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Père sylvio lodoiska, curé de Roche-Bois : Le rocheboisien pense qu’il est traité comme un citoyen inférieur»

22 septembre 2012, 04:41

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Sylvio Lodoiska est curé à la paroisse de Roche-Bois depuis sept ans. C’est lui, le jour des émeutes qui ont eu lieu dans cette localité, qui est parvenu à calmer les esprits, en se mettant à ramasser les pierres jetées sur l’autoroute. Il explique ici la frustration et les problèmes qui attisent le feu de la violence à Roche-Bois.

Etiez- vous choqué par les événements de la semaine dernière ?
J’étais choqué par l’ampleur des incidents, plutôt que par les incidents eux mêmes.

Des incidents entre voisins arrivent, c’est comme ça. Mais de là à ce qu’ils se transforment en émeutes, ça, c’est choquant.

Et à quoi attribuez- vous cela ?

Je pense qu’il y a plusieurs facteurs. Je n’accuse pas la police, mais j’estime que si elle n’avait pas déployé autant de force pour intervenir dimanche dernier, les choses auraient pu être différentes. Ils sont venus avec de grands moyens et je pense que les Rocheboisiens ont interprété cela comme de la provocation.

Et cela justifie qu’ils lancent des pierres sur des policiers ?

En fait, c’était une réaction par rapport au fait qu’ils pensaient que la police était en train de défendre les gens qui avaient battu un jeune.

Mais il y a aussi depuis longtemps une méfi ance entre les habitants de Roches- Bois, la police et vice versa !

Oui et je peux vous dire qu’on a essayé d’avoir des rencontres régulières avec la police et cela se passe très bien. Mais la méfi ance est due à la perception qu’à Roches- Bois, il y a des problèmes. La peur alimente la peur, qui alimente les problèmes.

Vous dites dans l’éditorial de « La Vie Catholique » de cette semaine que les Rocheboisiens estiment être traités comme des citoyens inférieurs. Pourquoi dites- vous cela ?

Un exemple il y avait des lampadaires qui n’éclairaient plus dans la cure et j’appelle le CEB pour qu’ils règlent le problème. J’ai dû appeler tous les jours pendant trois semaines pour qu’éventuellement, ils viennent réparer les lampadaires.

Ah mais peut- être que vous ne savez pas vous y prendre et qu’il aurait fallu passer par un ministre ou un député !

Justement, est- ce une faveur ou un droit d’avoir de la lumière ? Et si on doit passer par un député ou un ministre, un autre problème est soulevé. Nous avons trois députés Shakeel Mohamed, Adil Ameer Meea et Cehl Meeah.
Mais pensez- vous vraiment qu’une personne de Roche- Bois peut aller frapper à la porte de Shakeel Mohamed de la même façon que les gens de Plaine- Verte le feront ?

Vos propos sont choquants.

Mais c’est la perception !

Quelle perception ? Ce que vous êtes en train de dire c’est qu’un habitant de Roche- Bois a besoin d’un député créole !

( Hésitations… ) Je ne dis pas ça, mais je dis comment les gens perçoivent les choses. Je ne dis pas qu’ils ont raison ou qu’ils ont tort. Je m’entends bien avec la députée Aurore Perraud qui m’a conseillé de discuter avec Shakeel Mohamed et j’ai découvert que Mohamed veut faire bouger les choses et qu’il veut travailler. Mais même Shakeel Mohamed m’a dit qu’il a plus de diffi cultés à demander des choses pour Roches- Bois que pour Plaine- Verte !

Pourquoi ?

Ecoutez, je ne sais pas. Je ne sais pas si au fond, c’est une perception qui se nourrit d’elle- même ou si c’est la réalité. Mais c’est un fait que nous avons l’impression que nos demandes ne sont pas considérées de la même façon que les demandes des autres.

Mais les Rocheboisiens ne sont pas que des victimes c’est à Roches- Bois que des travailleurs étrangers qui viennent à Maurice pour gagner leur vie sont volés et agressés !

