Publicité

Marc Hein : « Les règles de bonne gouvernance seraient bafouées dans certaines compagnies »

16 janvier 2014, 08:43

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

Marc Hein : « Les règles de bonne gouvernance seraient bafouées dans certaines compagnies »

Réagissant aux nombreuses plaintes déposées par des actionnaires minoritaires, le président de la Financial Services Commission (FSC) met en garde les directeurs qui privilégient leurs intérêts personnels. Marc Hein fait également le point sur les relations entre l’Inde et Maurice concernant le traité de non double imposition.

 

 

Quelle est la tendance affichée par les plaintes provenant d’actionnaires minoritaires déposées auprès de la Financial Services Commission (FSC)?

 

La FSC traite les plaintes qui lui sont rapportées si elles concernent les compagnies réglementées par ses soins. Il m’est cependant très désagréable d’entendre dire comment les règles de bonne gouvernance sont apparemment bafouées dans certaines compagnies. Il faudrait que les directeurs se rappellent que leurs obligations doivent être orientées vers les intérêts de la compagnie et non les leurs. Ils devraient, en outre, relire la section 143 de la Companies Act 2001 selon laquelle les délits commis contre cette législation sont punissables de fortes amendes et de longues peines d’emprisonnement. Les directeurs peuvent aussi être passibles de délit par action ou par inaction. Ceux qui siègent à un conseil d’administration et laissent passer des décisions illégales sans broncher devraient également réaliser qu’ils sont personnellement responsables au pénal comme au civil. Trop de directeurs siègent à des conseils d’administration et touchent leurs honoraires sans ouvrir la bouche ou oser aller contre les actionnaires ou directeurs dominants. Pire, certains touchent leurs honoraires et vont très peu aux réunions de conseils d’administration.

 

Quelle ligne de conduite les actionnaires minoritaires doivent-ils adopter étant donné les limites de leur actionnariat?

 

Ils doivent mieux s’organiser et assister, par exemple, aux travaux des assemblées générales, pour poser des questions et voter. S’ils ont peur ou ne savent pas comment procéder, ils devraient alors se faire représenter professionnellement à ces assemblées générales. Ils peuvent aussi se plaindre auprès du Registrar of Companies s’ils pensent que leur compagnie a quelque chose à se reprocher. Je crois au libéralisme. Or, ce système ne peut fonctionner que si le principe de la démocratie fonctionne correctement au niveau des compagnies. Cependant, cette démocratie doit s’exercer d’après les règles strictes du droit des compagnies et les législations qui gouvernent les compagnies publiques.

 

Le Mauritius Institute of Directors fait du bon travail mais il doiten faire davantage. Il faut que cetorganisme veille surtout à la miseen pratique de ses recommandations.Les vérificateurs auxcomptes sont bien sûr les chiensde garde des actionnaires. Commedans toutes les professions, la plupartd’entre eux font correctementleur travail. Toutefois, je ne suis passûr que tous soient à la hauteur deleurs fonctions et aient le couragede se mettre debout contre certainsabus de la part de directeursdominants. La question de l’indépendance de certains auditeursdoit être réexaminée pour s’assurerqu’ils ne sont pas autrement etfinancièrement dépendants desdirigeants des compagnies qu’ilsauditent. Il faut que ces questionséthiques soient débattues au niveaudes associations professionnellesde comptables.

 

La contribution du secteur financier à l’économie nationale est traditionnellement considérable. Comment le secteur des services financiers s’est-il comporté en 2013?

 

Le secteur des services financiers est aujourd’hui un pilier majeur de l’économie mauricienne. Sa contribution au produit intérieur brut (PIB) de Maurice en 2012 a été de 10,3 %, avec des activités financières et d’assurances contribuant Rs 31,263 milliards au PIB dans un secteur qui emploie environ 15 000 personnes. Les responsabilités que cela implique sont énormes pour un régulateur tel que la FSC. Son rôle est indispensable pour maintenir le niveau de compétitivité dont le secteur a fait preuve. Il l’est aussi bien pour ce qui est de la mise en place et du maintien d’un cadre réglementaire solide avec un juste équilibre entre la nécessité d’une réglementation appropriée et le développement des affaires. La FSC a également joué un rôle majeur pour que la confiance des investisseurs dans le secteur financier ne fléchisse pas.

 

Quels ont été les plus importants défis auxquels la FSC a dû faire face?

 

Le défi des centres financiers est de s’assurer que les crimes financiers et autres pratiques abusives ne nuisent pas à leur réputation. La bonne santé du centre financier mauricien est le résultat, entre autres, du respect des normes imposées par les organisations internationales telles que l’International Association of Insurance Supervisors, l’International Organisation of Securities Commissions et l’International Organisation of Pension Supervisors. La FSC soutient pleinement les initiatives internationales visant à lutter contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme et à promouvoir les meilleures pratiques en matière de transparence et d’échange d’informations.

 

Avec le recul, quelle est votre analyse de la façon dont la FSC a géré les scandales associés aux plans d’investissement frauduleux plus connus comme les systèmes de Ponzi?

