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Marylène François: «Trois autres enfants de Namasté commencent à dénoncer des abus»

20 avril 2013, 14:59

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Marylène François: «Trois autres enfants de Namasté commencent à dénoncer des abus»

L’adolescent de 14 ans ne serait pas un cas isolé. Trois autres pensionnaires du foyer Namasté ont commencé à «dénoncer» ces pratiques aux thérapeutes du centre «Open Mind» qui offre un service d’aide psychologique aux enfants. La directrice du centre, une ancienne journaliste, révèle ici les dessous de ces dénonciations.

 

Parmi toutes les dénonciations du foyer Namasté, un seul enfant a porté plainte à la police. Or, dans une lettre ouverte publiée dans la presse, vous semblez dire que ce ne serait pas un cas isolé ?

Effectivement, je parle de trois enfants du foyer Namasté qui fréquentent Open Mind les samedis. Open Mind opère un service d’aide psychologique pour les enfants et ces trois pensionnaires de Namasté viennent les samedis de 9 heures à 15 heures. A ce stade, je ne peux pas vous dire catégoriquement que ces enfants sont victimes d’abus mais il y a eu un début de processus de dénonciation.

 

 

Qu’ont-ils dit?

Il est important de savoir qu’ils ne commencent pas par «dire». Ces enfants ont une déficience intellectuelle donc le verbe n’est pas facile. L’un d’eux a un handicap de langage donc ce n’est pas par la parole qu’il va se dévoiler. Par conséquent, nous observons les enfants dans les ateliers d’art-thérapie, quand ils sont en train, entre autres, de dessiner.

C’est à partir de là que notre art thérapeute et notre neuropsychologue ont commencé à détecter, par le langage corporel, par le dessin suivi de paroles pas très claires et balbutiantes qui vont dans ce sens-là.

 

 

Dans quel sens ?

Dans le sens qu’ils dessinent qu’il y a quelqu’un de «mauvais». Et c’est important là de parler le langage de l’enfant pour comprendre ce qu’il veut dire ; «enn misie move,li move». Notre neuropsychologue et le CareOfficer ont aussi commencé à avoir ce genre de dénonciations entre guillemets puisque ce sont juste de petits mots, des bribes de phrases. C’est un début ; à partir de ces sessions se dessine une maltraitance physique et sexuelle qui aurait eu lieu.

 

 

Ils sont traumatisés quand ils «dénoncent» ?

Quand cela se passe, ces enfants-là sont malades car ils revivent le traumatisme. Il ne faut pas oublier que le foyer est leur maison où ils ont retrouvé une sécurité qu’ils n’avaient pas. Et que si effectivement il s’avère qu’il y a eu abus de la part de ceux qui avaient la responsabilité de ces enfants, cet abus viendrait donc d’un «parent», un proche de leur entourage. Et un enfant est très confus quand cela arrive. C’est pourquoi si on ne cherche pas, beaucoup d’enfants ne vont pas dénoncer.

 

 

Mais dans ce cas-là, comment se fait-il qu’ils ont commencé à parler ?

L’élément déclencheur chez nous était quand un de ces enfants a commencé à avoir un comportement différent. Il a commencé à avoir un comportement sexué inhabituel pour son âge, il a commencé à faire des dessins très précis, puis il s’est mis à pleurer, à avoir mal au ventre et c’est un changement de comportement qui est suspect. Mais ce n’est que dans la durée que l’on peut découvrir cela.

 

 

A vous entendre parler, ce n’est donc pas étonnant que les enquêtes de la «Child Development Unit» (CDU) et de la police dans le cas de l’adolescent de 14 ans n’ont rien donné ?

Si vous interpellez un enfant et vous lui demandez s’il a été abusé, sa première réaction va être de dire non, surtout si l’interrogation se passe sur «le lieu du crime» ou met en cause quelqu’un de son entourage ! C’est tout un processus de confiance et il faut aussi savoir que l’enfant va peut-être se contredire et se rétracter car il a peur de parler. Puis il aura probablement mal au ventre et puis il vomira peut-être parce qu’il est en train de revivre cette expérience.

 

 

Et cela, la CDU et les psychologues du ministère n’auraient-ils pas dû le savoir ? Comment ont-ils pu se satisfaire des enquêtes préliminaires ?

Je ne peux pas parler pour les psychologues du ministère mais ce que je sais c’est que le travail doit se faire en amont et qu’un psychologue ne peut pas juste débarquer dans un centre et dire à un enfant «parle-moi». N’oublions pas que l’enfant de 14 ans n’a pas parlé quand il était à Namasté mais au CEDEM où il était relogé.

