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Ram Seegobin, de lalit : «nous avons l’esprit colonisé»

3 novembre 2012, 04:52

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Y a- t- il une montée de religiosité, comme l’affaire du hijab et les examens renvoyés peuvent le suggérer ? Dans une analyse qui démontre une compréhension profonde du pays et de ses complexités, l’observateur politique Ram Seegobin remet les choses en perspective.

Il y a, depuis deux semaines, une sorte de malaise suite à l’intervention de Shakeel Mohamed concernant le port du hijab dans les hôpitaux et le renvoi des examens à cause du Bakr- eid. Qu’est- ce que cela vous inspire ?

Ces épisodes ont beaucoup à voir avec le rôle de plus en plus prépondérant que les socioculturelles ont dans la vie du pays. Les médias, surtout la MBC, ont exacerbé ce phénomène en donnant une couverture extensive aux activités et exigences de ces groupes.

En ce qui concerne l’intervention du ministre sur la question du port du hijab , n’oubliez pas que nous avons un ministre pour Grand- Bassin, un autre qui s’occupe de La Mecque, un autre du Père Laval.

Donc, maintenant, nous avons un ministre qui s’occupe du hijab ! Mais à Lalit , on n’est pas d’accord avec la pression que l’on fait sur la femme pour qu’elle porte le hijab . Nous ne sommes pas non plus d’accord avec la répression qu’il y a contre ces femmes qui choisissent de porter le hijab . La question de hijab est une question sociale et ce sont aux femmes de réagir.

Une question sociale, dites- vous ?

Tout à fait. N’oubliez pas qu’il n’y a pas que le hijab il y a le crucifix, le tikka et le sindoor . Pourquoi se concentrer sur un type de symbole ostentatoire et pas sur les autres ? C’est comme dans un match de football. Quand un pays arabe score et que les joueurs se prosternent, les gens estiment qu’ils en font trop. Or, quand des joueurs sud- américains font leur signe de croix, cela passe inaperçu. Cela a tout à voir avec la colonisation nous avons l’esprit colonisé.

Quid du renvoi des examens à cause d’une fête religieuse ?

C’est vrai que c’est inacceptable qu’un ministre intervienne auprès de l’université pour faire renvoyer un examen. La question que l’on s’est posée à Lalit cependant est si l’université aurait fixé un examen à la veille du Maha Shivaratree ? Ou le lundi de Pâques ? Le problème de l’Eid toutefois est
que la fête n’est pas célébrée à une date fixe chaque année si Cambridge avait fixé la date d’un examen et que cela serait tombé un jour de l’Eid, je ne pense pas que l’on aurait demandé à Cambridge de renvoyer les examens. Mais ce qui nous étonne, c’est que Shakeel Mohamed, qui essaie de projeter une image de moderniste, se soit impliqué dans ce débat.

Pourquoi l’a- t- il fait, selon vous ?

Je crois que politiquement, il y a une bataille actuellement pour identifier le shérif, c’est- à- dire le « représentant » ou porte parole de la communauté musulmane. Il y a un vide et il y a plusieurs prétendants au rôle de porte- parole.

N’est- ce pas choquant qu’il n’y ait eu personne pour le rappeler à l’ordre au gouvernement ?

Au gouvernement, personne ne demande à Bachoo pourquoi il asphalte encore et toujours les routes pour aller à Grand- Bassin ! Il y a un problème et il est profond. Le hijab et les examens ne sont qu’un aspect de ce problème qui est beaucoup plus répandu qu’on ne le pense.

Il y a un moment, quand les autorités voulaient construire un Shivala et une mosquée dans l’enceinte de l’hôpital Candos, les gens avaient trouvé la démarche inappropriée. Or, personne ne remarque qu’il y a une chapelle au beau milieu de l’hôpital. C’est le problème de colonisation et de décolonisation. On a hérité d’une situation, on l’a intériorisée et cela défi nit ce que l’on trouve normal ou pas. A partir de là, il y a une surenchère.

Qui est assez normal, non ?

D’une façon oui, mais il faut la combattre politiquement. Car au lieu de construire une mosquée et un Shivala, n’aurait- on pas dû convertir la chapelle en un lieu de recueillement neutre pour tous ? Les gens ne sont pas étonnés que chaque année, l’on organise une messe pour les travailleurs du port, les pompiers et pour la Cour suprême. Cela passe inaperçu. Or si demain, on vient dire qu’on va organiser un MahaYaj dans ces endroits- là, cela va soulever un tollé. Donc, on ne voit plus ce qu’on a hérité on ne voit que la surenchère.