 

L’émergence de ces scandales a démontré que les Mauriciens ne sont pas protégés contre des activités illégales et frauduleuses. La FSC a fait de son mieux devant ce phénomène nouveau qui a chahuté l’île et fait du mal à des milliers de Mauriciens. J’ai de la compassion pour tous ceux qui ont perdu leurs économies par la faute d’escrocs. Les combines des systèmes de Ponzi ont malheureusement donné lieu à une mauvaise publicité contre la commission, une posture surtout provoquée par de l’incompréhension pour ce qui est du rôle véritable de la FSC en tant qu’organisme régulateur du secteur financier. La FSC a collaboré avec la police et les autorités concernées afin de s’assurer que justice soit faite. Elle a mené, en parallèle, sa campagne d’éducation à l’intention des consommateurs pour les avertir des risques associés aux plans non-réglementés. La FSC a tiré des leçons du passé. Elle a pris de nouvelles mesures. Elle est maintenant mieux équipée pour faire face à de tels événements à l’avenir.

 

Une nouvelle version du «General Anti-Avoidance Rule» (GAAR) devrait voir le jour l’an prochain. Où en sont les relations Inde-Maurice à ce niveau?

 

L’Inde est devenue le partenaire incontournable de Maurice dans plusieurs domaines. S’agissant de la fiscalité indienne, le GAAR serait effectivement applicable en 2015. Il faut aussi noter que des élections générales auront lieu dans la Grande péninsule très bientôt (NdlR : avrilmai 2014) et nous attendons de voir si le gouvernement issu de ces urnes maintiendra le même tempo et le même programme. Pour simplifier cette discussion, les experts légaux et les fiscalistes se demandent si le GAAR prévaudra contre les dispositions des différents traités bilatéraux signés par l’Inde avec d’autres États. Si c’est le cas, le GAAR va «override» non seulement le traité avec Maurice, mais aussi tous les traités. Certains avocats voudraient, semble-t-il, attaquer la constitutionnalité du GAAR devant la Cour suprême indienne si celui-ci prévaut. Il y a une école de pensée juridique qui estime que la loi domestique indienne ne peut avoir la préséance sur les traités volontairement signés et ratifiés par l’État. Nous verrons. Nous devrons être intelligents dans nos discussions avec l’Inde dans le cadre des négociations pour la refonte du traité. Notre salut se trouvera là. Le Joint Working Group entre les deux pays se réunit bientôt pour discuter des nouvelles clauses et ces discussions sont capitales.

 

Dans le contexte de la campagne électorale en Inde, le leader de l’Aam Aadmi Party, Arvind Kejriwal, accorde une attention particulière à la lutte contre la corruption. Quel impact cette posture peut-elle avoir sur la redéfinition de la politique du prochain gouvernement indien par rapport au traité de non double imposition?

 

Nous devons certes prendre bonne note de ce qui se passe en Inde mais cela relève évidemment de la politique intérieure d’un pays ami. La corruption est assurément un sujet d’actualité dans la Grande péninsule, toutefois les autorités mauriciennes collaborent pleinement avec leurs homologues indiens à ce niveau depuis plusieurs années. Un des meilleurs outils contre l’utilisation des centres financiers pour des motifs occultes est l’échange d’informations entre les différentes institutions étatiques.

 

C’est ainsi que la FSC a signé un protocole d’entente avec le Securitiesand Exchange Board of Indiadepuis 2007. Ces deux institutions collaborent pleinement. De même, la Financial Intelligence Unit (FIU) mauricienne coopère avec la FIU indienne. Les deux pays ont déjà finalisé un Tax Information ExchangeAgreement qui attend simplement d’être signé par les ministres des Finances des deux pays. Maurice applique déjà cet accord dans les faits. Franchement, un individu corrompu aurait intérêt à utiliser un petit centre offshore ailleurs plutôt que le centre financier mauricien pour faire des affaires louches. De ce côté, Maurice est maintenant bien régulé.

 

Quelle est votre posture par rapport à une éventuelle fusion de la FSC et de la Banque centrale?

 

Le moment pour une fusion entre les deux organismes n’est pas opportun. Le secteur financier est fragile. Il n’a pas encore atteint la maturité voulue pour une régulation commune. D’ailleurs, en 2012, le Fonds monétaire international (FMI) a indiqué que le moment d’une réforme n’était pas approprié. Il a demandé que la Banque de Maurice et la FSC travaillent en étroite collaboration. La recherche d’un bon équilibre est nécessaire en matière de régulation, surtout à ce stade du développement du secteur financier mauricien.

 

La FSC est le régulateur de plusieurs secteurs spécialisés : le «global business» (autrefois appelé secteur offshore), les assurances, le marché des capitaux et les fonds de pension. Nous avons encore des avancées à faire, d’autant plus que le secteur financier est appelé à jouer un rôle allant croissant dans notre économie. Nous avons pris l’habitude de travailler en étroite collaboration avec les opérateurs du secteur financier. Nous avons le devoir de tenir compte de la pertinence de leur avis. Le secteur du global business est bien régulé par la FSC. Il nécessite souvent une certaine flexibilité qu’une banque centrale ne peut offrir. Plusieurs secteurs d’activité au sein du global business tels que des «holding companies» n’ont rien à voir avec le champ d’activités d’une banque centrale. La synergie qui existe entre les opérateurs, le gouvernement et la FSC a rarement été aussi bonne. Elle crée les conditions appropriées pour permettre au secteur financier de progresser et de rester compétitif. Pourquoi changer ?

 

 

 

Publicité