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Rajiv Servansingh : « Face à la crise, il faut réformer le public et restructurer le privé »

5 janvier 2012, 08:16

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2011 s’est achevée avec le sentiment que le pays s’en est bien sorti, avec peu de dégâts économiques. Qu’en pensez- vous ?

Avec une croissance de 4,1 %, un déficit budgétaire contenu à 3,4 % du Produit intérieur brut et un niveau d’endettement raisonnable, il y a de quoi avoir le sentiment d’avoir réussi l’année, étant donné les secousses de l’économie mondiale et ses effets directs et indirects sur notre performance.

Le textile-habillement s’en est mieux sorti que prévu. La modernisation de l’outil de production suite à la rationalisation et à la concentration des années précédentes a porté ses fruits. Il y a eu une diversification des marchés, essentiellement vers l’Afrique du Sud, et il semblerait que le secteur des petites et moyennes entreprises, qui produit pour le marché local, a su se maintenir malgré les importations du textile-habillement des pays du sud-est asiatique.

Idem pour le sucre, où les projections pessimistes ne se sont pas matérialisées. Les planteurs ont reçu Rs 15 500 par tonne de sucre, même si les coûts de production ont augmenté, tant pour la main-d’oeuvre que pour les intrants. L’industrie sucrière continue sa transformation en une industrie de la canne afin d’optimiser l’utilisation des ressources.

Quant au secteur des services, il se porte bien avec un secteur financier qui s’accroît. Cela, malgré une baisse d’activités prévisible dans l’offshore, due aux craintes concernant notre accord de non double imposition fiscale avec l’Inde. Les TIC-BPO sont en forte croissance.

Sauf pour le tourisme ?

Les établissements cinq étoiles ont souffert depuis 2009. Une conséquence de la crise de 2008, et de la réaction de panique qui s’en est suivie. Les groupes hôteliers se sont lancés dans une guerre des prix qui a dû faire du tort au positionnement et à l’image acquise sur nos marchés traditionnels. Brouiller une image construite sur une si longue durée de manière aussi brusque ne peut que déboussoler nos partenaires et d’éventuels clients.

C’est là une explication plausible du fait que malgré la crise, l’arrivée touristique ne décroît pas. Mais les grands hôtels continuent à souffrir. L’image globale de Maurice dans nos marchés traditionnels demeure attractive, mais il y a eu un déplacement de la clientèle vers des touristes plus soucieux de leur bourse. Tandis que nos clients traditionnels restent dubitatifs face à cette vente au rabais.

Doit-on être inquiet pour 2012 au vu de ce qui se passe dans la zone euro, menacée d’implosion ?

L’Europe demeure le marché le plus important de nos exportations et notre plus grand bailleur de fonds. Ce qui s’y passe est déterminant pour notre économie. Si l’implosion de la zone euro semble possible, les conséquences seront dramatiques pour l’économie mondiale, dans la mesure où les responsables continueront à colmater les brèches au lieu de prendre les mesures qui s’imposent, en attendant les élections présidentielles en France et aux Etats-Unis.

Au niveau des paramètres macro-économiques cités plus haut, nous en avons omis trois qui sont capitaux pour répondre à cette question : le chômage, l’infl ation et le taux de change de la roupie mauricienne. Ces variables interdépendantes sont autant de mesures liées au bien-être de la population mauricienne. Elles sont autant la résultante de la politique endogène (budgétaire et monétaire) que de facteurs exogènes – par exemple une implosion de la zone euro ou un euro s’échangeant à USD 1,20. D’où la nécessité d’être vigilants au niveau de la manipulation des instruments de politique économique sous notre contrôle.

Il ne serait, ainsi, pas imprudent d’envisager un déficit budgétaire supérieur à 3,8 %. Un raisonnement plutôt intuitif nous mène à penser qu’il est probable que ce déficit actuel refl ète une faiblesse structurelle dans notre capacité de gérer un plus grand déficit, d’où notre incapacité à stimuler l’économie pour résorber le chômage plus efficacement. Nous avons intrinsèquement quelques cartes à jouer. Sauf si la crise est encore plus catastrophique.

Notre économie est-elle assez résiliente pour amortir les effets de la crise européenne ?

La grande chance que nous avons, c’est la somme d’inefficience qui caractérise le fonctionnement d’un grand nombre de secteurs et d’institutions. La nouvelle génération dans le secteur privé ne s’y est pas trompée.

Les manoeuvres que nous observons au niveau des grands groupes du secteur privé sont le reflet des bouleversements structurels résultant de la mondialisation et de son impact sur l’économie mauricienne. Ces restructurations émettent en cause le modèle engendré par l’homogénéité au niveau du secteur privé, jusqu’ici dominé par le sucre, et nos arrangements historiques avec nos partenaires européens.

Elles sont le reflet de dynamiques plus compétitives et de la prise de conscience qu’il faut se repositionner pour prendre avantage des opportunités qui s’ouvrent dans la région, aussi bien que par une certaine maturation de l’économie mauricienne, forcée à s’adapter aux nouveaux courants mondiaux. L’expansion régionale sera l’un des vecteurs de ce dynamisme.

Reste le secteur public. Le Premier ministre le reconnaît : il reste tout à faire en ce qui concerne les réformes administratives qui mettront les services publics en phase avec cette nouvelle étape de notre intégration dans l’économie mondiale.

Le recours aux experts étrangers est un palliatif qui ne résout pas le problème de ressources mal utilisées et d’un cadre administratif dépassé. Il n’est pas question d’incompétence, mais de failles systémiques. Le dysfonctionnement est tel que les mécanismes de transmissions sont faussés et la mise en oeuvre ne reflète que partiellement les décisions prises.

Mais il ne s’agit pas que de réformes administratives. Encore faut-il créer un consensus en faveur de ces réformes. Pour ce faire, il est impératif que les bénéfices qui en découlent soient équitablement partagés. Ce n’est qu’à ce prix que nous pourrons entamer les réformes qui créent de la valeur pour tous.

La réforme du service public et la restructuration du privé dans un souci de mobiliser des forces vives de la nation sont des atouts afin de consolider notre capacité de résistance aux bouleversements de l’économie mondiale.

Propos recueillis par Villen ANGANAN

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