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Shirin Aumeeruddy-Cziffra: « La mort de Patricia Martin aurait pu être évité »

25 septembre 2010, 06:01

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? Est-ce que le viol et la mort de Joannick Martin auraient pu être évités ?

Je pense que oui. Ce qui est certain, c’est que si on avait retiré cette fillette de son environnement malsain, elle n’aurait pas été à risque d’être violée et brûlée.

? Etes-vous parvenue à comprendre la logique du ministère responsable quant aux raisons pour lesquelles on ne l’a pas enlevée de son foyer ?

L’enquête que j’ai menée révèle que les officiers de la Child Development Unit (CDU) ont conclu que l’enfant n’était pas à risque.

? Pourquoi ?

La maman, disent-ils, a déclaré qu’elle ne buvait plus. Ils affirment qu’elle ne sentait pas l’alcool. Ils ajoutent aussi que l’enfant aimait sa maman.

? Et ces raisons vous semblent valables ?

Non. Il est parfaitement normal qu’un enfant aime sa mère ou son père, même si le parent est responsable de sa maltraitance. J’ajoute que maltraitance veut dire aussi la négligence de l’enfant. Il y a un certain nombre d’indicateurs, connus internationalement, pour savoir qu’un enfant est victime de maltraitance.

? Des indicateurs connus internationalement, mais pas des officiers de la CDU ?

Cette évaluation peut être subjective. Il n’empêche que les officiers de la CDU savent que quand il y a un petit doute, le doute doit aller dans le sens de la protection de l’enfant. Il vaut mieux être critiqué pour avoir retiré trop d’enfants que pas assez, surtout quand l’enfant finit par mourir.

? Mais au-delà de l’évaluation, que pensez-vous de la manière dont l’enquête a été menée ?

La petite a attiré l’attention de la CDU en mars quand une plainte a été déposée pour attouchements.

C’est à ce moment que la CDU aurait dû initier une enquête sur la petite et sa mère. Je suis choquée que la CDU n’ait interrogé que la maman ! Aucun officier n’a été capable de me dire ce que le grand-père, qui habite la même maison, pense de la situation. Et, ils n’ont pas été capables également de me dire combien de personnes vivaient dans la maison. Ils ne savaient même pas que la mère avait d’autres enfants.

? Ce ne sont pas les questions que l’on pose quand on mène une enquête de ce genre ?

Ce sont les questions basiques ! La première chose que l’on demande à une mère dont l’enfant est en train de souffrir, c’est combien d’autres enfants elle a. Ils ne savaient pas.

S’ils avaient posé la question, ils auraient immédiatement vu qu’il y a un problème, car ils se seraient demandé comment cela se fait que seul un de ses quatre enfants habite avec elle. Cela aurait été un indicateur extrêmement important.

? Que contient donc cette enquête si les questions de base ne sont pas couvertes ?

Je vais vous dire ce qu’elle ne contient pas et c’est un point qui m’a beaucoup gêné. Ils n’ont pas fait une enquête de proximité, ce qu’on appelle l’enquête de voisinage dans les films. (Haussant la voix…) On fait cela systématiquement dans les enquêtes ! Le chef de la police dira toujours à ses policiers d’interroger les voisins. Les officiers, eux, se sont contentés de dire que la mère n’avait pas bu. Au lieu de croire la mère sur parole, ils auraient dû faire une enquête à l’hôpital Brown Sequard. Alors, ils auraient su que la mère s’y rendait souvent, car elle est alcoolique. S’ils avaient enquêté sur la mère, ils auraient su que l’hôpital Jeetoo avait un dossier sur elle. En consultant ce dossier, et en étant informé des maladies dont elle a souffert, ils auraient compris qu’elle n’était pas en mesure de s’occuper de l’enfant !

? Vous dites que s’ils avaient posé les bonnes questions, on aurait vu que quelque chose clochait et on aurait retiré l’enfant ?

Bien sûr ! C’est la mère qui a emmené la fillette chez un monsieur qu’elle dit être son ami. Et c’est ce monsieur qui s’est adonné à des attouchements sexuels sur la petite. L’agresseur est aujourd’hui derrière les barreaux, mais après cette affaire, la CDU n’aurait-elle pas dû enquêter sur la mère pour voir si l’enfant était en sécurité chez elle ? Donc, la mère boit, mais on trouve qu’elle n’a pas bu elle amène sa fille chez son agresseur, mais cela n’éveille aucun soupçon ? Je ne comprends pas que des spécialistes de la protection de l’enfance n’ont pas vu qu’il s’agissait d’un cas urgent.

