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Mario Ah-Sian: «La méthadone n’est pas une solution à l’enfer de la drogue»
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Mario Ah-Sian: «La méthadone n’est pas une solution à l’enfer de la drogue»

Cet animateur du Centre d’Accueil de Terre-Rouge (CATR) explique pourquoi cette ONG est convaincue que le traitement de substitution à la méthadone n’aide pas le toxicomane.
Mario Ah-Sian intervient suite à la conférence qui s’est tenue récemment à Maurice sur l’abus d’opiacés.
Sur quoi, le CATR se base-t-il pour affirmer que la méthadone n’est pas un remède à la toxicomanie?
Tout d’abord, la mission principale que le CATR s’est fixée est de guider le toxicomane ou alcoolique vers une vie sans drogue ou dépendance. Or, la méthadone est un opiacé de synthèse, pouvant entraîner une dépendance. Si une substance possède cette capacité, nous l’identifions comme étant une drogue.
Pourtant, l’Etat investit fortement dans le traitement de substitution à la méthadone et nombreuses sont les ONG de la lutte contre la toxicomanie qui y croient…
Ils croient que la méthadone est une solution parce qu’ils n’ont jamais vécu l’enfer de la drogue.
Vous pouvez peut-être prétendre cela du gouvernement mais, au niveau des ONG, il y a bien des travailleurs sociaux qui étaient d’anciens toxicomanes…
Certes, mais je pense qu’eux aussi, ne sont pas conscients des conséquences du traitement à la méthadone.
Prenons, par exemple, quelqu’un qui consomme de l’héroïne ou du subutex, pour le «transférer» sur la méthadone, il faut le stabiliser. Donc, pendant six mois, on lui administrera de la méthadone en doses de 30 ml tous les matins, et celui-ci s’y habituera. Pour nous, au CATR, c’est de la drogue gratuite que l’Etat est en train de fournir quotidiennement aux toxicomanes.
La méthadone leur permet uniquement de ne pas ressentir la douleur du manque. Mais ils n’éprouvent pas de plaisir lorsqu’ils prennent leurs doses quotidiennes. De ce fait, une fois le manque pallié, la plupart d’entre eux consomment des boissons alcoolisées ou du sirop à base de codéine, certains fument de la marijuana, d’autres des psychotropes sous forme de comprimés… Ils se retrouvent dans un engrenage. J’en connais très peu de gens qui ont pu décrocher complètement de la méthadone, même si les doses sont diminuées au fur et à mesure du traitement.
Dans ce cas, quel traitement suggérez-vous? Lequel est proposé au CATR?
Notre objectif, comme je vous l’ai dit auparavant, est que le toxicomane puisse retrouver une vie sans drogue. La première étape de notre traitement est le programme de désintoxication. Un médecin lui prescrit des médicaments à base de codéine, qu’il prendra trois fois par jour, au départ. Puis, les doses sont diminuées jusqu’à ce qu’il n’en ait plus besoin. Au bout d’environ 15 jours, le toxicomane est complètement sevré – la dépendance physique à la drogue n’est plus. Bien sûr, il faut que le patient veuille vraiment s’en sortir et que son entourage le soutienne. Deux fois par semaine, il viendra au CATR pour une session d’écoute.
La deuxième étape est la réhabilitation. C’est un programme résidentiel qui dure neuf semaines au centre. Durant cette phase, le patient réapprend à vivre. Car, bien que la dépendance physique à la drogue soit partie, la dépendance mentale est toujours présente. On lui démontre que c’est possible de s’amuser sans consommer de drogues. On le responsabilise pour qu’il puisse organiser sa vie.
 
La troisième et dernière étape – celle que je juge être primordiale- est la réinsertion sociale. Elle est plus importante que le programme de réhabilitation qui est résidentiel. Ce qui implique que le patient est très encadré, que ce soit par les animateurs et ses proches. Mais à la fin de ce programme, il doit retourner chez lui, il rentre à nouveau dans la société. Il faudra donc qu’il soit plus solide, vu qu’il sera plus exposé aux tentations. Elles mettront sa volonté de rester «clean» à l’épreuve. Il devra également affronter le regard de la société (qui lui a collé une étiquette négative), en plus des difficultés de la vie de tous les jours. Il essaiera aussi de retrouver un emploi… Cette phase dure un an. Cette «nouvelle personne», accompagnée de sa famille, devra se rendre au centre tous les samedis pendant un an.
Le CATR accueille 60 toxicomanes par an. Une quarantaine d’entre eux réussissent le programme. C’est beaucoup. J’ai été, personnellement, toxicomane pendant 20 ans. Je suis allé au centre pour m’en sortir. Cela fait neuf ans que je suis «clean».
Que devrait faire l’Etat, selon vous?
Premièrement, il devrait créer un centre hospitalier spécialisé en désintoxication. Les toxicomanes seraient encadrés dès le départ par des spécialistes, dans un programme résidentiel. Au CATR, nous n’avons pas les moyens d’offrir un programme de désintoxication résidentiel.
Dans le passé existait un service spécialisé en désintoxication. Une partie de l’hôpital ENT y était dédié. Puis, ce service a disparu. Par la suite, elles l’ont ouvert dans une salle séparée à l’hôpital Brown Sequard. Mais celle-ci aussi a été fermée, quand l’Etat a commencé à offrir le traitement de substitution à la méthadone. Le gouvernement devrait donner l’opportunité aux toxicomanes qui veulent s’en sortir d’avoir une autre option que la méthadone.
Deuxièmement, l’Etat devrait construire d’autres centres de réhabilitation. Actuellement, nous ne sommes que deux dans l’île – le CATR et le Centre de Solidarité. C’est insuffisant.
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