Publicité
Michael Joson, chargé de cours à l’Université de Maurice : «Les ONG, les sociétés civiles doivent pouvoir recourir à la Cour africaine de justice et des droits de l’homme»
Par
Partager cet article
Michael Joson, chargé de cours à l’Université de Maurice : «Les ONG, les sociétés civiles doivent pouvoir recourir à la Cour africaine de justice et des droits de l’homme»

Les coups récents à la démocratie ne manquent pas en Afrique. Pour autant, peut-on dire que la dictature est un mal africain ? Michael Joson se penche sur la question.
Selon vous qu’est ce qui peut expliquer la forte prévalence de la dictature en Afrique?
Les dictateurs comme Mussolini, Hitler ou Staline n’étaient pas africains. Il ne faut pas tomber dans le piège de l’africanisation de la dictature. Cela dit, l’histoire montre qu’on a eu trop de dictatures en Afrique ce qui soulève beaucoup de questions. Le discours habituel et simpliste se borne aux conséquences du colonialisme. On ne peut le nier parce que les colons avaient une politique de « diviser pour mieux régner ». L’histoire se répète. Au-delà, on doit prendre en compte la dimension humaine de la soif du pouvoir. Le pouvoir tend à corrompre, le pouvoir absolu tend à corrompre de manière absolue. Il y a aussi les enjeux ethniques ou tribaux et le manque d’institutions intermédiaires fortes qui garantissent la légitimité du pouvoir et évitent les dérives. Pendant longtemps, les dirigeants d’Afrique n’étaient comptable envers aucune institution, et encore moins envers le peuple.
Il y a aussi le rôle des anciennes puissances coloniales qui adoubaient et fermaient les yeux. On connaît bien la Françafrique…
Les dirigeants africains postindépendances étaient bien au fait des plaies du colonialisme. Pourtant, ils ont joué le jeu. Les anciennes puissances coloniales avaient à cœur de préserver leur pré carré en Afrique, du fait des richesses qui s’y trouvent entre autres. L’Afrique est sans cesses courtisée, par l’Europe, les États-Unis, la Chine et plus récemment la Russie.
Quels sont les exemples flagrants de régime dictatorial aujourd’hui?
Robert Mugabe est toujours considéré comme un dictateur et le partage de pouvoir discutable n’y change rien. Il y a aussi la Guinée Equatoriale de Teodoro Obiang Nguema, l’Erythrée d’Afewerki, le Tchad d’Idriss Déby Itno… Il y a néanmoins moins de dictatures. La société civile est plus forte aujourd’hui, l’aide au développement est accompagnée de conditionnalités politiques et la communauté internationale, les autorités continentales aussi veillent.
Peut-on estimer alors que les dictatures se présentent sous des dehors démocratiques ?
Depuis la fin des années 1980 le vent du changement a commencé à souffler. Les bons exemples ne manquent pas, au Mali, au Sénégal, au Botswana. Mais c’est vrai que les élections ne peuvent être le critère premier d’une démocratie. Dans quelles conditions se sont-elles tenues ? Les reconduites au pouvoir ne sont-elles pas trop fréquentes ? Prenons l’exemple de la Zambie où Kenneth Kaunda a cumulé trois mandats et son successeur, Chiluba, est à la tête du pays depuis 1991. Ce n’est pas une dictature violente, mais on se pose des questions quant à la légitimité démocratique réelle du processus électoral.
Justement, on assimile dictature à un régime autocratique où tout est centré autour d’un dirigeant, avec un culte de la personnalité comme sous Hastings Kamuzu Banda au Malawi indépendant. Sommes-nous sortis de ce type de schéma dictatorial ?
L’exemple de Banda est révélateur. Il se faisait appeler « Ngwazi », chef des chefs, et puis en 1970 il passe un décret en faveur du monopartisme avant de devenir président à vie en 1971. Dans ce cas, non seulement sa personne faisait l’objet d’un culte, mais en plus le parti unique s’est confondu avec l’appareil d’Etat. L’Etat c’est le parti, le parti c’est la personne, l’Etat est donc la personne. C’est vrai que graduellement, on est sorti de ce schéma, mais les changements sont cosmétiques. Les dirigeants d’aujourd’hui recherchent une légitimité auprès des instances continentales ou internationales plus qu’auprès des populations. L’Afrique est néanmoins sur la bonne, mais ça demande du temps.
