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Mario Bienvenu : «je reste zen et ferme»
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Mario Bienvenu : «je reste zen et ferme»

Mario Bienvenu : Maire MMSD de Curepipe
Quand un ancien boxeur lance une opération coup-de-poing, ça déménage. Les vendeurs de rue de la ville-lumière viennent de tester. Derrière ce coup de force, un maire tout à la fois «zen et ferme». Interview mi-bouddhiste, mi-bodybuildée.
●C’était malvenu d’écrire «Bienvenu» sur la porte de ce bureau ?
(Rire) Je n’y ai pas pensé, tiens. Tout le monde est bienvenu ici, en particulier les journalistes… quand j’ai le temps.
●L’avez-vous souvent ?
Ces jours-ci, pas vraiment, ça n’arrête pas. (Il entrouvre discrètement la porte pour constater que la file d’attente devant son bureau ne cesse de grandir.)
● Vous étiez préparé à tout ça ?
Pas du tout. J’ai été propulsé maire du jour au lendemain. Je n’imaginais pas avoir tant de boulot, je dois répondre de tout. Le moindre pépin, c’est pour ma pomme. J’ai vite compris qu’il fallait être zen pour faire ce job, sinon vous devenez fou.
● Entre la zénitude et la folie, vous avez choisi ?
Je reste zen... et ferme à la fois. Pour un novice, j’estime que je ne m’en suis pas trop mal sorti jusqu’ici. Cette expérience m’a fait grandir, je ne savais pas que j’étais capable de gérer toute cette adversité, les pressions quotidiennes, les sollicitations en permanence.
● L’expulsion des marchands ambulants de Jan-Palach, c’est votre trophée ?
Non. C’est compliqué parce que la plupart de ces marchands sont mes amis [Ils sont 83 à avoir été délogés de force, il y a dix jours, ndlr]. Ils ont l’impression que je les ai trahis, alors que j’ai fait mon devoir en agissant pour le bien de la ville. Dans tout ce que j’entreprends, il y a de l’amour.
● Les pelleteuses sur les étals, c’était de l’amour ?
(Sourire gêné) Quand je commence quelque chose, je vais jusqu’au bout. Avec les marchands ambulants, il y a eu le temps du dialogue et des explications. Personne n’a été pris par surprise. Puis est venu le temps de l’action. Ils ne m’ont pas laissé le choix.
● Si vous aviez été maire de Port-Louis, vous auriez opté pour du napalm ou un lance-roquettes ?
Non, non… La démolitiondes étals a été interprétée comme une démonstration de force, ça ne l’était pas. Toutes les procédures légales ont été respectées, la cour nous a donné raison, je ne suis pas un démolisseur [sauf sur un ring où il a été champion du monde de boxe française, en 2002, ndlr]. A Piton-Building et à la foire Ramdin, il n’y avait ni hygiène, ni sécurité. C’était malsain. Il fallait que les marchands quittent les lieux au plus vite.
● Cette expulsion, c’est votre cadeau de Noël aux bailleurs de fonds du patron?
Quels bailleurs de fonds ?
● Le lobby des commerçants. Est-ce une façon de leur renvoyer l’ascenseur pour services rendus à Eric Guimbeau ?
Non. Le problème des marchands ambulants ne date pas d’hier à Curepipe. Tout le monde s’en plaignait avant même que le MMSD ne «s’installe» dans la ville.
● Les «banquiers» du MMSD ne vous ont même pas remercié ?
Les shop owners m’ont félicité. Mais le mot «banquier» est mal choisi...
● Vous préférez «bienfaiteur de campagne» ou «mécène électoral» ? Dites-moi…
A ma connaissance, Eric finance ses campagnes électorales lui-même. Le banquier du MMSD, c’est Eric. Cela dit, évidemment que les commerçants sont contents. Cela faisait des lustres qu’une concurrence déloyale menaçait leur gagne-pain. Les maires qui se sont succédé avaient tous promis de déloger ces marchands, mais ils n’ont rien fait. Nous, on l’a fait. Le but n’était pas de faire plaisir à qui que ce soit. J’ai fait partir ces marchands pour retrouver un centre-ville où il fait bon vivre. Nos inspecteurs se faisaient agresser. Certains ont pris des coups, c’est arrivé plusieurs fois. Ça ne pouvait plus durer.
