Publicité

Pierre Dinan « La productivité devrait faire l’objet d’un projet national »

7 juillet 2010, 05:13

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

lexpress.mu | Toute l'actualité de l'île Maurice en temps réel.

On constate une contraction de 4 % de l’économie au premier trimestre 2010 par rapport au 4ème trimestre 2009. Faut-il craindre un «double dip» ?

Tant que les pays européens n’auront pas réglé leurs problèmes de déficit budgétaire et d’endettement, il y aura un risque. Ces pays en sont d’ailleurs conscients puisqu’ils ont pratiquement tous adopté des plans d’austérité. Il faut également que les Etats Unis retrouvent une croissance solide avec une économie créatrice d’emplois.

Pour l’instant, on peut toujours craindre un double dip. A Maurice, nous sommes toujours en croissance et non pas en récession. Mais la reprise qui se dessine dans le monde sera lente alors qu’il semble que l’on soit un peu trop pressé de sortir de la crise.

Le dernier comité de politique monétaire de la Bank of Mauritius a laissé le taux repo inchangé à 5,75 %. Y avait-il une marge de manoeuvre pour une détente monétaire ?

Il existe toujours une marge de manoeuvre quand un besoin se fait sentir. Mais, pour Maurice, la question est de savoir si on a besoin d’une détente monétaire. Or, le véritable problème se situe au niveau des exportations de biens et de services. Force est de constater que ces exportations sont avant tout touchées par les politiques menées en Europe et aux Etats Unis où de nouvelles normes sont en train d’être mises en place. Dans ces conditions, ce n’est pas une baisse de taux d’intérêt qui pourrait avoir un impact significatif sur les problèmes auxquels les entreprises mauriciennes d’exportation ont à faire face. Les pays occidentaux sont aujourd’hui obligés d’adopter de nouvelles normes synonymes de réduction de déficit budgétaire et d’austérité. Et Maurice ne devrait pas échapper à ces nouvelles normes. C’est ainsi sur la productivité et le réaménagement de la consommation qu’il faut d’abord travailler avant d’avoir recours au levier du taux d’intérêt.

La Bank of Mauritius met en garde contre un risque de résurgence de l’inflation à moyen terme. Partagez vous cet avis ?

La résurgence de l’inflation devrait intervenir quand la croissanec sera repartie dans les grands pays développés. Elle dépendra donc de la relance de l’économie mondiale. Si la reprise reste molle, comme on le constate jusqu’à présent, il n’y a pas de crainte à avoir. Mais effectivement à moyen terme, il se peut qu’on assiste à un retour des tensions inflationnistes.

L’atonie actuelle du marché du crédit peut-elle se révéler dangereuse si elle devait perdurer ?

L’activité économique a besoin du crédit bancaire comme le corps a besoin de sang. Or, quand on manque de sang on procède à une transfusion. Face à la baisse de l’offre de crédit, il est étonnant que les entreprises n’aient pas plus recours à la levée de capitaux en Bourse. Nous n’avons pas vu une opération conséquente en Bourse depuis des lustres.

L’atonie de la demande de crédit peut être mise sur le compte des incertitudes vis-à-vis d’une économie tournée vers l’exportation dont les marchés ont été fragilisés. Les acteurs économiques se rendent compte qu’il faut faire attention. Il existe peutêtre également un immobilisme lié à l’attente des mesures que va prendre le nouveau gouvernement. Ce qui a peut-être retardé certains projets.

Les dernières statistiques font état d’une hausse du taux d’épargne en 2010, mais d’une baisse de l’investissement. Comment peuton expliquer ce paradoxe ?

Si l’épargne recommence à progresser, c’est une bonne chose. Mais il y a encore beaucoup de chemin à parcourir car le taux d’épargne se situe à des niveaux historiquement bas. Si l’investissement recule, c’est que la confiance fait défaut. L’idéal serait d’affecter l’épargne à des investissements
véritablement productifs.

Justement, on parle souvent des problèmes de productivité à Maurice. Comment peut-on faire progresser cette productivité ?

La productivité devrait faire l’objet d’un projet national. Je regrette que ce thème n’ait pas été abordé dans les discours des responsables politiques. Car il s’agit d’un thème qui concerne tout le monde. Aussi bien les secteurs économiques que les citoyens, en passant par le gouvernement. Il nous faut rattraper notre retard en matière d’infrastructure. Nous devons développer l’efficacité de l’administration, des District Councils, des municipalités, des entreprises de l’Etat, des services sociaux comme les écoles ou les hôpitaux... Tout le monde se doit de faire un effort.

Dans le secteur privé, on constate une baisse de productivité du capital sur les dix dernières années. Il y a un problème car l’output n’a pas progressé comme il aurait dû. Il faut se poser la question de la bonne utilisation des nouvelles technologies. Les syndicats et les citoyens devraient également être partie prenante dans ce débat. Nous avons créé un National Productivity Council, mais nous n’en avons plus entendu parler.

Que pensez-vous du projet «Mauritius duty free island» ?

Il faut avant tout savoir ce que «duty free» veut dire. Il existe quatre grandes familles de «duty» : les droits de douanes, les droits d’accises, les droits de timbres et les droits d’enregistrement. Les droits de douanes représentent Rs 1,6 milliard, soit 2,4 % des recettes budgétaires.

Les droits d’accises qui frappent notamment les alcools, le tabac, les parfums et les voitures atteignent Rs 8,6 milliards, soit 12,9 % des revenus. Quant aux droits de timbres et d’enregistrement, ils se montent à Rs 3,4 milliards, soit 5,1 % des revenus budgétaires. Si on supprime les droits de douanes, on touchera au poste le moins important, mais pour compenser il faudra quand même faire passer le taux de TVA de 15 % à environ 16 % sur la base des projections budgetaires de 2010. Ce qui serait dommageable.

Il faut, en outre, rappeler qu’il est déjà prévu de supprimer la NRPT et la taxe sur les intérêts perçus. Le gouvernement devrait donc réduire ses dépenses, car toute hausse du déficit budgétaire serait suicidaire. Pour que le projet du duty free island réussisse, il faut qu’il soit relié à une nouvelle approche touristique.

Pour l’instant, le touriste européen est intéressé en priorité par les plages. Il va falloir aller chercher des touristes qui veulent faire du shopping. Or, nous n’avons, par exemple, pas assez de vols vers l’Asie. Enfin, certaines entreprises locales équivalant à plus de 50 000 emplois risquent de souffrir du concept d’île duty free. Il va falloir agir progressivement et intelligemment afin que les éventuels bénéfices découlant du projet Mauritius duty free island soient supérieurs au manque à gagner fiscal et à la possible perte d’un certain nombre d’emplois.

 

Propos recueillis par Pierrick PÉDEL

Publicité