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Responsables d’ONG: «Les droits humains sont une et indivisible»
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Responsables d’ONG: «Les droits humains sont une et indivisible»

Trois acteurs de la société civile livrent leurs analyses sur la pauvreté et les droits humains.
Alain Fanchon, président d’ATD Quart Monde (à gauche sur la photo), Shyam Reedha, président de la Fondation Terre de Paix (au centre sur la photo) et Yousouf Dauhoo, président de SOS Pauvreté (à droite sur la photo) se montrent très critiques à l’égard d’une société mauricienne qui perpétue les préjugés et les jugements de valeurs sur un certain nombre de questions.
Comment interprétez-vous le concept des droits économiques, sociaux et culturels (DESC)?
Shyam Reedha: D’abord, je tiens à préciser que l’île Maurice a ratifié cette Convention des Nations Unies sur les droits économiques, sociaux et culturels. Il est, entre autres, question du droit au travail où l’accent est mis sur l’encadrement légal dans lequel on travaille et aussi ses droits syndicaux. Droit aussi pour la personne d’avoir un niveau de vie adéquate. Ce qui passe par le droit à la santé, à l’éducation, à une nourriture saine, par l’accès à l’eau, par un environnement sain, par l’égalité entre hommes et femmes, par les droits des enfants… Tout cet ensemble de droits a besoin d’être appliqués et respectés. D’où les actions et les revendications de la société civile.
Alain Fanchon: L’un des axes de notre combat, c’est de mettre l’accent sur l’indivisibilité de ces droits. Cela passe par des campagnes pour la mise en pratique, le respect et la vulgarisation de ces droits. Les droits humains sont une et indivisible. Avec l’effort consenti pour faire respecter les DESC, on prend conscience de l’importance que les Nations Unies à ces droits qui sont souvent subordonnés aux droits civils et politiques. Or, les DESC font parties intégrantes des droits humains. Avec cette nouvelle dynamique, on peut dire que la lutte pour les droits humains est en train de prendre une forme intégrée. On a désormais une vision et une approche plus intégrée des droits humains.
Pensez-vous que les citoyens soient pleinement conscients des enjeux liés aux droits humains et à cette évolution de l’approche comme vous venez de le mentionner?
Yousouf Dauhoo: Je ne crois pas que les gens soient vraiment conscients de ces enjeux. Mais il est aussi vrai qu’on n’a pas fait suffisamment d’efforts pour les informer et les sensibiliser à ces questions. Or, à mon avis, l’information et la sensibilisation doivent être un processus continu. Pourtant, nous sommes tous concernés par ces questions. Par exemple, dans le contexte mauricien, il existe de nombreux manquements aux droits humains. Je citerai le fait qu’il n’y a pas un salaire minimal qui tient en compte les réalités socio-économiques de la société mauricienne. Je profite de l’occasion pour réitérer la demande en faveur d’un salaire minimal décent parce que cela permettra de faire reculer la pauvreté. Dans le même registre, je ne peux passer sous silence l’exploitation des travailleurs étrangers. Il ne faut pas tricher avec soi-même davantage. Ainsi peut-on encore parler de l’éducation gratuite à Maurice? Honnêtement? Il n’y a, aujourd’hui, nul besoin d’aller au fond des choses pour comprendre le dysfonctionnement. La démonstration en a été faite à maintes reprises. C’est un fait que désormais qu’on s’accommode d’un système qui favorise plus les riches que les pauvres. En outre, les leçons particulières ont perverti tout le système.
Ceux qui ont les moyens peuvent se payer une bonne éducation. Ceux qui n’en ont pas doivent se satisfaire du strict minimum, voire moins que cela, et ne compter sur leurs seuls génie et efforts personnels pour réussir. Les DESC évoquent aussi le droit à la santé. A Maurice, on dit que le système de santé public est gratuit. Mais, je ne peux m’empêcher de faire certains constats. Je prends, à ce titre, le cas de l’hôpital Jeetoo à Port-Louis. Aujourd’hui, on entend parler d’une modernisation de cet établissement. Mais je rappelle qu’année après année, on vote au Parlement un budget pour sa rénovation. Permettez-moi donc d’être sceptique. Certes, les choses pourraient se faire maintenant. Mais je demande pourquoi avoir pris tout ce temps? Pourquoi avoir créé, innové, rénové ailleurs en laissant l’hôpital Jeetoo péricliter alors qu’il est situé dans la capitale et qu’il est entouré de régions défavorisée où il y a plus de gens qui ont besoin de services gratuits et efficaces? N’est-ce pas une forme de discrimination contre un certain nombre de Mauriciens? On parle beaucoup de l’égalité des chances, d’équité, de droits égaux… Moi, je demande à voir.
