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Nathalie Rose (CUT) : « Ne pas rendre davantage vulnérables les usagers de drogues

4 décembre 2011, 09:48

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Nathalie Rose est coordinatrice au Collectif Urgence Toxida (CUT), une organisation non-gouvernementale qui travaille sur la réduction des risques chez la population des toxicomanes. Elle est d’avis que le gouvernement devrait revoir les lois afin de ne plus mettre les usagers de drogues en situation de vulnérabilité.

Quels sont les objectifs de Collectif Urgence Toxida (CUT) ?

CUT est une organisation qui milite pour la réduction des risques pour les personnes qui consomment des drogues. La particularité de la réduction des risques, c’est que l’accent n’est pas mis sur l’abstinence. Pendant des années, on a eu tendance à penser que la solution se trouvait dans la répression légale et l’abstinence. Mais avec le Sida qui a fait son entrée, les professionnels de la santé ont noté que ces approches ne répondaient plus à la réalité du terrain. CUT travaille, donc, sur le programme d’échange de seringues et fait le plaidoyer par rapport à la méthadone.

En 2010, la Commission du Mouvement militant mauricien (MMM) sur la drogue avait proposé une alternative à la méthadone, le suboxone, qui est, selon elle, plus efficace. Toutefois, CUT s’est opposé fermement à cette proposition. Pourquoi ?

Il faut savoir que le traitement au suboxone est une très bonne chose. Mais ce qui n’est pas logique dans cette proposition, c’est qu’on parlait de remplacer la méthadone par le suboxone. Alors que la deuxième substance coûte plus cher que la méthadone. Mais remplacer une molécule par une autre, dans le même contexte, ne changera pas la situation des gens qui consomment de la drogue. Depuis 2010, je sais qu’il y a eu une Private Notice Question à ce sujet, au Parlement et puis jusqu’à présent, nous n’avons rien entendu dans ce sens, en tous les cas, rien du côté du ministère de la Santé.

Justement, quelles sont les relations du CUT avec le ministère de la Santé ?

Disons que nous travaillons en étroite collaboration avec le ministère. Depuis le tout début de notre engagement, nous avons adressé notre plaidoyer aux autorités et la réponse a été de faire un comité multisectoriel avec différents partenaires. On a de très bonnes relations mais notre collaboration n’enlève pas notre liberté d’expression.

Mais on en est où avec le plaidoyer de l’ONG concernant la décriminalisation de la consommation de la drogue ?

Bon, il faut savoir qu’il y a une organisation qui s’appelle l’International Drug Policy Consortium. Le but de cet organisme est de plaider pour des politiques plus appropriées sur les drogues. Parce que, justement, les politiques actuelles mettent les usagers de drogue en situation de vulnérabilité. Donc, nous avions eu une approche avec les autorités pour leur expliquer la situation par rapport aux lois. Je dois dire que c’est malheureux que le message n’ait pas été compris comme il se doit. Plus les lois sont répressives, plus elles mettent les gens en situation de vulnérabilité. Par exemple, actuellement, les drogues se vendent sur le marché noir, le gouvernement ne perçoit aucune taxe et ce commerce enrichit les trafiquants. Mais le danger, c’est que quand un produit n’est pas légal, il n’est pas contrôlé et c’est la qualité du produit que l’on remet en question. Le Street Heroin à Maurice, n’est pur qu’à deux %. Les 98 % qui restent, nous ne savons pas de quoi il s’agit. Et les gens qui en consomment sont arrêtés et emprisonnés. C’est encore plus dangereux puisque dans le milieu carcéral, il n’y a aucun programme de réduction de risque et il y a toute une sorte de méthodes artisanales utilisées par les prisonniers pour l’administration de ces drogues. Donc, repenser les lois par rapport aux drogues, cela veut dire contrôler la distribution, le marché, la qualité et la santé. L’exemple concret vient du Portugal. Cela fait dix ans qu’ils ont décriminalisé toutes leurs drogues et depuis, ce pays a le taux de consommation de drogues le plus bas de toute l’Europe

Donc, il faut légaliser les drogues à Maurice ?

Il faudrait ouvrir le débat par rapport à la décriminalisation. La différence entre la légalisation et la décriminalisation, c’est que pour le deuxième cas, c’est possible d’en vendre sur une base contrôlée à des points de vente bien précis. En Hollande, par exemple, on peut avoir de la drogue dans des coffee shops. La drogue se vend de manière réglementée et en petite quantité. Le problème avec la décriminalisation, c’est que cela n’empêche pas les ventes au marché noir. Mais elle répond au problème de santé publique. Donc là, cela dépend de ce que l’on veut traiter. Un pays qui vient, du jour au lendemain et qui propose de tout légaliser, cela peut poser d’autres problèmes. Beaucoup de voix vont s’élever et cela ne va pas marcher.

