Publicité

Le Professeur Donald Ah Chuen : «Maurice doit devenir une plate-forme de services entre l’Asie et l’Afrique»

7 juin 2010, 08:03

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

lexpress.mu | Toute l'actualité de l'île Maurice en temps réel.

Le président du «board» d’«ABC Banking Corporation» évoque le potentiel de développement dans le secteur des services.

? Qu’est-ce qui motive l’entrée du groupe ABC dans la catégorie des banques commerciales?

La licence que nous a octroyée la Banque de Maurice (BoM), mardi dernier, s’inscrit dans la stratégie de diversification du groupe, qui brasse un chiffre d’affaires de quelque Rs 3 milliards, employant 1 200 personnes. Nous avons une bonne philosophie des relations humaines entre la direction, le management et tous les employés. C’est un travail d’équipe qui se fait dans les secteurs où nous sommes présents. Nous sommes déjà très présents dans les services financiers, que ce soit l’offshore, les assurances, les services de change ou le crédit-bail. Pour comprendre l’évolution du groupe dans ce créneau, il faut remonter aux années 1940. Le père fondateur, sir Jean Ah Chuen, en 1948, décide de participer à la création de Mauritius Union, au sein de laquelle nous sommes toujours présents. Il a été président du conseil d’administration pendant de nombreuses années.

Après le développement de nouveaux pôles d’activité tels que le courtage maritime et l’automobile, nous avons démarré, en 1998, un service de crédit-bail à travers l’ABC Leasing and Finance. Et deux ans plus tard, la BoM nous a donné l’aval pour la prise de dépôts. A ce jour, nous avons des dépôts dépassant les Rs 2 milliards. Le crédit pour le financement de véhicules, d’équipements ou de mobilier est d’un portfolio de crédit-bail dépassant les Rs 2 milliards. Avec plus de 10 ans d’expérience dans la gestion de fonds et de prêts, nous étions donc entrés dans une logique d’opération bancaire. La BoM a toujours encouragé les institutions financières non bancaires à monter en grade. En 2009, le groupe ABC avait démarré les pourparlers avec l’instance régulatrice. Cette licence en est l’aboutissement.

? L’ABC Banking Corporation est la 19e banque commerciale pour une population de 1,2 million. Ne croyez-vous pas que le marché est déjà saturé ?

Sincèrement, je pense qu’il y a encore du potentiel pour l’élargissement des activités bancaires, étant donné, surtout, que le développement économique de Maurice continue sur sa lancée. Le niveau de vie est sur l’ascendance. Avec la politique d’ouverture de l’économie en 2006, les acteurs ont compris la nécessité d’étendre leurs activités hors du territoire mauricien. Dans l’autre sens, des compagnies étrangères sont venues s’installer à Maurice. Ils sont nombreux, ces professionnels du monde financier, légal et d’ingénierie, à avoir déposé leurs valises chez nous. Avec tant de partenaires économiques, un nombre croissant de banques ne serait qu’à l’avantage du pays.

? Face à la concurrence déjà en place, comment comptez- vous vous en distinguer ?

Je ne suis pas en mesure de dévoiler ma stratégie de développement. Mais, une chose qui est sûre : c’est que nous miserons sur la qualité du service au client (le customer care), démarrant à l’accueil et se terminant avec le suivi attentionné du dossier, rapide et efficace. D’ailleurs, c’est ce qui a fait notre force au niveau du groupe. Nous sommes le benjamin dans cette catégorie. Il faut avoir une certaine modestie. Ce n’est pas en venant dire qu’en cinq ans, la banque sera plus grande que la MCB (Mauritius Commercial Bank) que nous progresserons. Notre vision s’installe dans le long terme. ABC Banking Corporation ne viendra pas ouvrir des succursales comme des petits commerces à travers le pays. Nous avons un devoir de responsabilité envers tous ceux qui nous ont fait confiance dans le passé et envers tous nos stakeholders et le public. Il y a les lois et les normes à respecter.

En parlant de customer care, prenez l’exemple d’ABC Motors. Quand un acheteur potentiel vient à l’agence, nous lui offrons le confort à l’accueil. Car nous croyons que cette personne est là pour dépenser Rs 500 000 ou un million sur un véhicule. Il faut donc lui accorder toute l’importance nécessaire.

