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Rumu Sarkar: «Il nous faut un nouveau soldat»

20 février 2009, 08:43

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La mort rôde. «Une symétrie de la peur», un essai sur la peur globale qu’engendre la violence des menaces terroristes. Mais aussi et surtout un nouvel outil d’analyse du terrorisme mondial sous un angle philosophique… Entretien avec l’auteure Rumu Sarkar, Américaine d''''origine indienne, professeure associée de droit à l’université de Georgetown, à Washington, DC – qui vient de rafler le prix international de la Fondation Saint-Cyr (France), dont le thème, pour cette première édition, était: Une symétrie de la peur : vers un nouvel équilibre mondial des puissances?


Comment vous est venue l’idée d’écrire un essai sur la menace terroriste?

Le mérite revient à un ami qui m’a fait parvenir une annonce parue sur Internet, relative au concours de la Fondation Saint-Cyr de France, qui œuvre au développement de la recherche et de la formation de la Défense en visant l’ouverture culturelle et l’excellence internationale. Par coïncidence, le thème du Prix 2007 était pratiquement le même que celui du cours que j’enseigne à l’université de Georgetown, ici à Washington, DC. Je pensais que ce serait une bonne chose de participer, surtout pour motiver les étudiants. Ne voilà-t-il pas que j’ai obtenu le premier prix de ce concours français, moi cette avocate des Etats-Unis qui écrit en anglais…

Vous êtes avocate, vous avez aussi travaillé, pendant longtemps, pour le gouvernement américain, notamment pour l’USAID et vous avez aussi un doctorat en philosophie à l’université de Cambridge. Votre ouvrage contient des influences majeures de ces expériences professionnelle et académique…

C’est clair que mon expérience professionnelle et mon parcours académique m’ont été très utiles pour structurer ma réflexion. Uniquement quand je travaillais pour l’USAID, j’ai dû visiter une quarantaine de pays pour parapher des accords juridiques aux quatre coins du globe. Il faut par ailleurs souligner que je me suis appuyée sur l’histoire philosophique du matérialisme dialectique (NDLR: cette approche sera explicitée plus loin) pour envisager le terrorisme sous un angle nouveau.

Plutôt que d’adopter une approche de type «fin de l’histoire» (selon Fukuyama), ou de crier gare à un choc des civilisations (thèse de Huntington), vous déclarez d’emblée que vous éviterez, dans votre essai, «une vision apocalyptique». Pourquoi?

Je ne partage pas les points de vue de MM. Fukuyama et Huntington, dans leur récit de l’histoire contemporaine. Je trouve que leur vision est assez artificielle, inexacte et elle inscrit en porte-à-faux, à en juger de par les événements récents. C’est une version dangereuse et intolérante qu’ils privilégient, celle qui dit qu’il y aura une culture dominante. Cela ressemble, à mon avis, à une recolonisation des idées. J’ai opté donc pour une approche plus ouverte sur le monde, plus humble que les thèses apocalyptiques…

Vous exploitez les ressources philosophiques de la méthode dialectique pour analyser ce courant de peur qui traverse le globe… D’aucuns avancent que la méthode dialectique est dépassée, pourquoi l’avez-vous privilégiée dans votre travail de recherche?

Je pense que la méthode dialectique permet de voir l’histoire d’une manière holistique, dans le sens qu’elle est constituée d’événements qui sont interconnectés. Après le temps de la guerre froide et l’opposition « symétrique », entre les deux superpuissances, le monde est entré dans le temps des menaces diffuses et des guerres asymétriques. Puis, il s’est installé dans un état actuel, que je nomme « symétrie de la peur ». En effet, le terrorisme affecte aujourd’hui la vie quotidienne du monde libre. Mais, si nous sommes terrorisés par les actes des terroristes, il ne faut jamais oublier que les terroristes perçoivent aussi les institutions et les idéaux (et les actes) occidentaux comme une menace.

Pourquoi le monde a-t-il besoin d’un nouveau soldat – comme s’il n’y avait pas suffisamment d’atrocités?