Vous parliez, plus tôt du manque de contrôle dans les prisons, mais ce programme de Réduction des risques ne devrait pas être appliqué dans les endroits les plus à risques, justement ?

Bien sûr. Le problème, c’est que pour que cela se fasse, il faut encore avoir l’aval du gouvernement. Il est bon de savoir que dans le monde entier, une dizaine de pays seulement ont adopté le programme d’échange de seringues en prison. C’est encore très controversé et difficile à introduire. En prison, c’est pire les détenus utilisent des seringues pour s’administrer leurs doses et ils se partagent ces seringues à plusieurs. Et c’est utopique de penser qu’il n’y a pas de drogues en prison. Mais, je vais préciser une chose : le gouvernement compte bientôt lancer un programme de méthadone en prison. C’est une très bonne nouvelle parce que jusqu’à présent, la personne qui suivait des traitements à la méthadone ne pouvait continuer ce même traitement en prison. Mais aucun détenu ne pouvait s’inscrire à ce programme étant déjà incarcéré.

Quelque part, ne manque-t-il pas une volonté politique de faire évoluer les choses ?

Je dirais oui et non. Il ne faut pas oublier que Maurice a été le premier pays à adopter ce genre de programme…

…le premier pays ?

(Rire) enfin le premier pays dans la région africaine. Puisque dans le monde on est bien en retard. Les premiers programmes de ce type ont vu le jour, environ vingt ou vingt-cinq ans de cela. C’est bon de savoir qu’en Australie, cela fait vingt ans qu’ils ont introduit ces solutions. Aujourd’hui, il y a moins de 1 % de la population des injecteurs qui est positif au VIH Sida, alors qu’à Maurice, nous en sommes à 47 % des injecteurs de drogues à vivre avec le VIH. Le gouvernement a fait des choses, mais en même temps, elles peuvent être bien améliorées. Offrir plus de matériels pour l’échange de seringues, par exemple. Nous avons bien progressé mais il y a encore du chemin à faire.

En parlant de chiffres, on en est à combien d’usagers de drogues à Maurice ?

Selon le dernier sondage effectué en 2009, les chiffres parlent de 10 000 injecteurs de drogue à Maurice. Et c’est une nouvelle méthodologie qui a été utilisée en 2009 pour atteindre les populations cachées. Cette même méthodologie est utilisée deux ans après, c’est-à-dire cette année pour une autre étude afin de pouvoir comparer ce qui est comparable. Je dis cela parce qu’en 2004, on a révélé qu’il y avait 18 000 toxicomanes à Maurice et en 2009, on parle de 10 000. Bien sûr, plusieurs responsables politiques sont venus de l’avant pour se flatter d’avoir fait baisser les chiffres de près de 50 %. Mais ce n’est pas le cas, puisque les méthodologies utilisées sont complètement différentes. En 2004, les évaluations se sont faites de manière moins scientifique. Ce n’est que cette année que nous pourrons avoir une vraie comparaison. Cette étude n’indique pas uniquement le nombre mais elle pourvoit d’autres informations également.

En général, est-ce qu’on note un rajeunissement ou une féminisation de ce fléau ?

Dans les centres de réhabilitation, on note malheureusement un rajeunissement de la population des usagers de drogues. Il y a de plus en plus de jeunes qui souhaitent s’en sortir. Mais encore une fois, c’est le constat des centres qui s’occupent des toxicomanes. L’étude qui est en préparation actuellement donnera une vision plus approfondie de ce qu’est la situation.

Quand on parle de soutien aux toxicomanes, on parle de la volonté des politiciens, des travailleurs sociaux ou de la société civile. Mais qu’en est-il de la volonté des usagers de drogues eux-mêmes ? Est-ce qu’ils expriment un désir de réhabilitation ?

Il y a une volonté, surtout venant des plus jeunes. Il faut savoir qu’il y a également la rechute. D’ailleurs, elle fait partie de la réhabilitation, c’est une étape à franchir. La meilleure chose qui puisse arriver, c’est que les gens sortent de cette situation. Notre action, c’est de sécuriser la consommation, sans jugement par rapport à l’individu. Qu’il soit sous méthadone, qu’il ait rechuté, qu’il soit en réhabilitation ou quoi que ce soit, on ne rentre pas dans ces détails parce que notre souci premier c’est de protéger sa santé. Si une personne sait qu’elle n’est pas supposée consommer mais qu’elle a besoin de son matériel d’injection et qu’on le lui refuse, elle ira certainement s’approvisionner ailleurs et par n’importe quel moyen et cela la met dans une situation de vulnérabilité.

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