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Lindsey Collen : « Heureuse que le jury ait compris les méthodes de la police »

21 juillet 2012, 06:52

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Lindsey Collen a adhéré à «Justice», une organisation qui lutte contre la brutalité policière. Un problème auquel elle s’intéresse depuis un moment. Elle estime qu’il y a un décalage entre la masse et l’élite, qui vit dans la dénégation, d’où la réaction du Premier ministre au verdict.


? Depuis le verdict dans l’affaire du meurtre de Michaela Harte, les autorités mauriciennes semblent être en état de dénégation en ce qui concerne les failles de l’enquête, de même que la brutalité policière. Comment l’expliquez-vous ?

Je pense que cela a en partie à voir avec le fait que cette affaire a été médiatisée, puisque Michaela Harte était une célébrité dans son pays. Cela devient, malheureusement, un peu comme un feuilleton. Cela met forcément la pression sur la police, ce qui explique les erreurs, puisqu’elle bâcle l’enquête. Il y a aussi le fait que l’on a paniqué parce que le meurtre de Michaela Harte est devenu comme un crime de lèse-majesté contre l’industrie du tourisme.

? Nadine Dantier, par exemple, n’était pas une célébrité, pourtant la police avait aussi bâclé l’enquête. Avec pour résultat que l’on ne sait toujours pas qui est le coupable !

C’est vrai et c’est intéressant de mentionner le cas de Nadine Dantier parce qu’il y a des similitudes. Dans ce cas, la police avait aussi envie de boucler son enquête au plus vite. Et des faussetés avaient filtré dans la presse comme quoi l’on avait trouvé le téléphone portable de Nadine Dantier en la possession de Marcelin Azie. Je me souviens avoir pensé que l’enquête semblait avoir été bouclée et être concluante. Alors qu’en vérité, c’était faux. Mais parce que Marcelin Azie avait soi-disant confessé, la police trouve subitement d’autres éléments qui viennent se coller à cette confession.

? La police n’a tiré aucune leçon des affaires Nadine Dantier et Vanessa Lagesse, pour ne citer que celles-là.

Non, aucune. Car l’affaire Vanessa Lagesse était défi nie par la brutalité policière. La torture dont a été victime Bernard Maigrot a été bien documentée. Et, quand il a fait sa supposée confession, c’est en fait ce que la police met dans sa bouche. Or, Martine Desmarais, chez qui Bernard Maigrot était à l’heure du meurtre, a dit qu’elle savait exactement quelle heure il était parce qu’elle venait de réprimander ses enfants qui regardaient une vidéo. Mais cette version ne cadrait pas avec ce que la police voulait et, donc, ils l’ont torturée pour s’assurer que ce qu’elle dirait correspondrait avec ce qu’ils avaient fait dire à Maigrot.

? La «Major Crimes Investigation Team» de Prem Raddhoa avait été démantelée à la suite de la dénonciation de ses méthodes. Or, cette fois, le Premier ministre les défend au Parlement.

C’est le denial, encore une fois. Il y a une cassure de classe. Ceux qui sont en train de défendre la police, se trouvent, en général, au plus haut échelon de la société. Ils ont une fausse idée que la brutalité et la torture sont le prix qu’il faut payer pour qu’il y ait l’ordre et la paix dans la société.

Il faut comprendre d’où cela vient. Rama Valayden l’a dit et c’est tout à fait vrai : notre société a été créée à l’époque de l’esclavage et a évolué durant celle de l’engagisme. Nous avons eu un régime colonial assez dur à Maurice et la violence a fait partie de la fondation de notre société on a utilisé la violence pour contrôler et dominer les autres. Nous avons compris cela quand nous avions organisé la campagne de témoignages officiels de torture, de 2003 à 2009.

? C’est-à-dire ?

A un moment, nous avons réalisé qu’il y avait trop de torture dans la société. Pire, que c’étaient nous, les contribuables, qui contribuaient à financer cette torture. Nous avons eu des témoignages à l’effet que la police mettait des fourmis rouges dans le caleçon des détenus. Quelqu’un est allé chercher ces fourmis, les a mises dans un bocal, a mis le bocal dans le tiroir d’un meuble, dans un bureau, pour lequel, nous les contribuables, payons. Ils utilisent notre argent pour acheter des appareils électriques pour électrocuter les organes génitaux des hommes… Quand on accepte que la torture existe, quand les témoignages vous le confirment, cela casse la dénégation. Et la masse, elle, n’est pas en denial parce qu’elle connaît des gens qui ont vécu cela. Parce qu’elle connaît quelqu’un qui connaît quelqu’un qui connaît quelqu’un qui a subi cela.

