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Roshi Badhain : « L’icac n’utilise aucun de ses pouvoirs»

9 avril 2011, 06:47

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L’ancien responsable des enquêtes à l’ICAC donne un  éclairage sur le fonctionnement de cette commission. On  est interloqué sur les pouvoirs qu’elle détient et dont  elle ne se sert pas.

L’on dit que l’ICAC a eu «carte blanche» pour enquêter dans l’affaire MedPoint. Une commission dite indépendante a-t-elle besoin de carte blanche ?

Je ne peux pas commenter spécifiquement sur l’enquête sur MedPoint. La question que vous posez, c’est où exactement se situe l’ICAC en termes de séparation de pouvoirs ? Administrativement et en termes de fonctionnement, sauf dans les enquêtes, l’ICAC répond à un comité parlementaire.

? Est-ce qu’un Premier ministre (PM) peut appeler le directeur de l’ICAC pour lui demander des informations sur une enquête en cours ?

(Hésitations…) Il y a un principe de séparations des pouvoirs et l’ICAC est censée opérer en toute indépendance de l’exécutif.

? C’est un joli concept, mais rien n’empêche le PM d’appeler pour prendre des nouvelles ?

Je ne pense pas que ce genre de choses peut arriver si l’on prend en compte l’esprit de la loi de l’ICAC. Mais je ne sais pas ce qui se passe dans la réalité.

? J’en reviens à ma question initiale : qui est censé donner «carte blanche» à l’ICAC ?

La loi lui donne carte blanche. Il faudrait d’abord comprendre ce qu’est l’ICAC. En tout état de cause, l’ICAC est une commission d’enquête permanente sur la corruption, à qui l’on a donné sa propre structure, son propre budget, son mode d’opération, des pouvoirs spécifiques, définis par une loi. Maintenant, si l’ICAC préfère ignorer tout cela et choisit d’employer une vingtaine de policiers et leur demander d’utiliser leur pouvoir pour enquêter exactement comme le fait la police et traiter les enquêtes de l’ICAC de la même façon que les enquêtes criminelles, alors l’ICAC est en train d’être contre-productive !

? Quel est le champ d’action de l’ICAC ?

L’ICAC ne peut traiter que de 14 délits de corruption. Cela, alors que son précurseur, l’Economic Crime Office (ECO), avait, lui, une juridiction assez large. Il pouvait enquêter sur n’importe quel délit à col blanc sous le code criminel.

? Navin Ramgoolam et Paul Bérenger s’accusent souvent mutuellement au Parlement d’avoir coupé les ailes à une vraie commission anticorruption (ECO versus ICAC). Vous dites donc que c’est Navin Ramgoolam qui a raison ?

L’ICAC a été mise sur pied en 2002 après le démantèlement de l’ECO.

? A-t-on fait exprès de réduire le champ d’activité de l’ICAC ?

Il semblerait que ce soit le cas, dans le sens où l’ECO pouvait enquêter sur n’importe quel délit économique. Alors que l’ICAC doit se restreindre à 14 délits de corruption sous le POCA. Mais, quand vous dites que le champ d’action de l’ICAC a été réduit par exprès, il faut préciser que le but du législateur était justement d’avoir une législation dédiée à la corruption. Il est vrai que le POCA est étroit comparé à ce que l’ECO pouvait faire, mais d’un autre côté, cette loi élabore précisément le délit de corruption dans 14 scénarios. Donc, si le but est de combattre la corruption, le POCA est une loi fantastique.

? En théorie. Qu’en est-il de la pratique ? De la façon dont l’ICAC mène son enquête ?

Si l’ICAC a établi qu’il y a matière à enquêter dans une affaire, la loi dit que pour mener une enquête, elle peut mettre sur pied une audience qu’elle estime appropriée. C’est quoi une audience (hearing) ? C’est une commission d’enquête ! Ces audiences, dit la loi, peuvent être publiques ou à huis clos. Dites-moi, combien d’audiences publiques l’ICAC a-t-elle menées ?

Tout le monde est en train de parler de commission d’enquête sur MedPoint alors que l’ICAC est une commission d’enquête !

? Et Paul Bérenger ne sait pas quel genre de loi il a voté ?

(Il hausse les épaules…) Je ne sais pas. Voyez vous-même, c’est écrit noir sur blanc. (Pause…)

Le but de l’ICAC n’était pas de mettre sur pied une commission qui demande aux policiers d’arrêter un policier qui a pris Rs 200 comme pot-de-vin ! On ne met pas Rs 110 millions dans une organisation, on ne lui donne pas une équipe dédiée, on ne lui donne pas une telle loi, un bâtiment, des voitures pour faire ce que la police fait déjà ! On a le CCID pour cela.

? Pourquoi est-ce que l’ICAC ne tient pas des audiences ?