 

 

Mais cela ne vous choque pas que le ministère de la Protection des enfants s’est contenté de cela ?

Cela m’interpelle. Il y a eu une lettre anonyme et une lettre anonyme en soi est un élément sur lequel on peut travailler. La CDU a réagi en enlevant l’enfant mais la réaction n’a pas été complète car elle a laissé les autres enfants. Ensuite, il y a une dame qui va voir la ministre pour lui faire part de ses soupçons. Il faut comprendre une chose – à Maurice, c’est très difficile d’aller dénoncer ; il faut comprendre aussi dans quel pays nous vivons.

Donc cette dame qui a des informations n’a pas eu le courage d’aller à la police pour X raison. Mais que doit faire la représentante du peuple dans un tel cas ? Elle aurait pu envoyer quelqu’un rien que pour démarrer une enquête. La CDU aurait pu agir aussi sans dénonciation formelle de l’enfant mais au nom de l’enfant car le Child Protection Actprotège les officiers même s’il y a une erreur.

Cela aurait été mieux de faire une erreur, de faire une enquête et de découvrir qu’il n’y avait rien que de prendre le risque de ne rien faire et que ce soit vrai.

 

 

Vous avez demandé au ministère que ces trois enfants reviennent à «Open Mind» à partir de samedi ; savez-vous si cette demande sera considérée ?

Notre lettre a été envoyée lundi et nous sommes en attente d’une réponse. J’ai donné une semaine au ministère pour réagir car on ne peut pas se permettre d’attendre plus ; le processus de dénonciation a déjà commencé et si on entre dans cet engrenage administratif d’attentisme, on ne va rien faire. Trois enfants d’Open Mind ont laissé entendre qu’il aurait pu y avoir des attouchements ; vous croyez que je vais laisser l’administration prendre tout son temps ?

Il y a autre chose qu’il faut savoir ; un de ces trois enfants a mis en cause un autre centre où il est scolarisé. A travers les dessins et dans le début de «dire», il y a un doute qui s’est formé dans la tête de la thérapeute, que cette personne du centre où il est scolarisé aurait pu «fer move» avec cet enfant. Comme cette «dénonciation» est faite dans un contexte où il a commencé à parler des parties intimes, on ne peut pas ne pas prendre en considération ses dires.

 

 

Vous réalisez qu’en donnant cette interview, vous prenez le risque que le ministère vous dise que vous avez trop causé et que vous n’aurez pas ces enfants ?

Je ne vois pas pourquoi. Je veux croire que la ministre des Droits de l’enfant a à coeur le bien-être des enfants. Mais de toute façon, nous n’avons pas le choix ; le ministère est notre seul interlocuteur ! Et ces trois enfants sont sous la responsabilité de la CDU.

 

 

Pourquoi avoir attendu aussi longtemps avant de parler de ces trois enfants et de vos soupçons ?

Nous travaillons avec le foyer Namasté depuis 2011, nous avions six enfants de ce foyer au départ. Un moment, on comprend que ces enfants vont chez des particuliers le week-end. Nous demandons des explications à Namasté et ils nous disent que la CDU a donné son aval. Mais quand nous apprenons à travers les enfants qu’en fait, ils n’allaient pas chez des particuliers mais qu’ils allaient passer le week-end chez le directeur et son compagnon qui est aussi l’assistant-directeur du foyer, nous avions commencé à poser des questions. Et très vite, trois des enfants ont été retirés d’Open Mind. C’était important de protéger les enfants d’abord.

 

 

Vous rendez-vous compte que le ministère vous demandera probablement de donner une déposition à la police avant de vous envoyer les trois enfants ?

J’irai s’il le faut. La déposition à la police sera très précise et très claire et elle dira que les enfants ont commencé à dénoncer et qu’il faut continuer la thérapie à Open Mind ! Et pour que cela continue, il faut des facteurs qui favorisent cette dénonciation. Donc si la police venait demain, je leur dirais : soit vous faites une enquête et vous n’aurez rien, soit vous nous laissez continuer notre travail ; soyons productifs. Pas pour envoyer quelqu’un en prison mais pour que ces enfants-là puissent être réhabilités et reconstruits surtout. Ils ont neuf ans, 11 ans et 15 ans. Et nous savons avec notre expérience que c’est possible ! Il n’y a pas de fatalité, on peut le faire.

 

 

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