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Rajiv Servansingh observateur économique
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Rajiv Servansingh observateur économique

? Le ministre des Finances vient de dresser un bilan des principaux fondamentaux, en indiquant que la croissance sera de 3,2 %, le taux de chômage à 8 % et le déficit budgétaire à 3 % du PIB. Est-ce que ces indicateurs vous rassurent ?
Oui et non. Oui, lorsque l’on voit ce qui se passe dans le monde, y compris en Chine, mais surtout dans la zone euro, qui demeure notre principal partenaire économique. Si malgré tout cela, nous arrivons à faire plus que simplement maintenir la tête hors de l’eau, c’est satisfaisant.
Non, pour deux raisons. D’abord, il est clair qu’avec ce taux de croissance, nous ne créons pas le nombre d’emplois suffisant pour résorber le chômage. Les conséquences se font déjà sentir au niveau social et cela risque de s’aggraver si la tendance n’est pas renversée. Il y a aussi visiblement de l’espace pour améliorer nos performances en termes de productivité et une utilisation plus judicieuse de nos ressources, tant financières qu’humaines.
? Est-il normal de tout mettre sur le compte de la crise pour justifier la mauvaise performance économique du pays ?
Certainement pas. Il faut faire la part des choses en ce qui concerne les facteurs endogènes et les facteurs exogènes. Ces derniers, nous les connaissons tous, et il n’y a rien que l’on puisse faire pour en changer les cours. Restent les facteurs endogènes. Sur ce plan, l’on est jugé par sa capacité à développer une politique cohérente, visant à améliorer la productivité et la compétitivité de la nation. Ce n’est qu’ainsi que l’on pourra mitiger les effets de la crise.
Premièrement, prendre les mesures d’amélioration de l’efficience, c’est-à-dire améliorer l’existant.
Nous pouvons inclure dans cette catégorie des changements de process et d’approche qui réduisent les goulots d’étranglement.
Deuxièmement, il faut revoir le cadre légal et régulateur afin qu’il favorise l’innovation et l’entreprise.
Il s’agit ici principalement de l’identification d’autres pôles d’activités productives dans les services ou les produits, y compris l’agriculture. Il peut s’agir d’activités nouvelles ou des extrapolations de ce qui existe. On doit envisager l’augmentation des gammes, la diversification des marchés ou encore la hausse de la qualité offerte.
? Xavier-Luc Duval avait annoncé l’année dernière, un certain nombre de mesures budgétaires pour amortir l’effet de la crise sur les principaux secteurs économiques.
Avec la baisse de croissance enregistrée dans les secteurs comme le tourisme, le textile ou encore la construction, faut-il comprendre que ces mesures n’ont pas donné les résultats escomptés ?
Arriver à de telles conclusions serait plutôt hâtif. La question que l’on doit se poser, et à laquelle on ne peut pas trouver de réponses définitives, est la suivante : où en seraient ces secteurs s’il n’y avait pas eu de stimulus package ? La même question se pose dans tous les pays qui ont mis en place de tels programmes.
L’exemple le plus parlant est sûrement la comparaison entre les Etats-Unis et la zone euro.
A Maurice, la situation n’est pas des plus brillantes, mais il faut admettre que les Etats-Unis ne sont pas en situation de récession, comme c’est le cas dans les pays qui ont pris la voie de l’austérité.
Mais des questions demeurent sur les meilleures façons d’utiliser les fonds publics dans de telles situations. Celles-ci requièrent une transparence totale. On pourrait souhaiter qu’elles prennent plus souvent la forme de participation au capital et donnent plus de droit de regard sur l’utilisation qui en est faite par les entreprises concernées.
? Qu’attendez-vous du prochain budget ? Que doit faire le ministre pour booster l’économie et redonner confiance aux opérateurs économiques et la population ?
Un budget demeure celui d’un gouvernement. A cet effet, on peut s’attendre à ce qu’il reflète la philosophie politique et sociale de ce dernier.
Il en découle donc qu’une des priorités devra être une consolidation des filets de protection pour les plus démunis et les marginalisés de la société, qui sont les premiers à subir de plein fouet les effets de la crise. La deuxième serait, bien sûr, les mesures visant à atteindre une croissance plus soutenue, créatrice d’emplois et susceptible de donner une bouffée d’oxygène à la classe moyenne. Nous avons parlé plus haut du nouveau cadre légal et régulateur.