Qui plus est, nos Sales Executives ne viendront pas lui dire que X, Y ou Z marques ou modèles ne lui conviendront pas. Nous l’écoutons, analysons ses besoins et offrons ce que lui convient le mieux. On peut plagier ce que fait une personne ou entité, mais il est impossible de copier sa personnalité. C’est cette attitude qui nous démarque les uns des autres et qui aide à établir cette relation de confiance entre le client et le vendeur.

? Vous avez été directeur de la banque de développement et de la banque centrale, et président de la Standard Bank, ces trois dernières années. En tant que banquier, croyez-vous que la BoM devrait baisser le taux directeur pour répondre à l’urgence du marché ?

A part moi, d’autres membres de la famille ont déjà été ou sont toujours directeurs dans des conseils d’administration dans le secteur bancaire. La crise de l’euro, qui affecte dans une certaine mesure nos exportateurs locaux, est propre à l’Europe alors qu’à Maurice, il y a une bonne stabilité économique et financière. Et comme le gouverneur de la BoM, Rundheersing Bheenick, l’a déjà souligné, les indicateurs macroéconomiques fondamentaux de notre pays sont solides. La banque centrale surveille la situation de près. Il faut donc continuer à être vigilants sans nécessairement prendre des mesures hâtives et dans la panique.

? En tant qu’un des capitaines de l’économie mauricienne, dans quelle direction pensez vous que le pays devrait s’engager, en tenant compte de la nouvelle donne mondiale ?

Maurice est un pays stable du point de vue économique, politique et social. Nous sommes cités en exemple par des instances internationales telles que la Banque mondiale. Et les pays africains viennent puiser de nos réussites pour les adapter chez eux. En termes chiffrés, d’un produit intérieur brut de quelque 500 dollars par tête d’habitant à la fi n des années 1960, nous sommes passés à 10 000 dollars. Il faut maintenant viser un revenu de 20 000 dollars par tête d’habitant dans les prochains 10 à 15 ans. Aujourd’hui, je pense que Maurice devrait travailler sérieusement pour devenir le Singapour de l’océan Indien, être une plate-forme de services, un pont entre l’ensemble de l’Asie et de l’Afrique. Quelles sont nos forces ? D’abord, Maurice est un centre de services financiers répondant aux normes internationales. Ensuite, l’éducation tertiaire sera un atout, avec l’arrivée des universités étrangères dans le pays, qui formeront non seulement des locaux mais également ceux venant d’Afrique . Mais, en parallèle, il faudrait toujours s’assurer que nos marchés d’exportations restent intacts et continuent à enregistrer une croissance et un élargissement.

? Et en termes de piliers de l’économie, quels sont ces secteurs à consolider ?

Le seafood hub a un potentiel énorme. Notre atout est notre zone économique exclusive de deux millions de kilomètres carrés, mais que pillent d’autres pays car nous ne sommes pas en mesure d’en assurer la surveillance. Au niveau de la transformation, qui est en nette hausse, nous n’avons pas l’expertise voulue, ce qui empêche une belle croissance dans le secteur. Au vu de cette situation, je postule pour la création d’une Seafood Production & Export Development Authority, un modèle à l’image de ce que fut l’Export Processing Zone Development Authority pour le textile. Il est bon d’attirer l’attention sur le fait qu’en Inde, ils ont commencé à accorder une attention particulière au développement de ce secteur en 1972, année où nous avions démarré la zone franche, en créant une telle instance d’Etat.

Il faut une focalisation séparée pour ce secteur, qui demande une expertise différente de celle du textile. Cette nouvelle instance aura pour mission de solliciter les multinationales étrangères, les pays ayant une connaissance dans le domaine, tels que la Chine, l’Inde et les Philippines, au nom des producteurs locaux. C’est en nous associant à l’expertise étrangère que nous pourrons vraiment atteindre le palier supérieur pour ce secteur. L’enseignement supérieur commence à se développer et deviendra certainement un pilier économique important du pays.

Propos recueillis par Kamlesh BHUCKORY

Publicité