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Pramila Patten : Avocate et experte de CEDAW
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Pramila Patten : Avocate et experte de CEDAW

L’Etat mauricien s’est engagé auprès des Nations unies à légaliser l’avortement. Or, non seulement il ne l’a pas fait mais, il ne montre aucune inclination à le faire. Pramila Patten, experte en genre auprès des Nations unies, dénonce cette légèreté.
? Le Committee on Economic, Social and Cultural Rights des Nations unies a égratigné Maurice dans un récent rapport sur plusieurs violations de la convention, dont la non-légalisation de l’avortement. Expliquez-nous comment ces choses-là se passent.
L’Etat mauricien a ratifié la convention sur les droits économiques, sociaux et culturels. Ils ont, à partir de là, l’obligation de s’expliquer devant le comité tous les quatre ans parce que signer une convention veut dire qu’il faut appliquer les engagements que l’Etat prend. Il y a aussi un corps d’experts qui suit de près l’application de la convention.
? Que se passe-t-il quand le gouvernement soumet son rapport ?
Le comité examine le rapport soumis et l’oppose à ses propres informations. A la lumière de cela, il fait des recommandations.
Dans son rapport soumis le 21 mai, le comité est très critique envers le gouvernement mauricien. Mais, ce n’est pas la première fois qu’un comité des Nations unies fustige le gouvernement sur l’avortement.
En 2006, le comité sur la CEDAW (Convention pour l’élimination de toutes formes de discrimination à l’égard des femmes) dont je fais partie, avait aussi rabroué le gouvernement pour ne pas avoir légalisé l’avortement malgré le fait qu’il ait signé la convention.
? Le gouvernement n’a montré aucune inclination à légaliser l’avortement ! Il semble que l’Etat mauricien signe des conventions qu’il ne prend pas au sérieux...
Tout à fait. Le gouvernement a aussi signé l’optional protocol.
? Ce qui veut dire ?
Quand le gouvernement signe la convention, c’est l’Etat qui est redevable envers les Nations unies. Mais, quand il signe le protocole optionnel, tout citoyen qui estime que l’Etat ne respecte pas la convention, peut aller devant le comité en question pour loger une plainte contre le gouvernement pour violation de la convention, comme l’a fait Rezistans ek Alternativ.
? L’Etat aurait choisi de signer ce optional protocol tout en sachant qu’il n’allait pas légaliser l’avortement ? Ne prendrait-il pas tout cela au sérieux ?
Clairement. J’avais été nommée par le gouvernement en 2002 pour présider un task force sur toutes les lois qui sont discriminatoires à l’égard des femmes. J’avais recommandé, entre autres, que l’avortement soit légalisé. Je sais qu’Ashock Jugnauth, ministre de la Santé de l’époque, avait commencé à travailler là-dessus, mais, si j’ai bien compris, l’ébauche est au fond d’un tiroir depuis quelques années.
? Pourquoi le gouvernement rechigne-t-il autant à légaliser l’avortement ?
Il n’y a aucune volonté politique parce que l’avortement n’est pas leur priorité. Ils pensent que c’est quelque chose qui ne concerne que les femmes. Je suis contente qu’il y ait, aujourd’hui, un ministère de l’Egalité du genre et que ce soit une femme qui est à la tête du ministère de la Santé.
? C’est ce qui va faire une différence ?
Oui. Ce sera à elles de mettre la question à l’ordre du jour, de mettre la pression.
Mais, il y a une grande hypocrisie autour de la question. Il y a des gens qui sont pro-choix et pro-vie, que ce soit au gouvernement ou dans l’opposition.
? Comme avec la réintroduction de la peine de mort et le gouvernement a tranché !
Exactement. Le débat ne va jamais s’arrêter mais, il faut prendre une décision.
En Belgique, cela fait 20 ans qu’ils ont légalisé l’avortement et les pro-vie sont toujours en train de manifester. Le vrai débat c’est que la loi est obsolète et qu’elle est en train d’enrichir des gens. Une loi obsolète qui n’est pas appliquée : il y a des femmes qui avortent tous les jours et parmi celles-ci, de plus en plus, de jeunes précoces qui sont sexuellement actives très tôt. Les jeunes n’ont pas accès aux contraceptifs et c’est cela la réalité.
