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Les Kader Saeed, marchands de pistaches depuis des générations

15 février 2014, 20:00

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Les Kader Saeed, marchands de pistaches depuis des générations

Chez les Kader Saeed, vendre des pistaches, c’est une histoire de famille. Bibi Bilkiss, qui a repris le flambeau de ce business familial, brave soleil et mauvais temps pour faire tourner son petit commerce et nourrir sa famille.

 

Port-Louis, 11 heures. On est en février. La chaleur est étouffante. On dirait que le soleil veut m'écorcher vive. Vite, à l'ombre. Je tente de me faufiler dans ce labyrinthe humain. Direction la gare du Nord. «Pistass madam ?», me lance une dame, m'interrompant dans mes pensées. Je lève la tête et me retrouve nez à nez avec un visage marqué par le temps et un sourire édenté. Ce visage me dit quelque chose mais la chaleur m'embrouille l'esprit. C'est la marchande de pistaches grillées de la gare du Nord ! Bibi Bilkiss Kader Saeed, 49 ans, vend les pistaches grillées «Virginia» qui ont marqué mes années de collège. Ça fait longtemps qu'elle squatte ce petit bout de la gare. Mais comment fait-elle pour garder son business à flots alors que la concurrence est rude et rôde à chaque coin de rue ?

 

Un métier, un gagne-pain

 

Bilkiss me dit d'emblée que c'est un métier très dur. Il faut faire face à la chaleur, au soleil, aux concurrents et aux longues heures de travail. Ses journées commencent vers 5 heures et se terminent quand il n’y a plus âme qui vive à la gare. Malgré la dureté du labeur, elle n’a renoncé à aucun moment car c’est son seul gagne-pain, la seule chose qu’elle sache faire et qu’elle fait bien. C’est grâce à ce métier que Bilkiss a pu subvenir aux besoins de sa famille et élever seule ses cinq enfants.

 

La vie ne lui a pas fait de cadeau. «J’ai dû confier mes enfants à une nounou pour aller vendre mes pistaches», explique-t-elle. Etant à la fois la maman et le papa, elle devait s’assurer que la maisonnée ne manque de rien. Très peu de vendeurs arrivent à tenir le coup. D’ailleurs, nombre de ses concurrents ont plié bagages. Mais Bilkiss, elle, a su instaurer une confiance avec ses clients et a acquis une certaine notoriété après 33 ans dans le métier. Elle raconte qu'elle a commencé à l'âge de 16 ans, emboîtant le pas à son père et aux autres hommes de la famille qui ont aussi exercé le métier.

 

Chez les Kader Saeed, la vente de pistaches se transmet de génération en génération. D'ailleurs, la marchande de pistaches grillées me montre sa fille, Nafisa, du doigt, m'indiquant que c'est elle qui prendra la relève. Continuant son récit, elle m’explique qu’elle est tombée dans la marmite (karay serait plus appropriée) très jeune. Elle a appris les rouages du métier en regardant faire son père.

 

Découvrez Bibi Bilkiss Kader Saeed qui nous raconte comment à 7ans

elle a grillé ses premières pistaches.

 

Aujourd’hui, ses enfants sont grands et participent activement au business familial. «Les efforts fournis ont fini par payer», me lance-t-elle. Une lueur illumine ses yeux et ses traits se transforment en une grimace à mi-chemin entre fierté et humilité quand elle parle de ses enfants qui ont suivi ses pas. Bilkiss bouillonne d’idées pour faire prospérer l’affaire familiale. Un pas a déjà été franchi avec la création de sa société Bilkiss Trading qui lui permet de commercialiser ses pistaches à travers l’île. Malgré le peu d’éducation qu’elle a reçue, la dame est fin stratège. Elle a même diversifié ses activités, vendant des gâteaux en tout genre, notamment «sèvre», «gâteau cravate» salé et sucré, et des fruits. Mais ce qui fait marcher son commerce, ce sont les pistaches grillées.

 

Notoriété internationale

 

Bilkiss me confie que ses clients sont fidèles et ne peuvent pas quitter la capitale sans un petit sachet dans le sac ou la poche. Son métier lui a aussi permis de rencontrer des gens venus des quatre coins du globe. «J’ai eu des clients qui viennent d’Italie, du Canada, des Etats-Unis, de La Réunion, de France et aussi de Suisse.» Elle suscite ma curiosité. Mais qu’est-ce qui les attire tant ? «La qualité du service et la propreté», répond Bilkiss. «Sans compter la préparation qui est spéciale»,  ajoute-t-elle d’un air mystérieux.

 

Elle accepte de me livrer ses secrets. Commence alors une explication minutieuse de la fabrication de pistaches grillées. Il faut les mettre à bouillir avant pour éliminer toute la graisse.«C’est important ! Les clients font attention à leur santé. Je me dois de faire pareil», explique Bilkiss. Ensuite, place au grillage. Un grand feu allumé sur un four alimenté au pétrole, un récipient pour mettre les pistaches, du sable et du sel vont permettre d’obtenir les délicieuses pistaches. «Tout est dans la manière de mélanger les ingrédients. C’est un travail très dur que de griller les pistaches. Il faut des mains solides», explique-t-elle.

 

Torréfier la pistache n'est pas une mince affaire.Il faut avoir des bras solides .Voyez vous-même.

 

 

Depuis que je lui parle, plus d’une dizaine de personnes ont défilé chez la marchande de pistaches pour s’en offrir un petit sachet. J’en profite pour leur demander leur avis sur les pistaches achetées. «C’est propre ici et le goût est différent. Madam la so pistass meyer. Touletan mo aste ici mem», me dit Balack, un client fidèle. Ismet Rosana Ally raconte, lui, qu’il achète chez Bilkiss régulièrement et depuis plusieurs années. Je comprends mieux pourquoi elle ne bouge pas de ce petit coin de la gare. C’est là qu’elle donne rendez-vous à ses clients tous les jours de l’année, qu’il fasse beau ou qu’on soit en alerte cyclonique.

 

Bilkiss cèdera la place à ses enfants plus tard, dans un futur très lointain. Quand on a un «don», me dit-elle, il faut savoir l’utiliser.

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