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Roukaya Kasenally: «Il est certain qu’il y a un besoin de dépoussiérer l’UoM»

14 mai 2009, 10:23

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La chargée de cours à l’Université de Maurice (UoM) revient sur l’épisode de la circulaire interdisant aux professionnels de cet établissement de parler à la presse sans une autorisation au préalable.

Cette affaire est certes close, mais les réactions de Roukaya Kasenally confirment un malaise à l’UoM. D’où son appel pour la «dépoussiérer.»

Comment interprétez-vous toute l’affaire de la lettre circulaire interdisant au personnel académique de l’université de Maurice de parler à la presse?

Je pense que l’affaire est close suivant la déclaration du Premier ministre au Parlement. C’est assez chagrinant qu’il a fallu que ce soit le chef du gouvernement qui vient à la rescousse des académiciens. Ceci dit, je ne pense pas qu’il faut s’endormir sur ses lauriers. Il faut rester vigilant. Le combat pour la libre expression est un combat de tous les jours à travers un processus dynamique qui n’est pas gagné d’avance. Clamer cet espace démocratique sera un combat de tous les jours. Il faut toujours être sur ses gardes. Ces libertés ne sont jamais acquises.

Comment avez-vous vécu cet épisode?

J’ai été très choquée et très surprise. Mais je dois dire que, dans un premier temps, lorsque nous avons reçu la circulaire il y a quelques mois déjà, je l’ai complètement ignoré puisqu’il était en totale contradiction avec la philosophie même de l’académique.

Cet épisode vient démontrer qu’il faut encore plus de solidarité au sein du corps académique autour des grandes idées.

Et quel est votre état d’esprit maintenant que la situation s’est clarifiée?

Je suis dans un fighting mood comme je l’ai toujours été d’ailleurs. Je fais partie de ces académiciens proactifs qui sont visibles dans les débats. Nous avons la responsabilité de former les gens à réfléchir. Si nous portons nous-mêmes des visières, c’est le début de la fin. Si l’académicien se cache, c’est que nous vivons dans une société en perdition. La liberté d’expression est le propre de l’espace académique. Prendre position sur les sujets d’actualité est le rôle et la responsabilité de tout intellectuel.


A voir le tollé soulevé par cette affaire, on pourrait croire que les chargés de cours sont partis prenantes de la vie du Mauricien. Pensez-vous qu’il y a suffisamment de prises de position de la part des intellectuels universitaires à Maurice?

Je ne crois pas qu’il y a assez de chargés de cours de l’université qui prennent part aux débats sur les sujets d’enjeu national. On peut compter sur les doigts d’une main la dizaine de personnes qui le fait. Moi, je m’inspire d’Edward Saïd, intellectuel palestinien et conférencier à l’université de Columbia, qui incite les académiciens à émettre des positions intellectuelles, controversables et contradictoires sur les sujets d’actualité. Cela m’énerve et m’agace que ce sont toujours les mêmes qui prennent position. Je me demande où sont les autres. On est des fonctionnaires, certes, parce qu’on est payé par l’Etat. Mais la question qui se pose, c’est à qui est-on accountable, à qui on doit rendre des comptes. Moi je pense qu’on est accountable à l’intérêt public avant tout. C’est notre responsabilité d’emmener un changement de mentalité. Le rôle des intellectuels est de vulgariser les grandes idées. Mais à Maurice, les discours autour de ces idées restent ancrés dans la rhétorique. Il manque ce critical mass qui sort de Réduit. Il doit y avoir quelque chose qui ne tourne pas rond. Il est certain qu’il y a un besoin de dépoussiérer l’Université de Maurice.

Comment expliquez-vous qu’il y ait si peu de voix qui émanent du campus de Réduit?

Le gros problème, c’est que les chargés de cours n’ont pas le droit de faire de la politique. Il faut absolument démissionner de son poste pour le faire. C’est une grande contradiction. L’académicien ne peut pas être dissocié de la politique. Dans tous les grands campus du monde, il y a des académiciens qui sont des politiques. Je ne comprends pas toute cette agitation autour de cette question à Maurice. Faire de la politique active est un droit fondamental. Je ne vois pas pourquoi on nous l’interdit. A Maurice, il y a une idée très étriquée de la politique qui consiste à faire de la politicaillerie. On n’a pas à être apolitique. Ce concept n’existe pas. Toute activité, qu’elle soit culturelle, sociale, économique ou autre, est aussi politique. C’est absurde de vouloir museler les académiciens. Les politiciens ont développé une culture politique clientéliste. Ils travaillent pour ceux qui ont voté pour eux et les autres sont mis au placard pour 5 ans. Ceci a généré ce que j’appelle la fear culture- la culture de la peur- qui est ancrée dans la société mauricienne et qui se retrouve aussi dans la communauté du personnel enseignant de l’université où on entend souvent la phrase qui tue: «don’t count on me», soit «ne comptez pas sur moi». C’est une abdication de notre rôle d’académicien. Ne rien dire, c’est une façon d’abdiquer. On a peur de ne pas avoir sa promotion ou de ne pas avoir les faveurs des dirigeants du jour.

Comment changer cet état des choses?

Il n’y a pas de baguette magique. Cet épisode est certainement une occasion en or de dire «trop c’est trop!». De démarrer une nouvelle culture à l’université qui serait plus participative dans le vécu de la société. Nous sommes supposés être un breeding group de progressistes. Si les gens à l’université ne sont pas progressistes, on restera un breeding ground du statu quo. Mais je reste optimiste et je pense que le changement viendra des jeunes et de la société civile dans son ensemble.

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