Barbé

Alain Barb

Publicité