? Mais comment expliquez-vous que le Premier ministre a nié au Parlement qu’il y avait brutalité policière ?

D’abord, le Premier ministre a dépassé les paramètres de son rôle. Un représentant de la branche exécutive du Parlement ne peut pas critiquer la décision du judiciaire ainsi. Ce n’est pas normal.

Le problème est encore plus grave quand on réalise qu’il y a une Commission des droits humains qui ne consiste actuellement que de Dhiraj Seetulsing. Il agit comme la reine dans Alice au pays des merveilles. La reine disait : «Sentence fi rst, verdict afterwards.» Ici, c’est «le verdict et la sentence avant, on examinera les évidences de brutalité policière après.» Dhiraj Seetulsing dit qu’il ne peut enquêter sur aucun cas de brutalité policière si la personne est accusée d’un délit. Or, si une personne est arrêtée, tout dépendra de la confirmation ou pas qu’elle a été battue pour qu’une confession soit obtenue d’elle.

? On a déjà évoqué les problèmes qui se sont répétés dans le cas Harte. Mais rien n’a changé. Cela veut-il dire que la police, la Cour et les médecins ne prennent pas la torture au sérieux ?

En tout cas, le jury dans l’affaire Harte, qui représente la masse, a décodé la parole de la police. Dans la masse, les gens savent ce n’est que l’élite qui ne sait pas. Ils ont su que la confession de l’un des suspects a été obtenue après qu’il a été sous le contrôle total de la police. Ils ont su ne pas croire le témoin principal de la poursuite parce qu’ils ont compris qu’avant de témoigner, cette personne avait passé du temps sous le contrôle de la police. C’était même unanime.

? Pourtant, le Premier ministre, d’après ce qu’il a dit au Parlement, ne semble pas penser que la confession soit un problème !

Il faut qu’il comprenne qu’il y a quelque chose d’archaïque dans ce système. Si une personne plaide non coupable en Cour, c’est à la poursuite de prouver qu’elle est coupable, ils ne peuvent pas venir dire «ou ti dir». Et pas que «ou ti dir», mais «ou ti dir» quand vous étiez enfermé dans une cellule, sous le contrôle absolu de la police.

Le nouveau Police and Criminal Evidence Act que le gouvernement va voter, ne va pas changer les choses s’il ne contient pas la même clause que la version britannique en ce qui concerne la confession. Dans la loi anglaise, on stipule que, dans des cas où la police se base sur une confession, s’il y a des représentations faites à l’effet que celle-ci a été obtenue de force, la confession est caduque et la Cour se doit de la mettre de côté. Excepté dans les cas où la police peut prouver beyond reasonable doubt qu’elle n’a pas été obtenue de force. Sans cette clause, la nouvelle loi ne va pas régler le problème. Au cas contraire, cela va tout de suite changer le comportement de la police. En résumé, je pense qu’il faudrait être plus Sherlock Holmes et moins Gestapo.

? Que pensez-vous de la décision du gouvernement de demander l’aide de la police étrangère ?

Je crois que c’est plutôt un damage control qu’ils veulent faire. Mais, il faut définitivement qu’il y ait une enquête sur ce qui s’est passé. Il y a trop de zones d’ombres : sur cette affaire de démantèlement de baignoire, etc. Qui l’a ordonné ? Pourquoi ? La police dit que les responsables de l’hôtel n’ont pas coopéré, etc. On sait aussi qu’il y avait des empreintes sur les verres fumés de Michaela Harte et sur la fausse carte qu’ils ont trouvée dans la chambre. Les empreintes n’appartiennent ni aux deux accusés, ni au mari, ni à la victime. Mais on ne sait pas à qui elles appartiennent puisque la police, soit par négligence, soit pour une autre raison, n’a pas cherché à savoir.

? Et vous, étiez-vous étonnée de ce verdict d’acquittement ?

Moi, j’ai été heureuse que le jury ait compris les méthodes de la police. Mais n’avez-vous pas entendu Ramgoolam dire que beaucoup se sont étonnés de ce verdict ? En fait, il parle de tout le monde dans son cercle. Parmi, les médecins, les avocats – ceux qui ne font pas d’affaires criminelles –, les académiques, etc., sont en dénégation. Il faut dire à Navin Ramgoolam qu’il faut qu’il arrête, lui aussi, d’être in denial. Car la masse, elle, ne l’est pas. Et c’est pour cela qu’elle a pu décoder le message, qu’elle s’est prononcée contre la torture. C’est seulement l’élite qui ne comprend pas.

Propos recueillis par Deepa BHOOKHUN
(Source : l’express, samedi 21 juillet 2012)

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