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Parmila Patten, Vice-Présidente de la cedaw : «Les Mauriciennes ont gagné. Sur papier»

9 mars 2013, 03:16

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Cette experte des discriminations à l’égard des femmes auprès des Nations unies estime que le ministère de l’Egalité du genre n’a pas les moyens de faire son travail, car isolé et souffrant d’un problème d’exclusion.

Chaque 8 mars, l’on fait de grands discours sur les droits de la femme. Quel est le progrès accompli par Maurice ?
J’ai l’impression que le 8 mars est devenu un alibi. On a droit à de beaux discours, alors que les discriminations, les abus subis par les femmes sont légion dans le monde. Même si à Maurice, il y a eu des progrès significatifs dans plusieurs domaines, l’égalité de fait est loin d’être une réalité. Pourtant, les lois sont là. Sur papier, les Mauriciennes ont gagné.
Mais la réalité tarde à rejoindre les intentions.

Est-ce que les discriminations qui perdurent viennent du fait que notre société est patriarcale ?
Le patriarcat repose sur six structures : l’emploi, le travail domestique, la culture, la sexualité, la violence et l’État. Le travail domestique est la structure dominante du patriarcat privé, caractérisé par une appropriation individuelle des femmes dans la famille et leur exclusion de l’espace public.
L’État et le travail salarié sont les structures majeures du patriarcat public, qui impliquent une appropriation collective des femmes par leur ségrégation et leur subordination dans la sphère publique. L’espace domestique où se décide la répartition des tâches et des responsabilités, la violence domestique, le monde du travail marqué par et une ségrégation professionnelle et des inégalités de salaires, la sphère politique qui maintient les femmes éloignées des décisions sont des exemples des domaines où des discriminations persistent.

L’émancipation de la femme passe- t- elle nécessairement par son accès à la politique active ?
Pas nécessairement, mais il est clair qu’une masse critique de femmes compétentes en politique active pourrait améliorer le statut de la femme en général. Les femmes sont aussi absentes des instances de prises de décision, que ce soit dans le privé ou le public.

Nous avons vu, avec le vote sur la légalisation partielle de l’avortement, à quel point les femmes en politique peuvent être insensibles aux problèmes des Mauriciennes. Cela ne remet-il pas en cause l’argument selon lequel elles peuvent aider les femmes parce que plus sensibles aux réalités ?
C’était un cas isolé, car le sujet était « sensible » . Les femmes sont « plus » sensibles aux questions touchant les femmes et les enfants. On ne peut pas compter sur les hommes parlementaires qui sont gender blind . Même dans les partis politiques, le féminisme reste l’affaire des femmes. Les commissions des femmes s’organisent à côté ou en marge des « vraies questions politiques »

Justement, pourquoi cette affaire d’ailes féminines perdure-t-elle ? Pourquoi les politiciennes ne se révoltentelles pas ?
Elles sont tellement minoritaires qu’elles ne peuvent pas s’exprimer de façon forte. Elles sont de facto gagged .

Êtes-vous pour un système de quotas ?
J’exhorte tous les Etats à adopter un système de quotas ou autres mesures spéciales pour accélérer l’égalité de fait. La Convention CEDAW exige que les femmes bénéficient de chances égales au départ et d’un environnement propice pour aboutir à l’égalité de résultats. Il ne suffit pas de garantir un traitement identique des femmes et des hommes. Il est indispensable de suivre une stratégie de lutte contre la sous représentation des femmes et de redistribution des ressources et des responsabilités entre les hommes et les femmes. Le comité CEDAW a plus d’une fois demandé à l’Etat mauricien d’adopter un système de quotas pour une meilleure représentation des femmes en politique.

Que vous inspire le fait que le gouvernement a introduit le principe dans la Constitution, mais l’a limité aux élections locales ?
C’est un pas en avant. Il n’y a eu aucune objection à cette clause dans le Local Government Act . Les plus grands progrès sont accomplis dans l’esprit. Le chemin est tracé pour que les femmes bénéficient d’un système de quotas pour les législatives afin de combler le décalage actuel.

