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Narain Jasodanand : « En parlant de justice à deux vitesses, on confond tribunal et poursuite »

19 juin 2011, 07:38

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En tant qu’ancien membre de la Law Reform Commission, Narain Jasodanand s’exprime que les réformes de la justice à Maurice et en France.

L’Attorney General, Yatin Varma, présente de nouvelles lois. Pourquoi ce qui est considéré comme une modernisation du système judiciaire a pris tellement de temps ?

On a redécouvert des vieux projets concernant le Law Practitioners (Amendment) Bill et l’Institute for Judicial and Legal Studies. Je crains qu’ils ne restent à l’état de projet vu la puissance des lobbies des hommes de loi qui veulent contrôler l’entrée dans ce métier. Rappelons-nous que seuls deux ou trois étudiants réussissent aux examens du Bar Council chaque année. Pour les autres, seuls ceux qui ont les moyens peuvent être reçus au barreau anglais mais il leur faudra débourser pas moins d’un million de roupies. Ici, il semble que la perception selon laquelle le métier d’homme de loi est réservé aux riches est justifiée. En ce qui concerne le Preliminary Enquiry Bill visant à éliminer les enquêtes judiciaires, peut-être qu’il se justifie quand on sait que le directeur des poursuites publiques (DPP) peut passer outre … la décision d’une cour de justice de renvoyer une affaire devant les assises ou non. Mais comme beaucoup de Mauriciens, je suspecte le gouvernement, non pas de faire des économies, mais d’augmenter un peu trop les pouvoirs du DPP pour des raisons inavouées.

Deux avocats, Sanjeev Teeluckdharry et Ravi Rutnah, déplorent qu’il y ait « libération conditionnelle pour les riches et la détention prolongée pour les pauvres ». Peut-on leur rétorquer que la justice a les yeux bandés et tient une balance ?

C’est assez difficile de se prononcer sur ces cas qui sont, comme on dit, subjudice. Toutefois, je pense qu’il est trop facile de réduire le tout à l’argument riches-pauvres pour dénoncer la différence de traitements accordés aux uns et aux autres. Il faut se rappeler que la cour ne décide pas de la liberté conditionnelle en se basant uniquement sur les risques de fuite, de récidive ou d’atteinte aux victimes. La qualité de la preuve est importante. Le juge Balancy a bien expliqué dans le fameux cas ‘Labonne v. DPP’qu’il faut avoir « regard, inter alia, to the nature of the evidence available ». J’ajoute tout de suite que l’expérience d’un avocat compte pour beaucoup dans la défense d’un accusé. Mais tout le monde ne peut pas y mettre le prix.

Vous avez également été conseiller du précédent Attorney General. Est-ce que les institutions sont conscientes que le citoyen moyen perçoit toujours qu’il y a une justice à vitesses multiples ?

Oui, elles en sont toutes conscientes. Mais ne font rien. Les politiciens utilisent volontiers cet argument quand ils sont dans l’opposition. Quand le Mauricien lambda parle de justice à deux vitesses, il confond les cours de justice avec la poursuite. Un tribunal ne peut pas empêcher la poursuite de rayer une affaire. Cela aurait été différent si nous avions des procédures comme le système inquisitorial français qui permet aux juges et aux magistrats de s’impliquer davantage dans les débats et non se contenter d’écouter les avocats plaider selon leur compétence. En fait, comme je l’ai dit plus haut, l’issue de beaucoup d’affaires dépend de la compétence de l’homme de loi dans notre système adversérial. Et seuls les riches peuvent se payer un bon avocat. Mais j’ajouterai que rien n’empêche le petit avocat d’utiliser par exemple la demande ‘Habeas Corpus’pour son client. On était surpris, il y a une dizaine d’années, d’apprendre qu’une telle motion puisse être utilisée pour mobiliser une juge à une heure tardive. Mais il suffisait d’y penser.

Désormais en France, un suspect a droit à un avocat pendant une garde à vue. Est-ce cela constitue une avancée pour les droits de l’homme mais la tâche des enquêteurs est rendue plus difficile…

La France ne fait que suivre les recommandations de la Cour européenne des droits de l’homme car elle était l’un des rares pays européens à ne pas accorder le droit d’accès à un avocat aux suspects lors de la garde à vue. Bien sûr, comme à Maurice, il ne faut pas s’attendre à ce que les policiers applaudissent ce genre de mesures. Un syndicat de police français avait même accusé les avocats de ne penser qu’à gagner de l’argent en assistant leurs clients lors de la garde à vue. Cependant, il faut reconnaître que la police tend souvent à rapidement boucler, pour ne pas dire bâcler, son enquête, pour conduire à la condamnation du suspect le plus vite et le plus facilement possible.

C’est le cas un peu partout dans le monde…

Généralement, ce ne sont pas spécialement les lois qui posent problème mais leur connaissance de la part des suspects et leur application par la police. Les mis en cause ignorent bien souvent leurs droits, contrairement aux délinquants récidivistes. Ceux qui ignorent leur droit à être assistés d’un avocat font leur déposition d’une façon naïve. Et on ne peut pas dire que les policiers soient toujours disposés à les informer de leurs droits, même s’ils ont l’obligation de le faire. Parfois certains policiers « recommandent amicalement » à la personne arrêtée de ne pas appeler un avocat. Cela sans doute pour faciliter la tâche de la police qui n’aime pas trop être sous la surveillance d’un homme de loi. Ce qui est plus grave, c’est quand certains policiers incitent le suspect à passer aux aveux, soit en lui faisant miroiter des charges réduites, soit en lui faisant croire que s’il persiste à nier, il risque une peine plus lourde. Les gardés à vue tombent souvent dans le piège et s’en mordent les doigts pour le reste de leur vie. Car il faut dire que même une condamnation à une petite amende pour un petit délit figurera dans le casier judiciaire de la personne pour toujours. Quant aux avocats, normalement, ils ne demandent qu’à bien faire leur métier même si certains sont incompétents ou négligents. Combien de fois n’a-t-on pas entendu des personnes reprocher à leur avocat de les avoir mal conseillées ?

La réforme de la procédure pénale française va plus loin que les lois mauriciennes car il ne sera pas possible là-bas de condamner quelqu’un s’il n’a pas bénéficié de la présence d’un avocat. A Maurice, rien qu’une phrase stipulant que le suspect a choisi de ne pas requérir l’aide d’un avocat permet à la police de se « débarrasser » de ce dernier. Quitte à ce que le suspect revienne par la suite sur sa déclaration en disant qu’il n’a pas signé cette phrase en toute liberté.

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