Encore faut-il que l’on s’accorde sur le rôle de l’Etat dans la relance économique.
Autant le partenariat public-privé avait été bien peaufiné dans le cadre de l’ancienne économie, autant il existe un flou artistique sur le rôle de l’Etat dans le cadre actuel de notre nouvelle économie, qui est en émergence. A ce sujet, il serait souhaitable, par exemple, que l’on réintroduise les incitations fiscales par rapport aux investissements dans des secteurs porteurs, quitte à ce que ces incitations soient limitées dans le temps. Je demeure personnellement convaincu que l’introduction de telles mesures incitatives attireraient des capitaux et aideraient à créer des milliers d’emplois assez rapidement dans quelques secteurs précis.
? La décision du MPC de maintenir le taux directeur à 4,9 % a été critiquée par les institutions du secteur privé et certains industriels. La BoM avait-elle une marge de manoeuvre pour faire baisser le «Repo Rate», vu que l’inflation était sous contrôle ?
Nous entendons toujours le même son de cloche quand il s’agit de la politique monétaire. Or, une baisse de taux d’intérêts affecte de manière directe un grand nombre de personnes, souvent des sans voix, qui dépendent de leurs comptes d’épargne pour vivre. Elle décourage l’épargne et donc l’investissement futur.
Quant à la décision du MPC, je comprends qu’elle est surtout guidée par le fait qu’un certain nombre de facteurs liés à l’environnement économique indiquent que l’inflation demeure une menace réelle pour notre petite économie dans un avenir prévisible.
Pour autant, je ne suis pas convaincu de la nécessité de baisser le taux directeur car je ne pense pas que cela soit une panacée pour les entreprises surendettées, ni une incitation pour plus d’investissements dans le climat actuel. Il est par contre permis de penser que le surendettement de nos entreprises pourrait justement être le fruit du fameux moral hazard. Et, que ces entreprises sont convaincues qu’à la fin de la journée, la Banque centrale volerait  à leur secours. Il faut que ces entreprises puissent envisager d’autres moyens de se défaire de leurs endettements ou de les restructurer sur le moyen terme. Il y a là une opportunité pour nos services financiers d’innover et de proposer de nouveaux produits appropriés.
? L’industrie du tourisme fait face à des difficultés financières et personne ne semble s’accorder sur les solutions pour la remettre sur les rails. Que proposez-vous ?
L’industrie du tourisme souffre car elle est historiquement euro-centrée. Il est à la mode de remettre en cause tout le modèle et préconiser la diversification tous azimuts des marchés comme «LA» solution. Tout ceci repose sur un postulat que la crise actuelle est de nature structurelle. Quitte à être un brin «contraire», j’avance une analyse différente.
Cette industrie s’est construite sur deux fondements.
Un avantage comparatif par rapport au marché européen grâce à notre environnement naturel, notre accueil et notre peuplement, en plus d’un savoir-faire acquis au fil des décennies. Deuxièmement, notre positionnement «haut de gamme» était jusqu’à tout récemment un acquis. Ce positionnement n’a pas été le fruit du hasard. Quand on se trouve au bout du monde, à 11 heures du marché tant convoité, le génie a été de transformer un handicap en avantage, en plaçant la barre très haut dans le segment visé. Or, si ces deux facteurs demeurent constants, pourquoi faut-il changer de stratégie ?
Par contre, la crise actuelle est la résultante de trois facteurs conjoncturels. Il y a la crise de la zone euro. Puis, il y a une circonstance malheureuse.
L’industrie a toujours été marquée par des périodes de boom, suivi d’agrandissement du parc hôtelier et par une période moins faste, le temps que la demande s’ajuste à l’offre supplémentaire.
Or, cette fois-ci, le cycle d’agrandissement a coïncidé frontalement avec la crise européenne. La période d’ajustement en est d’autant plus longue et pénible. Finalement, ce qui a singulièrement aggravé la situation, c’est la réaction instinctive et catastrophique des opérateurs qui se sont lancés dans une guerre de prix et dans une braderie sans précédent.
Je laisse aux spécialistes le soin de proposer des solutions, mais je constate que c’est la nature du problème devrait les dicter.
 
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