● Des commerçants menaçaient de boycotter la taxe municipale. Ça a joué ?
Sincèrement, oui. Cette taxe nous aide bien. Je ne pense pas que les shop owners bluffaient, ils auraient réellement arrêté de payer et ça aurait été compliqué de faire tourner la municipalité. Nos moyens sont déjà tellement limités, je ne voulais pas être responsable de l’assèchement des finances.
● Le prétexte du tracé du métro léger, vous pouvez le dire maintenant, c’était bidon…
(Sourire) Le métro léger n’est pas pour demain, on n’a pas expulsé les marchands pour cette raison. Ni à cause du Late Night Shopping. Ils sont partis parce que leur présence posait problème. Hygiène, électricité, protection incendie… aucune norme n’était respectée.
● Cette décision avait-elle fait l’unanimité au sein du conseil ?
Oui ! C’est justement ce qui me dérange avec l’attitude d’Ananda Rajoo [l’ancien maire et actuel conseiller MMM de Curepipe, ndlr]. Devant le conseil, Ananda était d’accord pour expulser les marchands : «Vous avez raison, monsieur le maire, il faut se débarrasser des eyesores». Aujourd’hui, il protège les marchands en se faisant leur avocat. Ananda m’a déçu. Je ne le savais pas aussi démagogue, aussi à l’aise avec le double langage. Il propose maintenant de reloger les marchands au Square Bruce. Le comble, c’est qu’il a fait voter un texte pour qu’il n’y ait plus de marchands là-bas !
● Et vos collègues du gouvernement, ils vous disent quoi ?
Je n’ai eu aucun retour. Juste un bref échange avec le ministreHervé Aimée, mercredi,dans une fonction. Il m’a dit :«Bien bon Mario, carry on».C’est tout.
● Un «puceau politique» est en train de réussir là où les plus expérimentés ont échoué. Comment l’expliquez-vous ?
Deux choses guident ma vie : l’amour de Dieu et la volonté. Avec ça, on peut tout faire.
● Vous ne pensez pas que Dieu a mieux à faire que de s’occuper de vos marchands ?
(Recueilli) Dieu est amour, Dieu surpasse tout. Il guide toutes mes actions.
● Chez vous, à Cité-Atlee, vous avez quelques nouveaux ennemis ?
Au contraire, les gens m’encouragent: «Mario, pa bes lebra». Il se trouve que mon voisin, qui est aussi un ami, est l’un des plus gros marchands ambulants de Curepipe...
● Vous êtes restés amis ?
Oui, on est restés voisins (sic). Reste que la partie n’est pas tout à fait gagnée. Vos marchands refusent d’aller s’enterrer au Forum de Forest- Side, là où vous proposez de les reloger. Ils vont y aller, faites-moi confiance. Certains cherchent à gagner du temps en racontant qu’il n’y a pas d’eau, ce qui est tout à fait faux. Le Forum est parfaitement adapté puisque le mercredi et le samedi, il accueille déjà des marchands. Les récalcitrants devront se faire une raison : je ne ferai pas marche-arrière.
● Vous avez reçu une délégation de marchands en début de semaine. Comment ça s’est passé ?
C’était tendu. Deux messieurs et une dame sont venus discuter. Je les ai laissés se défouler pendant une heure et demie, je suis resté zen. Ils ont essayé de me faire endosser le rôle du sans-coeur qui met des familles sur la paille. Ce n’est pas vrai, je n’ai jamais dit que les marchands ambulants ne devaient plus travailler puisque je les reloge.Ces gens-là se font passer pou bann dimoun miser, mais la vérité c’est qu’ils vivent mieux que moi, certains sont même riches. Ils prétendent avoir acheté jusqu’à Rs 500 000 de marchandises en prévision des fêtes. Vous connaissez beaucoup de gens qui peuvent lâcher un demi-million comme ça ? Allons, pa pran dimoun pou kouyon ! Comme l’argument humanitaire ne marchait pas, ils ont joué sur la fibre pa blie kot to sorti. Kouma dir, aster mo vinn enn gran peto ! J’habite dans la même cité, je vois les mêmes amis le soir, je bois la même bière, je ne suis pas passé à la Kronenbourg.
