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Me Michel Ahnee: «Le communalisme est un virus de la pensée»
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Me Michel Ahnee: «Le communalisme est un virus de la pensée»

L’avocat analyse le phénomène du communalisme à Maurice sous toutes les coutures.
L’interview de Me Michel Ahnee est parue dans le supplément d’Amnesty International Maurice, dans l’édition du 31 juillet de l’express. Elle fait suite à la campagne d’Amnesty Maurice sur le thème de la corruption. Campagne qui s’articule autour de plusieurs axes de sensibilisation contre le racisme/communalisme et en faveur d’une pleine citoyenneté.
Il y a un brouillage sémantique autour du terme de communalisme à Maurice. Quel sens attribuez-vous personnellement à ce terme?
Il faudra schématiser. Imaginez une population avec une grande diversité de races, de religions, de cultures qui se retrouve sur un territoire exigu et accède au statut d’Etat indépendant en 1968. Nous nous représentons aisément l’angoisse et la méfiance qu’a pu susciter ce projet de vivre ensemble, choisi pour certains et contraint pour d’autres. Malgré les décennies qui ont passé, malgré une Constitution démocratique, nous constatons que cette méfiance de départ s’est cristallisée, dans l’esprit du mauricien, en un paradigme, une représentation de la société en blocs ethno-religieux ayant des intérêts concurrents. Le communalisme, c’est donc, en premier lieu, ce virus de la pensée qui pervertit notre perception du réel par l’exacerbation du sentiment de l’appartenance et de l’intérêt communautaires face aux autres communautés. En deuxième lieu, pour compléter notre définition du communalisme, il faut ajouter que ce communalisme ne demeure pas au stade d’un paradigme dans nos têtes, il se traduit par un véritable fonctionnement politique concurrent au régime constitutionnel. L’on pourrait donc dire que le communalisme est un virus de la pensée qui devient une maladie des institutions démocratiques.
Entre un républicanisme de façade et un nationalisme ethnique voire tribal, existe-t-il, selon-vous, des éléments qui contribuent à un sentiment d’appartenance commune à la nation?
Je ne parlerais pas de République de façade. Je dirais qu’en dessous de notre régime politique constitutionnel formel, fondé sur la représentation des citoyens-individus, la mentalité communaliste s’insinue, s’exprime et donne corps à un aménagement politique et gouvernemental parasite, inventé pour faire place à une représentation indue de ces entités illégitimes que sont les «communautés», bien au-delà de leurs 8 députés correctifs:- c’est le Régime des Communautés.
Ce fonctionnement perturbé de nos institutions républicaines, c’est ce que j’ai appelé la République Œcuménique des Tribus. L’Etat reconnaît et accueille des entités ethno-religieuses quasi-souveraines conduites par des leaders autoproclamés, plus ou moins médiocres par ailleurs. L’Etat prétend réaliser la médiation entre les intérêts communautaires divergents et construit ainsi sa légitimité politique sur ce principe moral douteux, valeur centrale du régime :- l’équité communaliste plus connue sous le terme de « sakène so boute ».
Une déclaration récente du Premier Ministre illustre bien la prégnance de ce principe de légitimité politique contraire aux principes élémentaires de nos institutions. Il a dit « Je représente toutes les communautés », il aurait dû dire « Je représente tous les citoyens ».Cela peut paraître anodin, mais ça ne l’est pas. La légitimité politique en République c’est le suffrage universel, le vote de centaines de milliers d’individus qui confère la souveraineté nationale, principe exclusif de légitimité politique. Dans le régime des communautés, l’individu souverain doué de libre arbitre est oblitéré, le citoyen est rayé de la carte, la légitimité politique provient de la coalition fantasmée de quatre communautés et quelques castes par la médiation de leurs intérêts concurrents. « Je représente toutes les communautés » donc je suis le mieux à même de détenir et exercer la légitimité politique.
En quoi ce « fontionnement perturbé » de la démocratie affecte la notion de citoyen ?
L’individu-citoyen est au centre de notre système constitutionnel. Ce système assure le respect des droits fondamentaux et par conséquent les conditions de l’épanouissement de l’individu-citoyen à travers son effort personnel. Il est égal en droit aux autres individus-citoyens qui recherchent également leur épanouissement personnel. Au-delà de sa vie personnelle, dans laquelle il s’occupe donc de ses intérêts particuliers, le citoyen est appelé à intervenir dans le champ politique par le suffrage universel, le droit d’expression, le droit de participation à la vie politique. Le champ politique, est l’espace de la recherche de l’intérêt général, de l’intérêt national et non le lieu de satisfaction des intérêts particuliers. L’individu-citoyen est capable de laisser de côté son intérêt personnel pour se préoccuper des problèmes de tous. Il désigne ainsi les politiciens et les programmes qui apportent les meilleures solutions aux problèmes de la cité dans l’intérêt de tous.
