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Nicolas Maigrot : «L’Inde, partenaire stratégique pour des marchés diversifiés »

28 mai 2010, 07:25

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Le futur CEO d’Ireland Blyth Limited (IBL) évoque la nécessité de diversification dans les relations commerciales de Maurice.

Après 21 ans dans l’industrie textile, à Aquarelle et Floréal Knitwear, vous voilà futur «Chief Executive» d’un conglomérat faisant de tout, sauf le textile. Comment en êtes-vous arrivé là ?

Le textile est une école de la vie, où il faut se remettre en question tous les jours. Aujourd’hui, un gestionnaire peut se retrouver dans n’importe quel secteur. Cette offre m’a été faite, il y a quelques semaines. Ce sera dur de quitter le textile après 21 années de présence continue. C’est un nouveau défi, qui consiste à développer le groupe IBL, avec tous ses pôles d’activité.

C’est la gestion des ressources humaines qui détermine si quelqu’un est bon directeur dans le futur. Ces qualités sont importantes, quelle que soit l’entreprise. Il faut savoir surtout s’entourer de gens compétents, des spécialistes dans leur métier. L’important est d’avoir une équipe soudée et motivée.

Avant d’entrer dans vos fonctions de «Deputy Chief Executive», quel regard jetezvous sur IBL ?

Le présent CEO, Patrice d’Hotman de Villiers, a démarré un processus de restructuration qui rapporte ses fruits. Au premier trimestre 2010, les résultats sont satisfaisants (NdlR: bénéfices nets de Rs 80 millions pour un chiffre d’affaires de Rs 2,9 milliards). IBL est un moteur dans la vie économique de Maurice, présent dans divers secteurs qui sont arrivés à maturité, de même que d’autres qui demanderont une attention particulière dans un proche avenir. Je citerai, par exemple, le seafood, qui est une nouvelle activité ayant un potentiel de croissance très intéressant. Les quatre premiers mois représenteront une learning curve, où je serai à l’écoute de tout le monde, avant de définir une stratégie.

Avec une base diversifiée de piliers économiques, Maurice est-elle à l’abri dans le long terme ?

Maurice reste très vulnérable. Comme petit pays, il faut être très attentif. Nous n’avons pas droit à l’erreur dans les années qui viennent. Certes, le pays peut être fier de ses réalisations économiques et sociales, dans le sillage de la crise. Il a été cité comme exemple à travers le monde. Vu la crise en Europe, nous devons être vigilants en naviguant dans ces eaux troubles.

Vous renvoyez la balle à l’Etat ?

Chacun a son rôle à jouer. L’entreprise a son rôle de développement. Aujourd’hui, l’Etat est un facilitateur et il le sera dans le futur pour la croissance économique.

En quoi l’Etat pourrait faciliter la donne dans le sillage d’un euro faiblissant ?

La situation idéale n’existe pas. C’est vrai que la compétitivité de Maurice, dans ces secteurs traditionnels, sera très importante dans les années à venir. Elle représente un travail partagé entre le public et le privé.

Au début de 2010, on se réjouissait du fait que la reprise économique était derrière la porte. Cinq mois après, elle est encore bien loin...

On a crié victoire beaucoup trop tôt. Après une année 2009 extrêmement difficile, les moindres signes positifs furent considérés comme ceux d’une reprise économique mondiale, ce qui n’est pas totalement vrai. De mon point de vue, ce sont les pays en développement comme la Chine et l’Inde, qui sont sortis plus vite de cette période difficile. Il faut savoir aussi que ces pays sont tirés par une croissance interne. Ils se partagent une population de 2,5 milliards de personnes, soit 40 % du monde entier. Leur classe moyenne est en train de générer une croissance intérieure appréciable. D’un côté, il y a ce développement fort. Et de l’autre, l’Europe connaîtra des difficultés dans les années à venir. C’est un marché privilégié pour Maurice. Les répercussions d’une crise européenne sont à craindre sur le textile, le tourisme, les services financiers et les centres d’appels, soit une grosse partie de l’économie locale. Il faut s’y préparer.

S’y préparer, certes. Mais comment ?

Ces relations commerciales avec l’Europe se sont construites sur les 40 dernières années, pour le textile et le tourisme. Ça prend énormément de temps de se focaliser sur un autre marché. Et ce n’est pas du jour au lendemain que le pays pourra se recentrer sur l’Inde et la Chine ou le Moyen- Orient, pour qu’ils deviennent de gros consommateurs de nos produits et services. Le pays devrait considérer ces nouvelles donnes avec tout le sérieux voulu et développer, à partir de là, des stratégies. Nous parlons là d’un marché de 600 millions de personnes, qui consomment de plus en plus. C’est un marché en pleine expansion dans les deux pays. La mondialisation, l’Internet et l’éducation – nous avons d’excellentes universités en Inde – font que l’Europe est en train de délocaliser vers ces pays en développement, qui est la raison de sa souffrance.

Nous ne pouvons pas concurrencer l’Inde et la Chine sur les produits…

Le centre économique du monde est en train de bouger vers l’Orient, et cela ne fera pas marche arrière. Le produit intérieur brut, pour cette population de 2,5 milliards, est faible par personne. Mais sur l’ensemble, c’est énorme. De fait, chaque point de croissance qu’apportent l’Inde et la Chine, tire celle du monde entier vers le haut. Nous devons nous préparer pour prendre des parts dans ces marchés.

Notre salut résiderait-il dans le marché indien ?

Maurice est une passerelle pour l’Afrique. En parallèle, l’Inde est un partenaire stratégique pour le pays. Nous avons la chance d’avoir des liens forts avec la Grande péninsule. Nous avons là, une carte à jouer à tous les niveaux, que ce soit diplomatique ou économique. Je dirai que la diversification est notre salut. Par contre, l’Europe restera un marché extrêmement important de par notre passé commercial avec ce continent. Il faut souhaiter que l’Europe rebondisse au plus vite pour que notre économie reste résiliente.

Cette diversification représente-t-elle une tâche aisée ?

Prenons l’exemple de l’hôtellerie. Nous devons adapter nos services à une clientèle qui est différente du marché traditionnel européen. Ce n’est pas la même nourriture, pas les mêmes loisirs. C’est cette transition qui sera difficile et très périlleuse car nous devrons développer dans cette direction, tout en gardant les acquis européens. Il incombera à chaque secteur de développer ses axes stratégiques sans bousculer sa base.

L’OCDE et la Banque africaine de développement ont publié un rapport conjoint sur la croissance africaine. Des pays comme l’Ethiopie, le Zimbabwe et l’Uganda nous devancent au tableau de croissance. Vos commentaires.

Il est très facile de passer de deux sur dix à trois sur dix. Par contre, c’est plus compliqué de passer de 8 sur 10 à 9 sur 10. Plus un pays est au bas de l’échelle en termes de croissance, plus c’est facile d’augmenter et d’avoir un taux intéressant. Pour Maurice, c’est plus difficile car notre niveau de développement est largement supérieur à ces pays. Si vous comparez le produit intérieur brut par personne, nous sommes loin devant.

Propos recueillis par Kamlesh BHUCKORY

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