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Rundheersing Bheenick : « J’ai sonné l’alerte »

20 juin 2012, 09:03

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Cela ressemble à la fois à une mise en garde et une précision. Le gouverneur de la Banque centrale, Rundheersing Bheenick, prévoit que la crise va durer plus longtemps. Il appelle les opérateurs économiques à «se préparer à une rude compétition quand les choses se stabiliseront». En même temps, il dit catégoriquement non à une dévaluation de la roupie. Il explique pourquoi et pense «qu’il est temps qu’on fasse un paradigm shift».


? Certains industriels se sont joints à la démarche du directeur du Joint Economic Council pour soutenir que le Monetary Policy Committee avait une marge pour baisser davantage le Key Repo Rate (KRR). Que leur répondez-vous?

On ne dispose pas de marge de manoeuvre. D’ailleurs, nous sommes venus à la conclusion que le Key Repo Rate n’est pas l’outil approprié pour s’attaquer à la problématique liée au taux d’intérêt. La dernière fois que nous avons procédé à une baisse du KRR, c’était à la fin de 2010.

Le Comité de Politique Monétaire l’avait baissé de 100 points de base. Or, il n’y a pas eu l’effet escompté tant au niveau du coût du crédit que du coup de pouce attendu pour dynamiser l’appareil productif.

La baisse du taux directeur n’a pas non plus aidé à contrôler l’«Output Gap», soit le différentiel entre la production actuelle et la production potentielle. Ce qui m’amène à dire qu’il faut trouver d’autres moyens, voire d’autres outils pour répondre aux exigences du moment. D’où les nouvelles mesures monétaires prises la semaine dernière.

? Est-ce la fin de la détente monétaire ?

C’est peu probable qu’on procède à une baisse drastique du Repo Rate à moins que l’inflation prenne l’ascenseur. Avec un taux directeur de 4,9 %, nous sommes loin du «zero bound». Et quand l’inflation dépasse les 5 %, nous sommes carrément en territoire négatif. Il est temps qu’on fasse un «paradigm shift». Le KRR demeure un bon outil pour contrôler l’infl ation, mais il est peu efficace pour envoyer de bons signaux à l’appareil productif du pays.

Quand au nouvel instrument de stérilisation, il sera utilisé pour empêcher tout excédent de crédit sur le marché, qui peut potentiellement provoquer des risques inflationnistes. D’ailleurs, face à de tels risques, la BoM sera appelée à déployer l’arme monétaire.

? En mettant à la disposition des exportateurs une ligne de crédits en devises pour rééchelonner leurs dettes, ne reconnaissez-vous pas qu’ils avaient raison de tirer la sonnette d’alarme par rapport à la trop forte appréciation de la roupie vis-à-vis de l’euro ?

Disons qu’à mon niveau, j’ai donné l’alerte sur la nécessité pour eux d’être prudents et d’adopter une bonne gestion de la monnaie par rapport à l’appréciation accrue de la roupie provoquée en grande partie par la dégringolade de l’euro. Cela ne reflétait pas les mauvaises options stratégiques suivies jusqu’ici par la BoM et l’Etat mauricien. Tous les observateurs qui s’y connaissent sont unanimes à nous donner raison. Notre but quand nous avons prôné cette politique de change, c’était d’arriver à une certaine stabilité de la roupie. Je pense que nous avons atteint notre objectif car la volatilité de la roupie sur le marché a disparu. Il n’y a qu’à comparer avant 2008 et après pour s’en rendre compte.

N’essayons pas de blâmer la politique de change. Nous sommes dans une période de crise continue pendant cinq ans et comme le KRR a ses limites pour endiguer l’appréciation de la roupie, il fallait trouver d’autres moyens pour combattre cette appréciation.

? D’où les nouveaux instruments monétaires proposés la semaine dernière…

Tout à fait. Mais je dois insister que ces nouveaux outils ne remettent pas en cause les politiques monétaire et de taux de change, suivies jusqu’ici. Nous allons résister à toute appréciation de la roupie qui n’arrange pas forcément les choses pour les exportateurs qui sont déjà confrontés aux effets de la crise européenne sur leurs marchés d’exportation dans la zone euro. Il faut dire que c’est une mesure qui a le soutien de la BoM et du Trésor public qui a donné son accord le 9 juin et mis à notre disposition des ressources financières nécessaires pour son application.

? N’estimez-vous pas que cette mesure constitue une aubaine pour certaines entreprises, particulièrement celles du secteur hôtelier, qui ont un niveau d’endettement difficilement soutenable et qui n’ont rien fait pour réduire les risques du taux de change défavorable de la roupie face à l’euro ?