Vous n’allez pas en croire vos oreilles. Par ce que la loi dit que la commission «may conduct such hearing» et ne dit pas «shall conduct» ! Dois-je en dire plus ? En fait, je crois qu’ils pensent que c’est plus facile de faire comme la police. Celui qui préside l’audience a même le pouvoir d’assermenter les témoins. Et quelqu’un qui ment sous serment à cette audience est passible d’une amende de Rs 500 000 et d’une peine d’emprisonnement de cinq ans. Voyez le genre de pouvoirs que l’ICAC a, mais dont elle ne se sert pas.

? A la place d’une audience, l’ICAC choisit de fonctionner comme une police parallèle et, ce faisant, complique son travail. C’est ce que vous dites ?

Tout à fait, car la loi ne dit pas que l’ICAC peut choisir d’opérer comme la police.

? La loi dit «may» pour les audiences. Quelle est l’autre option ?

La loi ne dit pas de faire comme la police, puisque l’ICAC est comme une commission d’enquête avec des pouvoirs accrus. Qui a dit à l’ICAC qu’elle peut utiliser les pouvoirs de la police ?

? Vous avez fait pareil quand vous étiez à l’ICAC ?

Je n’avais pas le pouvoir de décider. C’était là ma grande frustration avec Navin Beekarry.

C’était lui le maître à bord, pas moi.

? Vous saviez que l’ICAC était en train de violer la loi ?

Il ne s’agit pas de violer la loi, mais l’ICAC utilise les policiers pour faire son travail. Elle a le droit d’utiliser la police pour faire le travail de la police. Là n’est pas le problème. Mon point, c’est que la police est, selon la Constitution, sous le seul contrôle du commissaire de police. Alors comment se fait-il que des civils donnent des ordres à la police ?

? Si ce ne sont pas les policiers qui enquêtent, qui enquête donc à l’ICAC ?

Les enquêteurs de l’ICAC ! Qui peuvent être des policiers en congé ou d’autres personnes spécialisées dans divers domaines pertinents aux enquêtes de l’ICAC. Savez-vous que les enquêteurs de l’ICAC peuvent procéder à l’arrestation de suspects sans avoir recours à la police ? Savez vous que l’ICAC a le pouvoir d’ordonner à n’importe qui de donner des renseignements oralement sur n’importe quoi ? Savez-vous que l’ICAC a le droit d’ordonner à n’importe qui de produire n’importe quel document ou dossier ?

Et si cette personne refuse, c’est une offense.

Savez-vous que l’ICAC peut prendre une déposition sous serment d’un témoin ? Cela veut dire que le témoin ne peut pas revenir sur sa déclaration.

Et si la personne ment, elle peut être poursuivie pour parjure. Savez-vous que cette clause n’a jamais été utilisée ? L’ICAC a plus de pouvoirs que la police et elle n’utilise aucun de ses pouvoirs. Elle peut forcer une personne à parler car elle a le pouvoir de donner l’immunité à qui elle veut, pour encourager les gens à le faire.

? Je sais que vous ne voulez pas commenter l’enquête sur MedPoint, mais je souhaiterais savoir comment procède-ton à l’ICAC pour commencer une enquête? Les enquêteurs doivent-ils remonter le fil des événements ou doivent-ils commencer par ceux qui ont le plus d’intérêts dans l’affaire ?

Dans n’importe quelle enquête, il faut vous laisser guider par les preuves (evidence). Au départ, vous commencez par une théorie sur comment les choses ont pu se passer et ensuite vous enquêtez sur toutes les circonstances qui ont mené à cette affaire. Cela vous aide à déterminer si vous avez de la matière ou pas. A partir de là, vous vous demandez où vous allez trouver les preuves qui vont confirmer votre théorie.

Vous commencez alors à interviewer les gens, à étudier les documents et vous voyez si votre théorie se confirme. Le plus dur est si vous réalisez que les événements ne concordent pas avec votre théorie. Là, il faut revoir votre théorie à la lumière de ce que vous avez pu établir. C’est très important d’être flexible. C’est ce que j’appelle se laisser guider par les preuves, car le forensic principle est que chaque crime laisse des traces.

? Est-il nécessaire au cours d’une enquête de procéder à des arrestations, comme il y en a eu récemment ?

Non. La loi donne à l’ICAC le pouvoir d’arrêter les gens, mais seulement dans trois cas spécifiques. Si elle pense que la personne va quitter le pays, si elle va essayer de mettre la pression sur d’autres ou si elle va détruire des documents importants. Mais pendant tout le processus d’enquête, il n’y a pas lieu de procéder à des arrestations s’il n’y a pas de risques que la personne obstrue votre enquête. Car rappelez-vous que c’est le DPP qui décidera, à la lumière des conclusions de l’enquête, s’il faut poursuivre ou pas. Alors où est la nécessité d’arrêter une personne si elle ne représente pas un danger ?

? Dans ce cas, pourquoi arrêtent-ils des gens sous des charges provisoires ?

Parce qu’ils veulent faire comme la police. Ils ont décidé qu’ils allaient devenir une force policière parallèle. Au lieu d’être une commission indépendante contre la corruption.

 

Entretien réalisé par Deepa BHOOKHUN

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