● C’est vrai que vous avez expulsé Salim Muthy [le porte-parole de la Small Traders Association, ndlr] de la mairie ?
(Ferme) Salim qui ? Connais pas, désolé. Pour moi, Salim Muthy n’existe pas.
● Vous l’avez viré ou pas ?
Oui. Il voulait entrer dans mon bureau avec les trois marchands. Hors de question de le recevoir. Il est resté derrière la porte jusqu’à ce que la police le fasse déguerpir.
● Qu’avez-vous appris sur vos administrés durant cette année ? Vu de près, ils sont comment les Curepipiens ?
Ils sont… d’humeur changeante. Tant que tu dis oui à ce qu’on te demande, tu es leur ami, tu es quelqu’un de bien. Mais si tu ne peux pas, là, tu deviens un sale type. Du jour au lendemain, ton ami ne l’est plus. Je me tue à expliquer qu’un maire ne peut pas tout faire. Même pour un drain, il y a des procédures à suivre. Les gens ne veulent pas comprendre ça.
● Vous imaginiez que vous seriez autant sollicité ?
Non, loin de là. Les gensont tout le temps quelquechose à demander. Chacuna sa technique. La plus fréquente,c’est pass siro. La personnevient dans mon bureaupour me flatter et dire du malde mes prédécesseurs.
● Ça donne quoi, concrètement ?
«Mon tan dir ou pa koumasa bann la, ou enn boug korekou.» Quand quelqu’un
commence comme ça, je connais la suite. Et puis, il y a des choses que j’aurais préféré ne jamais entendre, des choses qui relèvent de l’intime. Parfois j’ai l’impression d’être un psychologue ou une assistante sociale. Je sens un besoin d’écoute.
● Le plus vilain coup bas, c’était quoi ?
(Il réfléchit) Ananda Rajoo. Tout se passe bien avec les autres conseillers de l’opposition, mais Ananda, c’est un sournois. Il se comporte mal avec moi depuis le début. Pourtant, nous étions amis. On se côtoyait à la salle de gym, il me demandait des conseils. Quand on s’est retrouvés à la municipalité, il m’a tapé sur l’épaule en me disant : «Mario, to kone, mo pan vinn fer politik isi mwa. Mo la pou donn koudme bann abitan». Or depuis un an, il ne fait que ça, de la récupération politique. Tous les prétextes sont bons. A chaque réunion du conseil, on a droit au one-man-show de M. Rajoo. Je pense qu’il est un peu frustré, il se voyait à ma place. Et ça doit l’agacer de voir qu’un débutantcomme moi s’en sort correctement.
● Il va finir par prendre une droite, l’ami Ananda ?
(Rire) Bien sûr que non, je suis plus malin que ça.
● Dans ce bureau, vous y serez jusqu’à quand ?
Jusqu’à début 2015, j’ai un mandat de deux ans. Avec éventuellement deux années de plus si l’accord avec la majorité gouvernementale est reconduit.
● Entre-temps, il y aura eu des élections générales. Vous y pensez ?
Je ne vais pas me prononcer là-dessus. J’ai un leader, c’est à lui de voir.
● Vous avez aussi un cerveau, non ? Des envies, des projets…
J’ai pris goût à la politique,
c’est certain, mais c’est à mon leader de décider.
● Vous vous voyez député ?
J’y pense, oui.
● Et en cas d’échec, une reconversion comme marchand ambulant, vous y pensez ?
(Rire) Non, j’aime trop mon boulot : je redeviendrais manager de sport au Sugar Beach Hotel
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