C’est comme le débat de « CT Power » . L’argument des socioculturels hindous est : « Pourquoi le secteur privé traditionnel peut utiliser du charbon, et pas eux ? »

C’est exactement la même chose. Les acteurs économiques établis ont l’air d’avoir plus de droits que les acteurs économiques émergents. C’est absolument vrai que dans le Sud, dans le Nord, dans l’Est, il y a des générateurs d’électricité à base de charbon quelquefois à 100 % et quelquefois moins. Les camions quittent le port tous les jours pour aller à St- Aubin, à Solitude.

Donc, nous disons que si nous allons mener campagne contre le charbon, il faut que ça soit une campagne généralisée.

Ce qui est bon pour l’un n’est pas bon pour l’autre, c’est ça ?

L’affaire CT Power fait ressortir plusieurs points d’abord qu’il y a au moins trois générateurs d’électricité qui utilisent le charbon. CT sera le quatrième ou le cinquième et strictement parlant, la centrale sera sur la falaise sur la côte ouest et cela veut dire que la pollution de l’air ira dans la mer. La pollution qu’il y a à St- Aubin traverse Rivière- des- Anguilles, Grand- Bois, Bois- Chéri, Quatre- Bornes etc., à cause du vent. Des camions qui font le va- et- vient du port à Pointe- aux- Sables, ce sera moins grave que quand des camions traversent le pays pour aller vers Solitude et St- Aubin.

Certes mais c’est quand même ridicule que des représentants des socioculturelles viennent nous parler d’environnement et de sécurité énergétique !

 ( Sourire… ) Oui, je suis bien d’accord.

Mais ce sont les politiciens qui acceptent la plate- forme que leur donnent les socioculturelles et, en retour, ils donnent ce pouvoir de lobby à ces groupes.

Quid de l’argument qu’il est temps d’arrêter l’utilisation du charbon une fois pour toutes ?

Mais la question de charbon elle- même est complexe. Au niveau de Lalit, nous avons toujours mis beaucoup d’accent sur les énergies renouvelables. Malheureusement, nous pensons qu’il n’y a pas suffisamment de volonté politique pour développer ces énergies renouvelables.

Nous savons aussi que « Médine » a son projet de centrale à charbon et attend d’avoir le feu vert des autorités !

Oui et c’est intéressant que vous mentionniez Médine car quand il y avait le projet de Waste to Energy à La Chaumière, il y avait une grande mobilisation pour protester contre le projet. Or, la manifestation était clairement orchestrée par Médine. Mais Médine n’a pas été trop en évidence en ce qu’il s’agit du projet CT Power . On a compris pourquoi quand ils ont annoncé qu’ils avaient aussi un projet de centrale à charbon de 100 MW. ..

Et l’annonce n’a pas soulevé le même tollé que « CT Power », n’est- ce pas !

Le front d’Albion a dit en passant qu’ils ne sont pas d’accord avec le projet de Médine mais c’est tout. Cela expose effectivement une certaine hypocrisie.

Une hypocrisie qui vient du gouvernement aussi !

Le gouvernement prône ouvertement la démocratisation de l’économie. Cela veut dire que le gouvernement se réserve le droit d’agir de façon arbitraire et discrétionnaire.

Dans la tête de Dulthumun, la démocratisation de l’économie veut dire qu’il ne faudrait pas que la bourgeoisie historique s’accapare de tout. C’est aussi ce qui est en train d’aggraver la situation au niveau communal.

Mais si le gouvernement ne fait pas cela, quand il va lancer un appel d’offres, tous ceux qui seront en position de répondre adéquatement à cet appel seront les entreprises de la bourgeoisie historique !

Oui. Et la seule façon de combattre cette mainmise est de développer des secteurs publics. Pourquoi par exemple est- ce que le CEB ne pourrait pas développer un autre générateur ? Pourquoi doit- on introduire un autre secteur privé de n’importe quelle couleur ? On peut démocratiser à travers la collectivité et non la particularité.

Excepté que la gestion des entités étatiques est catastrophique !

Mais c’est cela qui aurait dû être notre combat ! Il faudrait axer une partie de notre combat sur l’effi cience dans le secteur public.

 Propos recueillis par Deepa BHOOKHUN
      

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