Qu’est-ce que vous demandez à voir?
Yousouf Dauhoo: Je me poserai et je poserai des questions aussi longtemps qu’on n’attaque pas le système de l’intérieur. Nous faisons beaucoup de déclarations ronflantes et pompeuses. Mais, dans les faits, nous ne faisons rien pour changer le système. Un système où, depuis l’indépendance, le service civil n’a pas évolué, pataugeant dans le statu quo.
Il y a un manque de volonté à attaquer les problèmes de front. J’ai été étonné et choqué d’entendre un ministre admettre qu’il y avait déjà eu un homme sur ce chantier à Ebène où un échafaudage s’était récemment écroulé. Certes, il a précisé qu’il a une affaire en Cour dans ce cas. Mais nous savons tous les lenteurs du système judiciaire mauricien. Fallait-il donc attendre une décision de la Cour avant d’entreprendre une action? On a vu que ce genre de laxisme peut nous amener de nouvelles catastrophes. Tout cela est très grave. Avec le développement rapide, on a besoin de changer d’attitudes en toute urgence.
Shyam Reedha: C’est ce qui m’amène à rappeler que même les Nations Unies ont reconnu qu’à Maurice et qu’ailleurs, la société civile n’a pas accès aux droits que leur garantissent les conventions que leurs pays ont signé. Depuis 2003 et 2004, nous consacrons beaucoup d’efforts pour faire comprendre le mécanisme de ces conventions sur les droits et nous oeuvrons à faire circuler les recommandations des «treaty bodies». A Maurice, depuis 2005, la National Human Rights Commission organise des rencontres avec différents partenaires, dont les fonctionnaires, pour expliquer le mécanisme des conventions onusiennes. L’ensemble de ces conventions est relativement lourd et complexe d’où la nécessité de les expliquer. D’où aussi l’urgence d’introduire les droits humains dans le programme scolaire. Une telle initiative serait un grand pas en avant. Car elle impliquerait que les générations futures seront formées à ces droits. Les Nations Unies oeuvrent aussi sur d’autres fronts pour mettre les droits humains au centre des préoccupations des Etats. Ainsi la Convention Economique Protocol Optionnel de 2007 ouvre la porte à la société civile de faire des recommandations à l’Etat. En outre, la Commission des droits de l’homme garantit qu’il n’y aura aucune forme de harcèlement ou de représailles lorsque le citoyen empruntera cette voie. Au-delà des considérations techniques, je profite de l’occasion pour dire que chaque atteinte aux droits humains représente une dérive vers la misère. Misère matérielle des gens. Mais aussi misère culturelle et sociale de la société.
Pour combattre la misère des gens, il faut garantir l’accès à la nourriture, et surtout à une nourriture saine. Dans une société mauricienne minée par le diabète et le stress, est-il encore nécessaire de rappeler qu’il faut manger équilibré? Ce n’est pas de la seule responsabilité de l’Etat. Il faut voir les choses dans leur globalité.
Yousouf Dauhoo: C’est là que l’éducation a une fonction essentielle. Il y a tout à revoir au sein de notre système éducatif. C’est très joli de participer à des sommets et de signer des conventions. Mais, une fois de retour, on ne fait rien pour les mettre en pratique et les faire respecter. Il faut trouver un système pour faire le suivi des conventions qui sont signées par les pays. Il y a même, d’autre part, des dirigeants et des décideurs qui ne sont pas formés par rapport à ces conventions. C’est pour cela que je me demande s’il ne faut pas une école de formation des politiques? La même question se pose pour les ONG.
