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La Sentinelle: Trois hommes, une voix
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La Sentinelle: Trois hommes, une voix

Le 50e anniversaire de «l’express» – célébré aujourd’hui – coïncide avec une nouvelle direction à la tête de l’entreprise propriétaire du journal cinquantenaire, «La Sentinelle Ltd». Ce triumvirat est composé du président exécutif Philippe Forget, du directeur général Denis Ithier et du directeur des publications Nad Sivaramen, en fonction depuis un peu plus d’une semaine. Les trois hommes expliquent pourquoi 50 ans après, un retour aux sources et une remise en question sont nécessaires.
Denis Ithier est «dans la maison» depuis 23 ans, ancien responsable du département marketing avant de faire ce qu’il appelle «une parenthèse malgache» qui a duré deux ans avant de revenir à La Sentinelle Ltd (LSL). Il est directeur général depuis 2010.
Nad Sivaramen débarque à l’express en 1997 en tant que secrétaire de rédaction mais il fera, lui, une «parenthèse américaine» dix ans plus tard, délaissant ainsi le poste de rédacteur en chef de l’express-dimanche.
Philippe.A. Forget, fils de l’un des fondateurs de l’express, le Dr Philippe Forget, est l’ancien N° 2 de la Mauritius Commercial Bank et un des actionnaires de LSL. L’intérêt qu’il porte à l’express est connu et Denis Ithier se souvient d’ailleurs de lui en 1990 «lors du fameux editorial board quand il était un participant actif, engagé».
Mais, déjà, une ambiguïté. Cette direction collégiale, ne fait-elle pas voler en éclats ce dont l’express s’est publiquement flatté des années durant ; la séparation complète de la direction et donc du conseil d’administration de la rédaction ? Pour Philippe Forget, la question n’est pas là. «Il est clair que le contenu éditorial ne doit jamais être tributaire des besoins de la direction économique. Il ne faut pas du dirigisme à la Rupert Murdoch et il n’y en a jamais eu car il y a toujours eu au sein de l’express ce respect du contenu éditorial», affirme-t-il.
C’est juste que, dans le passé, «et ce, pour une grande partie des 50 dernières années, le modèle d’un homme fort a été central à l’express mais il faut savoir que ni le père Forget ni Jean Claude de l’Estrac ne séparaient le management de la rédaction ; il n’y a jamais eu de clivage», ajoute le président exécutif. Car, pour lui, «avant de pouvoir donner son opinion libre, il faut être libre financièrement. Et d’autre part, la liberté éditoriale ne peut pas vouloir dire la liberté des journalistes de faire ce qu’ils veulent d’un journal car la ligne éditoriale devrait pouvoir aussi transpirer du board, des propriétaires».
Cette déclaration, tout aussi à contre-courant qu’elle puisse sembler, ne devrait pas l’être, semble vouloir dire Denis Ithier, car l’express, c’est avant tout «des valeurs immuables. Quand on se replonge dans la sélection d’éditoriaux du Dr Forget, on réalise que ces valeurs sur lesquelles l’express a été fondé sont toujours d’actualité ; le respect de la vie des gens, la méritocratie, le mauricianisme, le bien commun etc.». (NdlR : un ouvrage intitulé L’avenir seul choix possible, une sélection d’éditoriaux du Dr Forget publiés entre 1963 et 1984, sera lancé ce soir pour célébrer l’anniversaire de l’express).
«Tout à fait, les textes du Dr Forget sont toujours d’actualité. Concernant le Best Loser System, ne disait-il pas à l’époque que les racistes vont être heureux dans leurs tombes ?» renchérit Nad Sivaramen, le directeur des publications. Ce dernier sera chargé, entre autres, de veiller au renouvellement de la ligne éditoriale de l’express.
Philippe Forget est on ne peut plus d’accord : «Notre 50e anniversaire est un bon prétexte pour se retremper dans cette sauce de départ. J’estime qu’il y a une balance intéressante à faire car il faut retrouver une ligne éditoriale et, en même temps, rester une plate-forme d’opinion car l’opinion n’est pas unique et c’est du débat d’idées que les avancées majeures se font.»
Retrouver une ligne éditoriale. L’avait-on perdue ? Dilué, dit Nad Sivaramen, car avec la multiplication des titres de LSL, «la ligne éditoriale s’est dispersée. Nous avons une multitude de rédacteurs en chef et chacun pense différemment». Mais tout aussi souhaitable que cela puisse l’être car le triumvirat dit ne pas croire dans la pensée unique et estime que c’est une bonne chose que chaque rédaction garde sa spécificité, «il faut s’assurer que les valeurs immuables de LSL se retrouvent dans tous nos titres, ce qui n’est pas toujours le cas actuellement».
