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Ram Seegobin : «La politique de colmatage continue»

12 août 2010, 06:47

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? Que pensez-vous du principe des 100 jours pour une première évaluation d’une équipe gouvernementale ?

Les 100 jours n’ont pas une grande signification. Il y a une tradition pour accorder au nouveau gouvernement une période de grâce.

? Cette période de grâce est-elle nécessaire ?

Elle permet aux nouveaux ministres de s’installer et de procéder aux nominations politiques aux postes clé. Pour nous, à Lalit, cette période ne veut rien dire.

C’est, à la base, un arrangement entre gouvernement et opposition au sein du Parlement. Or, la lutte politique ne se réduit pas à l’enceinte du gouvernement.

? Ces 100 jours ont aussi permis au Mouvement socialiste mauricien (MSM) de trouver sa place au sein du gouvernement…

Cette période a été difficile à gérer de l’intérieur car il y a une nouvelle donne avec le MSM.

C’est un partenaire gourmand dont la stratégie politique est pétrie de l’ambition personnelle de Pravind Jugnauth. Au sein du gouvernement, on le constate avec la place qui doit être faite aux ministres et nominés MSM. Cela crée des frustrations, comme cela avait été le cas lors des discussions autour des ministères des Finances et du Tourisme. La part réclamée n’est, en plus, certainement pas méritée. La période de grâce s’est muée en manoeuvres pour que le MSM s’assure une place confortable dans le gouvernement.

? L’opposition a-t-elle respecté les 100 jours ?

L’opposition du Mouvement militant mauricien (MMM) a principalement visé les ministres du MSM et du Parti mauricien social démocrate (PMSD) pour ménager la sensibilité des travaillistes.

C’est un calcul. On ne peut pas parler d’une opposition loyale mais plutôt d’une opposition manoeuvrière. Il peut y avoir une trêve entre gouvernement et opposition mais quoiqu’il arrive, le gouvernement est tenu de deal avec la situation économique et sociale. Or, il y a de quoi rester sur sa faim.

? Que retenez-vous en premier lieu des 100 jours du gouvernement PTr-MSMPSMD ?

Je retiens avant tout la relation détériorée entre Navin Ramgoolam et la presse. Le dernier exemple concerne les deux journalistes du Défi qui ont été roués de coups. Navin Ramgoolam, également ministre de l’Intérieur, a une position surprenante et navrante. Au lieu de blâmer de tels actes, il parle encore des droits et des responsabilités des journalistes.

? Sur le plan économique, on entend peu Pravind Jugnauth et pourtant les politiques d’austérité sur nos principaux marchés, la crise de l’euro affecte notre économie…

Le gouvernement a été forcé de réagir puisqu’on est affecté par des problèmes hors de notre contrôle. Mais l’Etat ne réagit pas de manière constructive sur le moyen et le long terme pour pallier les effets de la vulnérabilité de l’économie face aux soubresauts extérieurs. Pravind Jugnauth est en effet silencieux.

? Qu’aurait dû faire le gouvernement, selon vous ?

Au lieu d’aller plus loin dans une diversification endogène, le gouvernement persiste avec une politique de colmatage. Il aurait dû y avoir une réorientation plus nette de l’économie pour amortir notre vulnérabilité. Le gouvernement aurait pu prendre certaines mesures impopulaires pendant ces 100 jours.

Je regrette le manque de volonté politique pour la diversification agricole par exemple.

Malgré les fonds, rien ou presque ne change. Le secteur sucrier est encore trop présent dans les mentalités si bien que la réflexion agricole est handicapée. Pour faire face à la baisse drastique du prix du sucre, on est passé à une industrie cannière au lieu d’aller plus loin dans la diversification agricole. Et aujourd’hui, les professionnels du secteur reconnaissent que l’industrie cannière n’est pas viable compte tenu de la crise de l’euro qui l’affecte directement !

? Si la politique économique gouvernementale ne va pas tant dans le sens de la diversification, c’est parce que le cheval de bataille est la démocratisation….