Shyam Reedha: Je tiens, pour ma part, à revenir sur la convention sur les DESC et je rappelle qu’elle donne aux ONG des outils de dignité pour travailler. Car il faut aussi dire que droit rime avec obligation. Si la société civile s’approprie la convention, elle aura un certain nombre d’outils pour combattre la pauvreté. Ce que nous faisons, ce n’est pas par obligation mais parce que les citoyens ont des droits. C’est en cela aussi qu’il faut repenser l’action sociale.
Yousouf Dauhoo: La solidarité aussi est une obligation. Les pauvres aussi ont des droits sur les riches. Je dis cela parce que nous vivons dans une société où c’est la logique de «protège nou montagne» qui prime. Il y a des préjugés qui perdurent. Comment aussi rationaliser et optimiser l’action sociale lorsque, je ne sais sur quel critère, des groupes, disant entreprendre des actions sociales, obtiennent des subventions de l’Etat.
Shyam Reedha: Je vois, en même temps, l’émergence de nouvelles perspectives et possibilités pour les ONG. Grâce à l’aide de l’Etat, de la disponibilité des fonds internationaux et le programme local de Corporate Social Responsability, les ONG disposent de ressources pour offrir un service de qualité et participatif. Dans ce cas, je constate qu’il y a un partenariat qui se met en place et qui repose sur des valeurs comme la participation des bénéficiaires. C’est un axe très important dans le combat contre la pauvreté.
Yousouf Dauhoo: A ce chapitre, je voudrais quand même faire ressortir que la société civile est plus efficace que les services de l’Etat. Pour moi, il faut jouer ouvertement aujourd’hui et ne plus pratiquer la langue de bois. On parle beaucoup d’empowerment. Mais empower les gens comment et pourquoi? Nous évitons aujourd’hui de parler des virus qui corrompent la politique. Or, je dis, lorsqu’on parle d’empowerment, qu’il faut montrer aux gens comment voter. Lors des élections à Maurice, on a, d’un côté, les marchands du sommeil qui vous endormissent pour obtenir votre vote et, de l’autre, les marchands de rêve qui vous font des promesses pour «acheter» votre vote. Dans tous les domaines de la vie sociale et professionnelle, nous nous devons de donner aux gens les moyens de rester éveillés. Lorsque les gens connaissent leurs droits, il est moins facile de leur faire subir des injustices et de la discrimination.
Shyam Reedha: C’est la raison pour laquelle, il ne faut pas rester figé dans son approche des problèmes. Lorsque les données économiques mondiales changent, cela entraîne des changements politiques et culturels. C’est là que les acteurs de la société civile qui restent figés dans leur perspective des années 1950 sont balayés.
Yousouf Dauhoo: Entièrement d’accord. On ne peut garder le statu quo. Mais nous sommes tellement obsédés par les considérations économiques que nous ne voyons rien d’autre. L’Etat a encore la responsabilité de prendre en compte les aspects sociaux et culturels de la société. A Maurice, je constate qu’il y a un manque de cohérence au niveau de la politique sociale de l’Etat. Différents ministères se tirent entre les pattes sur ce dossier. Où les instances décisionnelles et les responsabilités? Au bureau du Premier ministre, au ministère des Finances, au ministère de la Sécurité sociale, au ministère de la Femme? Je plaide pour un ministère contre la Pauvreté. Cela aura le mérite d’une approche intégrée. Et ce ministère ne va pas changer de politiques et de gens à chaque changement de gouvernement. Il est grand temps d’avoir un seul ministère qui gère le social. A un moment où nous parlons d’une économie 24/7, je crois qu’il importe aussi d’un social 24/7.
Alain Fanchon: C’est pourquoi il est important que l’expérience des hommes de terrain soit prise en considération. Ce sont eux qui connaissent la réalité des choses. A quoi cela sert-il d’injecter d’énormes sommes dans de grands projets si ceux-ci ne répondent pas à un réel besoin des gens vivant dans l’exclusion sociale.
Yousouf Dauhoo: Les différents partenaires- Etat, société civile et secteur privé- ont différentes missions. Il nous faut nous mettre à table et discuter pour développer une réelle synergie.
(Cet entretien est paru dans le supplément d’Amnesty Maurice en insert dans l’édition papier de l’express du 29 septembre)
 
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