L’armée est un acteur des scènes politiques africaines. Quel est son rôle dans les processus politiques ?
L’armée a joué un rôle important dans le processus de démocratisation. C’est paradoxal, j’en conviens. La contestation vient parfois des casernes, d’une frange de soldat que le dirigeant ne contrôle pas. Aujourd’hui, les coups d’État militaires promettent la démocratisation, le retour du pouvoir au peuple. Pourtant, c’est vrai qu’ils vont à l’encontre du processus constitutionnel. Cela dit, certains dirigeants issus des casernes se sont montrés des dirigeants plutôt démocratiques, comme au Mali. L’armée est un élément catalyseur qui peut provoquer le changement. Cela dit, les transitions militaires restent décriées car il y a un risque que la situation n’empire, qu’il y ait des abus. Il faut donc être très attentif. La question est complexe et les cas très distincts.
Jacques Chirac, ancien président français, s’était demandé si l’Afrique est mûre pour la démocratie. Qu’en pensez-vous? Ne faudrait-il pas parler d’une démocratie à l’africaine?
La démocratie ne s’acquiert pas du jour au lendemain, elle ne peut pas être imposée dans un continent. En plus il faudrait parler « des Afriques ». La démocratie est un processus graduel. C’est un modèle importé qui exige des ajustements. Il y a énormément d’enjeux à prendre en compte : le fait ethnique, les problèmes frontaliers, les genres de vie etc. A cette question de Chirac je dirai que les Africains sont mûrs pour la démocratie, peut-être pas les dirigeants. Plus que de maturité, il s’agit de soif du pouvoir. Aussi ? la démocratie recoupe le concept d’État-nation, avec ce que ça implique au niveau des frontières stables et du sentiment d’appartenance à une nation de la population. L’Europe a mis plusieurs siècles pour y arriver. On ne peut imposer et demander à ce que cela se fasse vite. La marche est lancée, elle prend un peu de temps. 
La dictature est antinomique à la notion de droits humains. Est-ce à dire que l’Afrique est malheureusement le plus mauvais élève en la matière ?
L’Afrique progresse à son rythme. Mais ne soyons pas simplistes, on ne peut pas dire que l’Afrique est le plus mauvais élève, c’est un élève qui a accuse un certain retard pour diverses raisons, historiques, politiques, économiques. Les droits humains ont été bafoués un peu partout pas seulement en Afrique. Ce serait céder à l’afro-pessimisme. De bons signaux sont envoyés. Zuma par exemple a fustigé Omar el-Béchir, les dirigeants contestés de Madagascar, Guinée-Bissau, Guinée-Conakry etc. Il y a moins de complaisance entre dirigeants qui sont de plus en plus soucieux des droits humains.
La cour africaine de justice et des droits de l''''homme se fait attendre. En quoi cette instance judiciaire panafricaine pourrait garantir les droits de l''homme et empêcher les dérives dictatoriales?
Comment condamner quelqu’un qui est au pouvoir ? C’est la question. Cette institution doit être dotée de tous les pouvoirs d’enquête et de poursuites nécessaires. Cette cour devra jour le rôle de régulateur de la démocratie, de garde-fou en matière de droits humains. En ce sens, les ONG, les sociétés civiles doivent pouvoir recourir à cette instance, et c’est pour l’instant une pomme de discorde. Ce n’est pas une recette magique mais avec l’Union Africaine, l’éducation, et le renforcement des bases populaires, ce sera d’un apport considérable. Les jeunes générations en Afrique ont une autre mentalité. L’espoir vient d’elles.
Paru dans l’édition de juin de Dimé, supplément d’Amnesty Maurice avec la livraison l’express du 26 juin 2009.
Publicité
Publicité
Les plus récents