On a créé un ministère de la Femme, en 1982, qui s’appelle aujourd’hui Egalité du genre. En a- t- on toujours besoin ?
Ce ministère a toute son importance car l’égalité hommes- femmes n’est pas assurée. Mais, il n’est pas capable de jouer pleinement son rôle de « policy- maker » en matière de droits des femmes et de guider la politique nationale.
Il n’est pas capable d’influencer les autres ministères et est plutôt isolé.
Le ministère ne fait pas suffisamment pour déconstruire les stéréotypes de genre. La violence à l’égard des femmes est une épidémie à Maurice. Or, l’égalité est un travail de chaque instant et exige la mobilisation de plusieurs ministères. Il est important que le ministère se mobilise pour définir la politique du gouvernement en matière de l’égalité des genres et faire progresser l’égalité dans la société. Les droits des femmes doivent devenir une politique publique.

On ne semble pas être dans la bonne direction puisque Mireille Martin s’est distinguée par son désintéressement pour tout ce qui concerne les femmes et les enfants !
Je ne partage pas votre avis. Elle a beaucoup de mérite et se distingue des autres qui se contentent de lire ( souvent très mal) des discours d’ouverture de séminaire elle s’investit personnellement et apprend vite. J’ai été impressionnée par sa prestation à Genève quand le dernier rapport de Maurice était examiné par le comité CEDAW. Votre question confirme que les attentes de ce ministère et de la ministre sont toujours grandes à juste titre. Ce ministère est trop souvent perçu comme un « petit ministère » , doté d’un petit budget. Mireille Martin fait de son mieux avec des moyens limités.

Si Mireille Martin croyait dans ce combat, elle se serait battue au Cabinet pour que la question des femmes devienne une affaire nationale.
Elle ne peut pas ! Elle est isolée et perdue dans son « petit » ministère. A part Sheila Bappoo, personne n’a pu pousser la question des femmes à l’avant- plan. Or, la politique nationale pour les femmes aurait dû être déterminée par le ministère de la Femme. Ce ministère est le « national machinery » pour les femmes et un « national machinery » doit avoir trois choses : le pouvoir, la visibilité et les ressources. Le ministère n’en a aucun.

L’on est encore en train de parler de politique du genre quand ailleurs, l’on parle de « post feminism era » !
Les féministes sont confrontées, à une période marquée par une remise en cause généralisée des acquis, à de lourds défi s. La contre offensive patriarcale se constate dans tous les pays et vise à dire que le féminisme est nocif. On dit que « les féministes exagèrent car l’oppression des femmes, c’est fini, le harcèlement sexuel ça n’existe pas, les violences faites aux femmes non plus » . L’arme la plus efficace est le matraquage de l’idée que « tout est gagné, il n’y a plus rien à faire » … sauf à retrousser ses manches et à prouver qu’on est digne de cette égalité. Si les femmes n’y arrivent pas, c’est de leur faute – et non celle de la société.
Mais je ne pense pas que le féminisme est mort car l’essentiel demeure : comment les associations peuvent- elles créer un rapport de forces en établissant des alliances entre toutes les composantes du mouvement féministe ? Comment faire du féminisme une question politique de premier plan ? Cela nécessite un mouvement des femmes puissant, permettant d’imposer un rapport de forces. Les violences faites aux femmes l’intégrisme religieux demeure parmi les sujets de préoccupation.

Mais les combattantes ne se fontelles pas de plus en plus rares ?
Effectivement – c’est un constat personnel – il y a moins de femmes prêtes à s’investir dans la cause.

Cela est reflété dans la léthargie des associations dites féminines à Maurice. Pourquoi cette léthargie ?
Les raisons sont multiples. Il y a beaucoup d’associations de complaisance qui existent pour plaire ou tout cautionner. Ce sont les membres de ces associations qui se voient octroyer des décorations le 12 mars. Il y en a d’autres qui se font passer pour des « gender experts » alors qu’elles ne le sont pas et qui font plus de tort aux femmes. C’est triste de constater que le travail de Radha Gungaloo dans le combat contre la violence à l’égard des femmes n’a jamais été reconnu. Souvent aussi, l’illusion que l’égalité est atteinte permet à certains de lâcher du lest, ce qui est dangereux et pourrait avoir pour effet un net retour en arrière pour les femmes. Je souhaite vraiment l’émergence de nouvelles associations avec le dynamisme du mouvement féministe.

«IL Y EN A QUI SE FONT PASSER POUR DES ‘GENDER EXPERTS’ ALORS QU’ELLES NE LE SONT PAS.»

 

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