Dans le régime des communautés, la réussite de l’individu passe par une reconnaissance des intérêts de son groupe ethno-religieux au niveau Etatique. Le salut est collectif et non individuel. On s’en remet à des représentants communautaires providentiels, à des organisations socioculturelles qui vont obtenir dans le champ politique la satisfaction des intérêts de la communauté. Grâce à des quotas dans la fonction publique par exemple... Le paradigme communaliste nous conduit à un individu qui voit le champ politique comme un lieu destiné à la satisfaction de ses intérêts particuliers à travers une incrustation politique suffisante de son groupe ethno-religieux. L’individu communaliste recherche le meilleur positionnement politique de sa communauté non pas de manière désintéressée mais parce qu’il y voit le plus sûr moyen de satisfaire ses intérêts particuliers. Les « organisations socioculturelles » ça n’est que la somme minable d’intérêts particuliers disparates syndiquée autour d’une bannière ethno-religieuse. L’individu communaliste perçoit la politique, les institutions publiques comme autant d’opportunités pour assouvir son intérêt personnel, pour obtenir sa part, « so boute ».
Ne nous étonnons pas que notre société civile soit si faible. La société civile ce sont des individus-citoyens qui souhaitent participer au bien commun dans le champ public. Eh bien dans une société comme la notre de tels individus sont rares. La masse des individus, formatée par le paradigme communautariste, ne voit dans l’espace politique qu’un lieu de distribution de faveurs proportionnelles au rapport de force établi par sa tribu.
Au bout du compte, bien entendu, à ce jeu de dupe, seuls quelques privilégiés obtiennent de véritables avantages, les autres se contentent que quelques satisfactions symboliques :- un ambassadeur de leur caste, un nominé politique de leur communauté, le retrait d’un billet de banque. Pas grand-chose.
Quelle est la conséquence de cela selon vous au niveau de la classe politique?
L’intérêt personnel ayant envahi le champ politique, quels hommes politiques seront, selon vous,  les plus performants aux élections? Ceux qui parlent le langage du bien commun à travers un programme intelligent et des projets réfléchis ? Ou alors ceux qui parlent le langage de la satisfaction de l’intérêt personnel  à travers la reconnaissance des intérêts claniques et le parrainage des organisations socioculturelles? Evidemment ce sont les hommes politiques cultivant des réseaux d’intérêts particuliers qui réussissent dans un tel système. Si vous parlez d’intérêt général et de bien commun vous perdez. Vous devez faire comprendre à l’électeur que vous êtes de son clan, dès lors il comprendra qu’il pourra plus aisément solliciter quelque avantage personnel une fois que vous serez élu.
Et cela donne des députés incapables de dire un mot à l’Assemblée Nationale. Cela donne un débat politique d’où sont absents les enjeux réels auxquels nous sommes confrontés. Cela donne une classe politique qui se complait dans l’incompétence à débattre des solutions aux problèmes d’intérêt commun et qui se spécialise dans la satisfaction électoraliste des  intérêts particuliers.
Comment sortir de cette situation?
D’abord il faut en sortir parce que la perturbation causée à notre fonctionnement démocratique ralentit les progrès que nous pourrions accomplir avec des citoyens et une classe politique soucieux du bien commun, capable d’en débattre et de trouver des solutions. Notre société perd énormément en force de propositions. Ensuite parce que la perturbation communaliste fragilise notre République et la met à la merci de remises en cause de la légitimité politique par des communautés hypersensibles qui pratiquent régulièrement le chantage à l’émeute.
Comment cela finira-t-il un jour ?
Pour en sortir, il y a  l’éducation civique qui me paraît primordiale afin d’agir sur les mentalités, faire comprendre aux étudiants, du primaire au secondaire, le fonctionnement de nos institutions ainsi que les valeurs qui sous-tendent la République. Apprendre dès l’école que, si les ministres ont des pouvoirs, si les députés peuvent faire des lois, si la police peut mettre en prison des gens c’est uniquement en raison de la souveraineté nationale qui est la somme de nos souverainetés individuelles. Apprendre aux jeunes mauriciens à devenir citoyens soucieux du bien commun.
A plus court terme il faut contraindre le personnel politique à prendre position sur les problèmes réels. Une nouvelle élection approche, il appartient aux citoyens et à la presse de refuser les mêmes rengaines communalistes qui leur permettent de dissimuler leur ignorance des vrais problèmes. Cette élection devrait obliger nos politiques à prendre position et à faire des propositions sur la crise économique, la CPE, les ZEP, l’incinérateur de la Chaumière, l’avortement, l’économie 24/7, les lois du travail, les travailleurs étrangers etc. Autant de sujets auxquels il faudra sans cesse revenir en refusant de laisser les politiques orienter la campagne vers de stériles enjeux communalistes. Les radios ont un rôle très important à jouer à cet égard, la liberté est aussi responsabilité..
Pour que ça change, l’engagement des jeunes sera nécessaire car il faudra bien renverser le régime des communautés, la révolte contre l’intrusion politique des « organisations socioculturelles », me paraît  essentielle.
Comme point de départ l’on pourrait proposer l’amendement de la section 1 de la Constitution afin d’y ajouter le mot « secular » :- « Mauritius shall be a sovereign, secular, democratic State which shall be known as the Republic of Mauritius. » L’Inde l’a bien fait en 1976… Cela indiquerait clairement la volonté de cantonner les communautés à la seule et unique chose à laquelle elles peuvent prétendre :-8 députés correctifs et absolument rien de plus ! Jusqu’à ce que Rézistans ek Alternativ remporte son combat, ce que l’on peut également espérer.
 
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