Le problème avec les gouvernements travaillistes, c’est que la stratégie et la philosophie économique basée sur la démocratisation, surtout ces dernières années, vise la création de niches pour une bourgeoisie d’Etat. Le cas du tanker de Betonix/Betamax Ltd, et la volte-face de Showkutally Soodhun (NdlR : ministre de l’Industrie et du Commerce) à ce sujet, montrent bien que la philosophie économique du gouvernement travailliste nourrit ses réseaux clientélistes.

? Quelle aurait été l’urgence sociale à traiter ?

Le logement, bien sûr. On estime que 20 % des Mauriciens ne sont pas propriétaires. L’analyse est faussée si on s’en tient à cela.

Dans les faubourgs ou à la campagne, une maison loge une famille élargie, si ce n’est plusieurs.

Par manque de moyens, les jeunes couples construisent au dessus de la maison parentale.

Etre propriétaire, ce n’est pas tout à fait cela. La classe ouvrière et même la classe moyenne ne sont plus en mesure d’acheter un terrain et de construire une maison.

La pression sur le logement est très forte et cela est en partie lié à la politique gouvernementale en faveur des développements immobiliers haut de gamme.

? Le cas des squatters de Dubreuil serait-il la preuve de l’inanité de la politique gouvernementale pour le logement ?

En effet, la problématique mal gérée et mal analysée du logement débouche sur des drames comme celui de Dubreuil.

A ce sujet, faut-il d’abord écraser les maisons et ensuite procéder aux enquêtes pour savoir qui on va reloger et comment ? Il n’y a pas eu de projets de logements ces cinq dernières années excepté quelques projets pilotes. C’est dire les manquements en matière de logement.

? Et pourtant, le gouvernement précédent avait promis la construction de logements, voeu renouvelé par la présente équipe au pouvoir…

Rappelons-nous les 2 000 arpents arrachés par Ramgoolam aux sucriers. Où sont-ils ? Qu’en a-t-on fait, que ce soit pour le logement social ou la diversification agricole ? Durant les 100 jours, on a encore entendu l’annonce de 10 000 logements sociaux mais cela risque d’être, une fois de plus, un effet d’annonce.

? Diriez-vous donc que le gouvernement n’a pas pris la mesure des enjeux sociaux durant ces 100 jours ?

Il y a une crise sociale profonde qui se ressent toujours dans les faubourgs et de plus en plus à la campagne. La violence et la criminalité gagnent du terrain à la campagne et cela n’est pas un hasard. C’est l’insécurité qu’éprouvent les ruraux quant à leur avenir qui engendre en partie cette violence.

Avant, l’industrie sucrière pourvoyait 50 000 emplois et les usines de la zone franche étaient présentes en milieu rural. Aujourd’hui, les usines désertent les campagnes et l’industrie sucrière n’est plus le pourvoyeur d’emplois qu’elle était. Les perspectives d’emplois disparaissent à la campagne et cela nourrit frustration, insécurité, instabilité etc.

Et contre la violence, on évoque des moyens répressifs au lieu de prendre la mesure de la crise sociale dans sa globalité.

? Cette crise sociale est donc aussi une crise de l’emploi…

Les perspectives d’emplois aujourd’hui laissent sur le carreau 30 % des jeunes qui ne finissent pas leur scolarité. Il suffit en plus d’une erreur de jeunesse privant un demandeur d’emploi d’un certificat de moralité pour que la marginalisation s’installe. Au niveau social, c’est aussi à cela qu’il faut s’attaquer car c’est un terrain propice à l’entrée dans le secteur informel combattu par les autorités ou pire dans la criminalité. On parle de 7 ou 8 % de chômage.

Or, 42 % de la population active travaille dans des Petites et moyennes entreprises (PME).

Quand on sait qu’en quatre ans, 80 % des PME constituées disparaissent, on imagine mieux l’ampleur de l’instabilité sociale qui existe. En 100 jours, malgré tout cela, pour le gouvernement,

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