Ce qui ne veut pas dire que la nouvelle direction pense que la crédibilité de l’express a été entachée. «Le profil de celui qui lit un journal est capital ; les décideurs lisent les journaux de référence, les gens qui sont à la tête des affaires lisent les journaux de référence. D’ailleurs, on a vu que l’on ne gag que les journaux de référence, n’est-ce pas ? C’est symptomatique de quelque chose», dit Philippe Forget. Et le trio ne pense pas non plus que la campagne de dénigrement et de boycott du gouvernement a eu un effet sur la crédibilité du journal. «L’histoire ne fait que se répéter. Régime après régime, année après année, il y a des directives de boycott mais 50 ans après, on est toujours là», argue Denis Ithier. Pour Philippe Forget, «le but principal de la campagne de boycott était plutôt une affaire de nou bann. Or, les chiffres en termes de lectorat de ce segment visé démontrent que la campagne n’a pas marché».
Mais Denis Ithier met un bémol. «Si ce boycott n’a pas entamé notre crédibilité, il a, par contre, rendu essentielle une restructuration de l’entreprise ; n’oubliez pas qu’à cause du boycott, nous avons perdu Rs 80 millions en sept ans. Quand on pense à toutes ces personnes dont on a eu à se séparer, on se dit qu’ils ont payé le prix du boycott. A ce niveau là, oui, ils ont réussi à nous faire du mal mais nous mettre à genoux ? Certainement pas !»
Quand la situation financière d’un journal est vulnérable, cela ne risque-t-il pas de compromettre la liberté éditoriale étant donné que Philippe Forget affirme qu’ «avant de pouvoir donner son opinion libre, il faut être libre financièrement» ? La question fait sursauter. «Vous a-t-on déjà demandé de ne pas écrire un article parce qu’un annonceur nous a appelés ? Jamais !» Denis Ithier affirme qu’il faut comprendre quelque chose de fondamental : «Un annonceur ne ‘donne’ pas de la publicité. Il achète de la publicité dans un médium s’il est convaincu que l’express, par exemple, est le meilleur vecteur qui va véhiculer un message publicitaire. Donner de la publicité sans cette attente ou ce justificatif n’est pas un lien sain. Et je suis fier d’appartenir et de diriger une entreprise qui croit que la publicité ne se donne pas.»
Nad Sivaramen, l’inspecteur des rédactions, précise tout de même que «s’il y a une plainte en relation à un article publié, c’est clair que nous allons enquêter pour vérifier». Et à Philippe Forget d’ajouter que «si on se rend compte, par exemple, que soit il y a eu erreur, soit le journaliste a réglé des comptes, alors on est obligé de reconnaître notre erreur et cela nous rend penauds. Car on parlait de crédibilité plus tôt, mais à mon sens, ce n’est pas le boycott qui nous fait du mal mais plutôt des erreurs et autres dérapages».
C’est un sujet qui semble intéresser Denis Ithier. «Nous sommes à un moment de notre histoire où nous sommes en train de faire notre introspection et je pense qu’on a besoin d’être ouverts à la critique, de faire le point et d’être modestes. On n’a pas tout réussi et on a peut-être commis des erreurs et nous allons réparer ces erreurs si tel est le cas.» Nad Sivaramen est d’accord : «Tout à fait, nous allons désormais être plus rigoureux, faire preuve de plus de professionnalisme.»
Tout compte fait, l’idée d’une direction collégiale ne semble plus être aussi… contradictoire. Car l’entretien avait débuté avec une interrogation sur les difficultés inhérentes d’une direction collégiale. Et les trois hommes se sont évertués à expliquer qu’ils allaient «cogiter, débattre, discuter pour finalement ne parler que d’une seule voix». «Et cette voix unique, nous allons être trois à la porter», a ajouté Philippe Forget le plus sérieusement du monde. Face à notre scepticisme, le président exécutif explique. «S’il y a, au départ, une compatibilité de pensée, même si les angles sont différents, le corps de nos convictions et de nos ambitions est le même».
Nad Sivaramen viendra finalement à la rescousse avec une explication plus directe : «End, ways and means. Nous pouvons ne pas être d’accord sur la manière de procéder mais l’objectif est le même ; que le vaisseau amiral qu’est l’express consolide sa place de leader et aille très, très loin». Nous voilà fixés.
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