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Un prêtre ‘pirate’ qui se manifeste autrement

25 décembre 2010, 06:02

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Le père Robert Jauffret a touché l’enfer du doigt sous forme d’un cancer de la peau. En un an, il est passé 21 fois sous le bistouri. Il a même perdu un œil. Cet «imprévu» a débouché sur l’écriture de deux livres, dont le dernier est sorti il y a dix jours.Robert Jauffret, 71 ans, qui exerçait jusqu’à mai 2009 comme curé à la paroisse de la Visitation à Vacoas, se remet de son cancer au couvent de Belle- Rose. Son cache- oeil lui donne un petit air de pirate. Le cancer l’a certes privé de son oeil droit mais il n’a rien perdu de son esprit vif et de sa parole incisive.

Lorsque vous le croisez, ne l’appelez surtout pas « révérend père » qu’il trouve « du siècle dernier » , voire « périmé » et encore moins « Monsieur le curé » . Il déteste les titres. Et refuse qu’on le traite en dignitaire. « Je suis Robert, un humain comme les autres, qui travaille avec une équipe de chrétiens ouverts dans le monde d’aujourd’hui, qui est rempli de grands défis. »

Les défis en question sont la pauvreté grandissante, le logement social et les diffi cultés qu’il engendre, un service de santé qui fait « des victimes » , un système éducatif dont l’examen de fi• de cycle primaire continue de broyer 40% d’enfants qui risquent ainsi de tomber dans la délinquance, le travail sexuel, la drogue.

Le prêtre qu’il est ne confondt- il pas là son rôle et celui du politique? « On a trop mis notre destin entre les mains des politiciens. Ces problèmes doivent être réglés par tous. » C’est joliment dit, mais dans la pratique comment le faire? « Vous savez, je crois en un Jésus Christ qui s’est fait homme et proche des petites gens pour leur porter un message d’amour, de paix et de justice. Il est parti en nous disant que nous devons continuer sa mission. Et moi en tant que prêtre, je dois faire comme lui, c’est- à- dire être proche de tout le monde et aider les gens à se mettre debout en leur disant ne de pas accepter le fatalisme. C’est effrayant mais il y a des gens qui n’ont plus de ressort. Mon rôle avec les chrétiens est de leur dire: vous avez une dignité.Mettez vous debout. Il faut forcer les décisions » , dit- il.

Il prend l’exemple de l’école de Cité Barkly où le taux de réussite au Certifi cate of Primary Education ( CPE) était infi me.« Les parents ne voulaient pas de cette école. Et bien, le prêtre et un groupe de chrétiens ont travaillé avec eux. On leur a fait comprendre qu’il fallait qu’ils se mettent debout et qu’ils demandent que l’école ait tout le soutien voulu. Concrètement, cela s’est traduit par l’envoi de mémorandums et d’autres actions et il semblerait que cette école va se relever en 2011. »

 L’image de l’Eglise d’aujourd’hui est écornée par plusieurs crises, à commencer par celle des vocations. « Le meilleur appel pour les vocations, c’est l’exemple. Quand vous avez sous les yeux des gens enthousiastes et ouverts, cela donne envie. Tout dépend de comment on présente la prêtrise. Si on la présente comme une vieille manière de vivre le sacerdoce, cela n’attire pas. Si on présente aux jeunes un idéal de vie, de service, là on va attirer. »

L’institution a aussi été secouée par les actes pédophiles de prêtres à l’étranger. « Ce sont des malades qui ont besoin d’être soignés. Le scandale des prêtres pédophiles a blessé mon Eglise. Il m’a également fait mal. Mais je ne vais pas m’arrêter à ça. Ils existent, oui, mais il y a aussi l’Abbé Pierre et d’autres prêtres qui travaillent et luttent contre la pauvreté et d’autres fl éaux. Heureusement que jusqu’à présent, on n’a pas eu de scandale de prêtres pédophiles à Maurice. »

Plusieurs prêtres mauriciens ont toutefois abandonné la prêtrise ces dernières années. Le célibat des prêtres y serait- il pour quelque chose. « Je ne sais pas. Je ne les juge pas. Ils ont leurs raisons. Il ne faut pas mettre un prêtre sur un piédestal. Nous sommes tous des humains. Le célibat, c’est un choix pour remplir une mission qui est d’être au service des autres. Pour cela, il faut aller vers le large, prendre des risques, se casser la figure parfois mais apprendre dans tous les cas. De toutes les façons, la crise de sacerdoce, ce n’est pas que chez les catholiques. »