C’est loin d’être une aubaine. Car, les problèmes de surendettement, auxquels font face certaines entreprises, ne sont pas pour autant réglés. Ce que nous avons essayé de régler à la BoM, ce sont les risques liés au taux de change. Ces risques se compliquent avec le «servicing» de la dette de ces entreprises. Il faut savoir que les entreprises exportent leurs biens et services en euros, mais elles ne paient pas leurs dettes dans cette monnaie. Bien souvent, elles convertissent leurs roupies en euros pour s’acquitter de ces dettes et constatent avec effarement que les taux de l’euro ne sont pas en leur faveur. Avec cette ligne de crédits en devises, mise à leur disposition à travers leurs banques commerciales, la BoM enlève ces risques en leur permettant de régler leurs opérations en euros ou en dollars. S’il y a une baisse accrue de la valeur de l’euro demain, cela ne va pas les affecter compte tenu du fait que leurs dettes seront également libellées en euros. En agissant ainsi, la BoM se positionne en amont pour éviter qu’une entreprise fortement endettée, se retrouve avec un manque de liquidité et soit incapable d’honorer ses engagements vis-à-vis de ses clients. C’est une bouée de sauvetage que nous accordons aux opérateurs économiques d’autant plus que nous sommes conscients que la crise européenne va perdurer.

? En mettant fin à la détente monétaire, ne courez- vous pas le risque que les exportateurs ne prennent pas avantage de ce nouvel instrument vu que les conditions relatives à cette ligne de crédits ne sont pas encore connues et que leur problème reste entier ?

J’ai déjà expliqué à la Mauritius Export Association (MEXA) et à la Mauritius Bankers Association (MBA), les conditions rattachées à cette ligne de crédits. Les taux, qui seront appliqués, dépendront de la nature du prêt, de sa durée et de la devise dans laquelle il sera libellé. Un prêt en euros, de sept ans, ne sera pas frappé des mêmes conditions qu’un prêt en dollars pour trois ans. Nous avons déjà soumis aux banques commerciales les différentes marges que nous appliquerons. Il appartiendra aux banques commerciales de les communiquer aux opérateurs. Nous avons dit que nous n’allons pas prendre de risques dans cette opération.

? Et si les opérateurs ne prennent pas avantage de cette mesure?

Qu’ils ne viennent pas rouspéter demain quand ils seront confrontés à des problèmes de taux de change. Nous avons essayé de les aider sachant que peut-être dans le passé, il y a eu des failles dans le système. Aujourd’hui, il appartient aux opérateurs de s’assurer contre les risques de change. Jusqu’à présent, nous avons «meet the cost» contre le principe de base que la roupie allait se déprécier continuellement.

D’ailleurs, j’ai vu certains articles savants qui soulignent que le modèle mauricien demande une dépréciation de la roupie. J’ai dit non ! Je crois que c’est un vol en plein jour. Nous ne pouvons pas voler de petits gens pour remplir les poches des plus fortunés. Ce n’est pas notre approche, voire notre manière d’opérer.

? Les économistes sont unanimes à reconnaître que la crise dans la zone euro pourrait perdurer et qu’après la Grèce et l’Espagne, d’autres pays pourraient subir les mêmes crises d’endettement. Ne pensez-vous qu’il est grand temps pour Maurice de prendre de nouvelles mesures pour permettre au pays de demeurer résiliente face à ces turbulences ?

Absolument. Il faut dire que nous pouvons être fiers de notre performance pendant la crise. Toutefois, le pays ne peut pas continuer sur la même voie, car la crise va durer plus longtemps. Il faudra se repositionner pour faire face à la concurrence des autres pays, après la crise, quand les choses se stabiliseront. Il faut se préparer à cette rude compétition. Tous les pays seront dans une logique d’augmenter leur compétitivité économique. Alors que chez nous, nous avons trop tendance à croire que c’est le niveau du loyer de l’argent qui est un problème. Je persiste à croire qu’il faut revoir toute la chaîne d’approvisionnement pour voir les domaines susceptibles d’être améliorés et ainsi augmenter la compétitivité de Maurice dans les différents secteurs économiques. Ce sont des éléments qui sont en dehors de la compétence de la Banque de Maurice.

? Des exportateurs ont avancé, ces derniers jours, l’idée d`une dépréciation de la roupie en vue de réduire la pression sur le secteur d’exportation. Qu’avez-vous à dire à ce sujet ?

Il est assez normal que les exportateurs réclament la dépréciation de la roupie pour augmenter leurs recettes d’exportation. Ce qui les intéresse, c’est surtout le «bottom line» de leurs entreprises. Alors qu’à la Banque centrale, notre «bottom line» est le pays tout entier, car nous avons à prendre en considération, l’intérêt de tous les «stakeholders».

? Les opérateurs se plaignent du taux relativement bas auquel les banques achètent leurs devises. Que comptez-vous faire à ce sujet ?

Les exportateurs se plaignent effectivement de cette situation. De plus, ils sont contraints à vendre ces devises à leurs banques alors même qu’il n’y a aucun accord signé à cet effet. Je trouve cette pratique anti-compétitive.

A la BoM, nous avons réfléchi à la question et sommes en mesure de proposer aux opérateurs la possibilité d’acheter leurs devises. Ils auront ainsi le choix de disposer leurs devises. De plus, nous travaillons à réguler les marges maximales que les banques doivent pratiquer sur le marché de change.

Propos recueillis par Villen ANGANAN

(Source : l''''express, mercredi 20 juin 2012)

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