Si on prend la mesure actuelle du terrorisme mondial, il convient de dire d’emblée que bien sûr l’engagement militaire est nécessaire dans les zones où se cachent les terroristes et où les institutions gouvernementales sont affaiblies ou inexistantes. Mais cet engagement est insuffisant. Je pense que la clef du succès militaire passe par la création d’un nouveau soldat. C’est-a-dire un soldat qui, au-delà de son savoir-faire militaire, possédera les qualités humaines et culturelles nécessaires à la solution de crises multiformes.

Comment ce «nouveau soldat» aurait-il agi différemment que ceux qu’on voit en action dans le conflit israélo-palestinien?

Il importe de souligner que les conditions préalables pour permettre le nouveau soldat de travailler ne sont pas réunies dans la guerre que vous évoquez. Cette guerre, que The Economist, vient de qualifier de « guerre de cent ans » est très complexe que ce soit sur le plan historique, politique, religieux, sans parler des terres et des ressources qui sont en jeu. Tout cela complique davantage la situation au Moyen Orient, une situation ou il s’avere difficile de mesurer l’ampleur du choc émotionnel des deux côtés…Le nouveau soldat est un homme de dialogue interculturel avant d’être une machine à tuer.


Quel regard jetez-vous sur cette énième guerre israélo-palestinienne. Quelles pourraient être les conséquences de ce conflit sur l’activité terroriste à travers le monde?

Ces images des bombardements israéliens sur la bande de Gaza risquent sérieusement d’amplifier la violence terroriste et de réanimer les cellules terroristes qui étaient en veilleuse et qui aujourd’hui ont soif de vengeance. Le monde a été choqué par les images des tueries dans la bande de Gaza. C’était clairement une guerre déséquilibrée et c’est ce déséquilibre qui va accentuer la colère terroriste.

 

 

Extraits choisis:

Comment résoudre la symétrie de la peur?

«La discussion ci-dessus fournit une analyse détaillée, utilisant la méthode dialectique, qui a conduit à la symétrie de la peur. Les motivations cachées derrière l’utilisation de la méthode de l’analyse dialectique ont été décrites plus haut, En outre, une distinction générale a été effectuée entre les mouvements séparatistes islamistes et les djihadistes globaux. De plus, nous avons comparé l’échec de l’Etat, donnant naissance aux mouvements séparatistes islamistes, et l’échec des idéologies, donnant naissance aux djihadistes globaux.

«Nous avons utilisé quatre filtres d’analyse pour repartir les rôles respectifs des acteurs internationaux : le militaire, le politico-diplomatique, l’économique et le culturel. Ces filtres ont été appliqués aussi bien aux séparatistes qu’aux djihadistes pour définir les programmes d’action à suivre pour les différentes parties. Pour ce qui est des séparatistes islamistes, par exemple, il est nécessaire de créer un front diplomatique cohérent et bien intégré et de poursuivre activement un processus politique détaillé et tranché.
De plus, des mesures économiques destinées au développement et à la réduction de la pauvreté doivent être mises en place a côté d’initiatives culturelles qui sont destinées à gagner «les cœurs et les esprits» de jeunes et impressionnables terroristes, avérés ou en puissance. Face aux djihadistes globaux, en revanche, les mesures économiques, diplomatiques, et politiques sont largement inefficaces. Une action militaire en termes d’activités traditionnelles de maintien de l’ordre doit être menée, tout en théorisant, et en mettant en œuvre la création d’un nouveau soldat pour combattre la symétrie de la peur. Enfin, une guerre culturelle doit être menée, et cela pose un grave défi au monde musulman et a la communauté internationale car la promesse d’un avenir meilleur a été en quelque sorte trahie par les terroristes islamistes et a désespérément besoin d’être restauree.
«En conclusion, donc, pour résoudre la symétrie de la peur, il sera nécessaire de créer un nouveau soldat. Ce soldat doit démontrer des qualités hautement subjectives telles que l’empathie et l’intuition, ainsi qu’une perception accrue de son environnement, lui permettant de se mouvoir sans peur dans des domaines culturels, linguistiques, et émotionnels différents. Un tel soldat doit être a la fois intuitif et intelligent – c’est pourquoi des valeurs culturelles différentes devront être cultivées (à l’intérieur de l’armée et plus généralement des sociétés occidentales) afin de créer ce soldat d’un genre nouveau.»

 

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