Il estime toutefois que les catholiques et l’Eglise doivent se remettre en question. « Nous disons aux gens de venir vers nous mais nous jugeons tous ceux qui ne rentrent pas dans les rangs, comme par exemple ceux qui ne vont pas à la messe, qui ne baptisent pas leur enfant, qui pratiquent l’union libre.Or, ce n’est pas eux qui sont loin de nous. C’est nous qui sommes loin d’eux. C’est à nous d’aller vers eux et de les aimer car Jésus Christ est autant à l’oeuvre dans leur coeur que dans le nôtre. Ma mission est de les aider à découvrir tout le beau, le grand et le magnifi que dans leur vie.On ne doit mettre personne de côté. »

Ça, c’est Robert Jauffret qui le dit et pas l’Eglise! « Personne ne pourra me contredire car je parle de la manière de faire de Jésus Christ.L’Eglise doit donner le visage d’un Dieu qui aime, d’une Eglise qui abandonne les jugements, les condamnations et son air de supériorité.Qui sommes nous pour mépriser les autres? Nous devons aller vers eux et les aimer et voir tout ce qu’il y a de beau et de grand en eux, leur dire qu’ils ne sont pas loin de Dieu. C’est un message positif, un message d’espérance qu’il nous faut apporter. »

Depuis 2009, Robert Jauffret relève un défi personnel, qu’il qualifie « d’imprévu » . C’est celui de l’apparition d’un cancer spinocellulaire qui s’est présenté sous la forme de tumeurs sur le front. « On les a enlevées. Le 15 mai 2009, elles ont reparu. J’ai vu mon dermatologue qui m’a référé à un chirurgien. Il les a enlevées. Mais ce cancer est comme le chiendent. On l’arrache et il ressort ailleurs. J’ai donc subi 21 opérations » .

Il admet en avoir eu assez à la 21 e intervention. « Là, j’ai dit il y en a assez. Mais je n’ai jamais pesté contre Dieu. Je ne crois pas en un Dieu mécanique qui punit les méchants et récompense les bons. Ça, c’est un Dieu neurasthénique et revanchard. Je ne crois pas en ce Dieu- là » . Il reconnaît que perdre un oeil a été un choc. « Mais il n’y avait pas d’autres solutions que de l’enlever.Par tempérament, je ne suis pas quelqu’un à me lamenter indéfi niment.Et puis, je me suis dit qu’il y a bien des gens qui vivent avec un oeil.Pourquoi pas moi? » .

En octobre dernier, il rencontre un cancérologue de renom qui vit à Maurice. Ce dernier et son chirurgien travaillent alors sur son cas. Le cancérologue le réfère à un des cinq plus grands cancérologues au monde, le Dr Philippe Saïag, qui est rattaché à l’hôpital Ambroise Pare à Paris. Le Dr Saïag a trouvé des points communs entre le cancer spinocellulaire et les cancers du larynx, des poumons et du tube digestif.Le Dr Saïag expérimente actuellement un produit, l’Erbitux, sur le cancer spinocellulaire et a eu des résultats probants chez deux malades.

Chez ces personnes traitées à l’Erbitux, les tumeurs ont tout bonnement disparu. Robert Jauffret accepte d’expérimenter ce produit qui lui est administré lors de huit sessions de chimiothérapie.« J’ai été le troisième malade au monde à essayer ce produit. Et valeur du jour, il n’y a plus de traces de tumeur. » C’est pour partager son expérience avec d’autres qu’il s’est mis à l’écriture. Des pages noircies presque d’une traite et qui, sous l’impulsion de l’imprimeur Alan Driver et le travail d’édition de Lilian Berthelot, sont devenues « L’Audace de dire » , livre paru en mai 2009 et « Du vin nouveau dans la vie » sorti il y a une dizaine de jours. « Si ces livres peuvent aider les autres, tant mieux. J’estime qu’il n’est pas nécessaire de se lamenter. Je dis aux gens de bannir le mot Ayo de leur vocabulaire. La vie est magnifi que.Elle comprend parfois des imprévus mais ils sont enrichissants. »

Son cancer, avoue- t- il, lui a permis de « grandir dans la foi, de voir la vie autrement, d’accepter de dépendre des autres et de ne pas se croire indispensable » . Bien qu’il aille mieux, il n’est pas sûr de reprendre la responsabilité d’une paroisse. « On peut vivre la prêtrise autrement. Je célèbre encore des messes. J’anime encore des réunions avec des groupes. Et puis il y a l’écriture qui est une manière de dire, une façon de se manifester autrement. Je dois absolument porter un message aux gens et leur dire que Dieu n’est pas dans les nuages mais dans leur vie quotidienne. Il est au coeur de nos joies et de nos souffrances… »

 

 

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