Vous savez, quand un drogué a besoin de sa dose, il va voler, y compris dans sa propre maison. Quand il y a un climat d’insécurité, ce sont les plus vulnérables qui paient le prix et, quand le drogué voit des étrangers, il se sent en position de force. Les Bangladais ont aussi beaucoup souffert parce qu’ils subissent des agressions, des moqueries, je l’admets. Mais il n’y a pas que des Bangladais à Roche- Bois il y a des Indiens, des Chinois et des Malgaches. J’ai l’impression que le dortoir des Indiens est mieux protégé. En ce qui concerne les Malgaches, ils assistent à la messe, ils s’intègrent mieux, ils parlent français et donc apprennent le Créole plus facilement. Je pense que cela aussi a un effet. Si seulement il y avait plus d’interaction entre les Bangladais et les Rocheboisiens, les problèmes auraient été minimisés puisqu’ils auraient été mieux intégrés dans la vie des Rocheboisiens.

Il y a un problème d’interaction.

Est- ce dû au fait que contrairement aux Malgaches par exemple, les Bangladais ne vont pas à la messe ?

Non, mais c’est vrai que les Bangladais font plus « étrangers » que les Malgaches ou que les Chinois.

Parce qu’ils sont musulmans ?

Non, non ce n’est pas du tout cela. Ce n’est pas un problème communal. Les Rocheboisiens sont des gens qui se sentent écrasés et quand des situations se présentent, ils réagissent.

Très bien. Mais toujours est- il qu’après avoir subi des quolibets, des vols et autres problèmes, il est quelque peu compréhensible que les Bangladais aient explosé et ont voulu se venger !

Je suis d’accord, mais le problème c’est que le garçon qui a été battu n’avait jamais volé des Bangladais, il était innocent ! Je pense que s’ils avaient pu mettre la main sur un de ceux qui avait volé des Bangladais, les choses n’auraient pas autant dégénéré.

C’est clair que le problème de Roche- Bois est un problème de pauvreté et d’exclusion que fait le ministère de l’Intégration sociale dans ce cas ?

Le ministère n’a jamais montré d’intérêt pour Roche- Bois et je n’ai jamais rencontré le ministre. Il y avait un meilleur contact avec Xavier Duval il était plus présent sur le terrain. J’apprécie le fait que Shakeel Mohamed soit là, mais il est avant tout le ministre du Travail. Le ministre concerné n’a, lui, jamais mis les pieds ici.
C’est quand même dommage et je vous explique pourquoi imaginons un moment que tous les habitants de Roche- Bois vivaient au- delà du seuil de pauvreté, que tout le monde travaillait, que l’école de Roche- Bois ne soit plus une école ZEP, que tous les jeunes qualifi és arrivent à trouver un emploi, ou alors qu’il y ait le même pourcentage de chômage à Roche- Bois qu’ailleurs. Qu’il y avait toutes les infrastructures nécessaires à Roche- Bois. Croyezvous qu’il y aurait eu ces incidents ?

J’ai lu qu’une habitante de Roche- Bois a dit « nou nou pena travay me bann Bangladesi ena » . Si on leur avait proposé de faire le travail que font les Bangladais, auraient- ils accepté ?

Je vous pose une autre question est- ce que des gens qui habitent Triolet auraient accepté de faire le travail que font les Bangladais ? La réponse, je crois, est non.

Si telle est l’attitude des Rocheboisiens, ils ne devraient pas venir se plaindre de ne pas avoir de travail !

Mais à Triolet, quand ils refusent de travailler dans les usines, on leur donne d’autres jobs.

Si c’est ça votre logique, on ne va régler aucun problème dans ce pays !

Oui, mais ce que je veux dire c’est qu’il faut arrêter de stigmatiser un groupe de personnes. Si les Rocheboisiens disent « zot inn pran nou travay » , est- on en train de leur donner d’autres jobs ?

Quand on n’a pas de travail, on ne se permet pas de faire la fine bouche !

Mais vous- même vous dites que les Bangladais sont exploités. Si on donne ces jobs à des Rocheboisiens, la frustration va continuer !

Mais si les Mauriciens ne sont pas disposés à faire le travail, il y aura toujours des étrangers qui seront disposés à être exploités. Et les Mauriciens auront le toupet de dire « zot pran nou travay » ?

Nous sommes sur la même longueur d’ondes. Le problème n’est pas par rapport aux étrangers mais par rapport à la situation dans le pays. Le Rocheboisien sent qu’il n’a pas les mêmes choses que les autres.

Propos recueillis par Deepa BHOOKHUN
 

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