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Swadicq Nuthay : « Je n’exclus pas une nouvelle baisse de croissance »

4 juillet 2012, 08:17

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Economiste chez Axys Group,  Swadicq Nuthay  fait un tour d’horizon de la situation économique. Les effets de la crise en Europe pourraient conduire à une nouvelle baisse dans la croissance à Maurice.


? Quelle appréciation faites-vous du relèvement de la note de Moody’s sur l’économie du pays ?

Il s’agit certainement d’une note positive dans un contexte de crise économique européenne marquée par le ralentissement du principal marché de Maurice. Il y a des enseignements à tirer. J’en relève au moins trois. De prime abord, cette note constitue des progrès importants enregistrés par le pays, portant sur la réduction du fardeau du servicing de la dette, notamment avec le ratio lié aux paiements des intérêts par rapport aux revenus, qui est passé de 21,7 % en 2007 à 14 % en 2011, en raison d’une baisse de taux d’intérêt et d’une meilleure collecte des revenus fiscaux. Il y a ensuite la diversification de l’économie, avec un secteur doté de services à haute valeur ajoutée. Enfin, il y a le renforcement du cadre institutionnel découlant des réformes que le pays s’est engagé à maintenir, ces cinq dernières années.

? Dans quelle mesure cette nouvelle notation de Moody’s influencerait la perception des investisseurs étrangers sur Maurice ?

Cette notation va sans aucun doute améliorer la manière dont est perçue l’île Maurice à l’étranger, plus particulièrement auprès des investisseurs étrangers et des bailleurs de fonds. Dans la mesure où cette notation permet au pays de bénéficier des taux d’intérêts favorables auprès des financiers. Mais, au-delà des critères économiques, il y a surtout l’image de Maurice qui se retrouve fortement améliorée à l’étranger. Toutefois, il faut bien dire qu’il s’agit là d’un critère parmi tant d’autres qui sont pris en considération et choisis par l’agence Moody’s. Certes, vue de l’étranger, la note de Maurice peut constituer un exploit compte tenu du fait que, ces jours-ci, de nombreux pays développés sont mal notés.

? Vu que la crise européenne va perdurer pendant longtemps, avec ses effets sur le marché d’exportation, ne pensez-vous pas que la croissance de 3,7 % estimée en 2012 pourrait être encore revue à la baisse ?

Nous sommes toujours en pleine crise économique, compte tenu de la dépendance de Maurice sur l’Europe. Nous ne pouvons sous-estimer les effets de la crise économique en Europe. D’ailleurs, toutes les grandes nations du monde, telles que l’Inde et la Chine, ont vu leur croissance révisée à la baisse. Nous sommes directement affectés par la crise. Aujourd’hui, disposer d’un taux de croissance de 3 % est déjà remarquablement positif. Il faut bien reconnaître que la crise que nous subissons de nos jours est beaucoup plus grave que celle de 2008. À l’époque, nous avions un euro qui était fort par rapport au dollar. De plus, la monnaie européenne n’était pas aussi affectée dans cette zone. Aujourd’hui, c’est bien plus grave. Nous n’avons plus l’espace fiscal et monétaire pour absorber le choc. Notre marge de manœuvre est assez étroite et nous ne sommes pas encore sortis de l’auberge. De ce fait, je n’exclus pas une nouvelle baisse de croissance, compte tenu de l’état actuel de l’économie.

? La Banque de Maurice (BoM) a pris deux mesures monétaires : la reconstitution des réserves et une ligne de crédit en devises offerte aux banques commerciales, pour soulager financièrement les exportateurs en difficulté et redonner un taux de change favorable à l’euro face à la roupie. Estimez-vous que ces mesures auront l’effet escompté dans le temps ?

Je crois que la ligne de crédit va soulager l’agonie à laquelle est confronté le secteur d’exportation. Cependant, il faut faire ressortir que l’application de cette mesure entraînera des coûts pour la BoM. Car, celle-ci va devoir éponger l’excès de liquidité en émettant des instruments monétaires après l’achat des devises sur le marché et leur mise en vente éventuelle. C’est ce que la Banque centrale appelle une intervention stérilisée. Il en est de même pour la reconstitution des réserves, une opération qui s’avérera financièrement onéreuse pour l’Etat.

Cela dit, on note que depuis l’annonce de ces deux mesures au mois de juin, la roupie a sensiblement glissé vis-à-vis des principales devises étrangères, dont l’euro et le dollar. Cette démarche vise à corriger la surévaluation de la roupie comme l’a indiqué l’article IV du Fonds monétaire international, dans son dernier rapport en 2011. Il est, en effet, souligné, en se basant notamment sur un modèle économétrique, que la roupie est surévaluée à plus de 10 % par rapport à ses fondamentaux. Certes, il faut être prudent, car ce modèle ne repose pas sur une science exacte.

? Les comptes nationaux, publiés à la fin de la semaine dernière, prévoient, entre autres, que les investissements publics connaîtront une hausse de 7,7 % en 2012 par rapport à une contraction de 4,8 % et que ceux du privé chuteront de 3,3 % cette année. Est-ce à dire que la croissance de demain sera assurée par l’Etat ?

Il est un fait que l’investissement par rapport au Produit intérieur brut (PIB) sera en baisse cette année, passant de 18,2 % en 2011 à 17 % en 2012. Cela s’explique par la situation économique difficile. Deux secteurs qui entraînent, généralement, des investissements privés, à savoir l’hôtellerie et le bâtiment, enregistreront, cette année, une contraction de leur croissance.

Heureusement, nous avons l’espace fiscal pour compenser ce déficit au niveau du développement, par des projets d’infrastructures publiques. Ainsi, l’investissement public connaîtra une hausse, passant de 5,5 % du PIB en 2011 à 5,8 % du PIB en 2012. Il faut souligner que les investissements dans les infrastructures publiques, telles que les routes, l’aéroport ou encore certains bâtiments publics, étaient long overdue et nécessaires, pour suivre le pas du développement engagé dans le pays. Il y avait donc un retard à rattraper à ce niveau.

? On parle beaucoup de l’Afrique comme le prochain moteur de croissance pour les investisseurs. Croyez-vous que les opérateurs économiques prennent suffisamment avantage de cette opportunité régionale ?

L’Afrique dispose d’un vaste sol avec un énorme potentiel de développement. Je reprends les conclusions d’un récent rapport de McKinsey intitulé « Lions on the Move », qui souligne que le PIB de l’Afrique passera à US$ 2,6 trillions en 2020 contre US$ 1,6 trillion en 2008.

Parallèlement, le montant du Foreign Direct Investment (FDI) est passé de US$ 9 milliards en l’an 2000, pour, aujourd’hui, atteindre US$ 62 milliards. L’Afrique, comme moteur de croissance, est en marche. Il appartient aux opérateurs économiques de prendre avantage et de saisir toutes les opportunités d’investissement qui se dégagent. Notamment dans le secteur des services où le potentiel de développement est relativement grand, avec l’émergence d’une population disposant d’un gros pouvoir d’achat.

Propos recueillis par Villen ANGANAN

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