? Ils n’ont pas compris ou ils n’en avaient cure ?

Je ne peux dire cela. Je dirai qu’ils sont tellement usés par la quantité d’appels qu’ils doivent gérer quotidiennement, que peut-être ils sont un peu blasés. Le responsable de la CDU est un jeune qui est arrivé au début de l’année et qui m’a confirmé qu’il n’a jamais eu de formation et même qu’il n’existe pas de manuel pour expliquer aux officiers comment procéder quand on entreprend une enquête. Un manuel est crucial !

? Et que pense la ministre responsable de tout cela ?

J’ai discuté avec la ministre. Je crois qu’elle est maintenant consciente du fait que ce problème est immense et qu’il faut une réforme en profondeur.

? C’est maintenant qu’elle prend conscience de cela ?

Je pense. Elle n’est là que depuis quelques mois.

? Mais ses officiers ne savaient-ils pas qu’il y avait un problème ? Ils ne lui ont pas dit ? Il fallait qu’une enfant meurt pour qu’ils en prennent conscience ?

Ils savaient qu’il y avait un manque de personnel. Mais ce n’est qu’un aspect du problème. Le problème fondamental est la manière dont fonctionne cet organisme. Il faut professionnaliser ce système.

? Mais ce n’est pas aujourd’hui que nous réalisons qu’il y a un problème au niveau de la CDU !

Bien sûr que non. Je le répète depuis sept ans. Chaque année, dans tous mes rapports !

? Cela veut dire que les officiers de ce département et du ministère ne lisent pas le rapport ?

Je crois que ceux qui sont directement concernés le lisent.

? Et les parlementaires, les ministres ? Lisent-ils le rapport ?

J’ai des doutes quand j’entends certaines questions parlementaires.

Elles me laissent bouche bée. Certains parlementaires ne savent même pas qu’il y a un rapport !

? Donc, en temps normal personne ne s’intéresse au problème, mais quand il y a un drame, tout le monde se dit concerné ?

Il est effectivement un peu dommage qu’il faille qu’une enfant meure pour qu’il y ait un sursaut. Malheureusement, le ministère de l’Egalité du genre n’a pas la considération qu’il aurait dû avoir.

Le travail social ne peut continuer à être le parent pauvre de notre développement. Car sinon des cas comme cette fillette de sept ans se répéteront et vous savez comment on appelle cela ? C’est de l’institutional abuse. C’est-à-dire que l’enfant paie le prix de la bureaucratie et du manque d’intérêt dans le domaine social.

? Joannick Martin a-t-elle été victime d’«institutional abuse» ?

On peut dire cela, oui. Le système ne l’a pas protégée.

? Et qui devra répondre de cela ?

Tout le monde aura à en répondre. Pour l’instant, c’est la ministre Bappoo qui est en train de porter seule la responsabilité mais, à sa décharge, je dirai que depuis qu’elle est arrivée, elle a eu une attitude plutôt positive.

? Malgré le fait que ses collègues ne prennent pas leurs responsabilités au sérieux ?

Il faut se battre. Quand on est ministre, il faut savoir donner des coups de poing. C’est, en tout cas, ce que moi j’ai fait.

? Mais c’est aussi vrai de dire que pour le gouvernement ce dossier, les enfants pauvres en détresse, n’est pas une priorité ?

Les gens, même les ministres, sont chagrins de ce qui est arrivé, tout le monde est chagrin, mais la politique ne suit pas.

Mais, faisons en sorte que cette petite fille ne soit pas morte pour rien.

? La situation que vous décriez est tellement choquante que c’est à pleurer !

Oui. C’est choquant à tous les niveaux. Mais l’île

Maurice est choquante en ce moment. Les choses fondamentales ne marchent pas.

? Vous exprimez votre indignation, vous faites des propositions, tout le monde est scandalisé par ce qui s’est passé mais dans deux semaines, il y aura un autre scandale et tout le monde oubliera le choc ressenti. Pourquoi pensez-vous que ce sera différent cette fois ?

Je suis une optimiste incroyable. Je suis persuadée qu’on peut encore convaincre les gouvernants. Et, je suis disposée à aller voir X, Y et Z pour faire passer le message.

? Tenez-nous au courant quand X, Y et Z voudront bien vous recevoir pour en discuter ! (Sou rire…)

Comme vous, je les coince là où je les trouve.

 

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