? Et on n’a même pas de chiffres puisque tout se fait dans l’illégalité...
On est en train de travailler avec des chiffres qui sont dépassés. La Mauritius Family Planning Association (MFPA) parle de 20 000 cas d’avortements par an. Mais, j’entends parler de ce chiffre de 20 000 depuis 1982 !
? Donc, on se voile la face parce qu’on ne veut pas confronter le problème ?
Même la MFPA n’est pas prise au sérieux dans ses demandes. Mais, je pense que le cas de Shabilla Kalla est très intéressant.
C’était le cas le plus facile du monde à poursuivre. Elle a admis qu’elle s’est fait avorter et l’avortement est illégal.
Cela dit, je ne suis pas d’accord avec la position du Muvman Liberasyon Fam qui demande la suspension de la loi. On ne peut pas suspendre une loi, soit on l’abroge soit on l’applique.
? C’est vrai que la position du DPP est intéressante dans le cas de Kalla. Quelle est votre interprétation ?
Qu’il ne croit pas en cette loi. Sinon, il aurait poursuivi Kalla.
? Mais, ce n’est pas tant les poursuites que l’accès à un avortement propre et sans risques...
Tout à fait. C’est pour cela que nous parlons de dépénalisation, pour qu’arrêtent les avortements clandestins. Parce qu’ils sont dangereux, parce qu’il y a des complications. Alors que celles qui ont de l’argent se rendent dans des cliniques privées. C’est une discrimination entre différentes catégories de femmes et nous sommes en train de bafouer les droits sexuels et reproductifs des femmes. Nous allons à l’encontre de toutes les conventions internationales que Maurice a ratifiées.
? Nous parlons de dépénalisation, mais dépénalisation veut dire que nous n’allons plus poursuivre. Cela ne veut pas dire que les femmes pourront avoir recours à l’avortement.
Ma recommandation est que l’avortement ne devrait pas être une forme de contrôle de planification familiale. On devrait trouver un compromis – viol, inceste, quand la vie de la mère est en danger etc. Mais, on ne peut pas envoyer une femme en prison parce qu’elle a avorté.
? Dans la pratique, une femme pourra-t-elle se présenter à l’hôpital et dire : «Je voudrais avorter ?»
Tout à fait. Parce qu’il faut donner à la femme le choix d’avorter ou pas. Et si elle choisit de le faire, de le faire dans des conditions médicales correctes.
? Est-ce réaliste ?
La situation est telle que les femmes ont recours à l’avortement sans se soucier de savoir si c’est légal ou pas. Puisque c’est illégal, elles le feront dans la clandestinité.
Laissez-moi vous en donner un exemple concret. En Roumanie, sous Ceausescu, les femmes qui avortaient étaient passibles de la peine de mort cela ne les empêchait nullement d’avorter. Quand Ceausescu a été décapité et l’avortement légalisé, le nombre d’avortements a diminué.
? Comment expliquez-vous ce phénomène ?
Quand on légalise l’avortement, on éduque les gens, on en parle, on accompagne les femmes. On parle de dépénalisation, mais personne n’est pour l’avortement.
Le débat est faussé parce que personne ne va encourager les gens à avorter.
On est pour le libre choix de la femme de décider de se faire avorter ou pas.
Le problème c’est qu’il faut réduire le nombre de grossesses non désirées.
Comment fait-on cela ? A travers l’éducation et non à travers la répression. Interdire l’avortement ne va pas réduire le nombre d’avortements. Tout ce que cela amène, c’est l’avortement clandestin, l’avortement traumatisant, l’avortement dangereux.
? La peur, je crois, c’est que la légalisation de l’avortement va encourager l’avortement.
Qu’on le comprenne une fois pour toutes – et cela a été prouvé : l’interdiction n’a jamais affecté la décision de la femme de recourir à l’avortement.
 
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