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Vijay Makhan : « En politique internationale, ce sont les intérêts permanents qui comptent »

5 juin 2011, 07:30

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L’ex-secrétaire général adjoint de l’Union africaine s’exprime sur le choix du prochain directeur général du Fonds monétaire international. Il rappelle aussi comment Jayen Cuttaree fut privé du poste de directeur de l’Organisation mondiale du Commerce grâce à une campagne de la France.

Est-il normal que le poste de directeur du Fonds monétaire international revienne automatiquement à un Européen ?

Il faut remonter à l’accord de Bretton Woods, au New Hampshire, en 1944. Le FMI a été créé en 1945, après la signature d’un accord par 29 pays. C’était pour la reconstruction après la Seconde guerre mondiale. Les pays fondateurs s’étaient réparti les responsabilités. Une règle non-écrite date de cette époque : la direction de la Banque mondiale revenant à un Américain et celle du FMI à un Européen. Aujourd’hui, le FMI compte 187 pays membres. Tout a évolué, sauf cette règle. Les USA détiennent 16,7 % des droits de vote, les 27 de l’Union européenne détiennent 30,9 % des votes et le Japon 6,2 %. Ce qui fait 53,8 % des votes. Il y a quelque temps de cela, certains, dont Dominique Strauss-Kahn, ont évoqué – mais je crois que c’était pour la galerie, pour se donner bonne conscience – la nécessité de revoir le système de fonctionnement de ces deux institutions, pour donner davantage de voix au chapitre aux pays émergents, en l’occurrence les pays BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud).
Aujourd’hui, ces pays ont fait des progrès énormes, tant au niveau macroéconomique qu’à celui de la gestion quotidienne. Les choses ont changé mais le système est resté accroché à une époque révolue. C’est de ce paradoxe qu’il s’agit de se débarrasser. Et on voit bien que parmi les candidats, il y a Christine Lagarde, la ministre des Finances de la France. Les USA, avec ses 17 % de voix, peuvent bloquer toute décision majeure qui requiert 85 % des voix. S’ils disent non, vous êtes fichus. Mank sink sou pou fer enn roupi. Un système injuste.


Que faire ?

Nous avons une capacité, dans l’autre monde, le monde non-occidental, de parler, et de bien parler de tenir les discours qu’il faut, mais sans que les actions suivent. Les fruits n’ont pas tenu la promesse des fleurs. Est-ce que nous manquons le courage de nos convictions. Ou alors n’avons-nous pas de conviction. ? Trevor Manuel, qui a été ministre sud-africain des Finances aurait pu être un excellent candidat pour le poste de directeur du FMI. Et le matraquage a déjà commencé pour favoriser Christine Lagarde. Et ils viennent nous parler de bonne gouvernance. Il y a pourtant un candidat africain potentiellement éligible. Cela fait des années qu’on parle d’un African Monetary Fund, d’un African Investment Bank, d’un African Central Bank, On aurait dû avoir créé des fonds régionaux, alors que nous contribuons au FMI. Pourquoi leur donnons-nous un bâton pour nous frapper ? Surtout, si on n’a rien fait de mal ! Après la réunion de l’OMC à Cancún, j’avais dit que les Africains devraient revoir leur appartenance à l’OMC. Pour secouer un peu les Occidentaux. Nous sommes 53 Etats membres, sur 180, presque le tiers. Nous nous laissons diviser, au lieu d’être solidaires. Nous devrions converger vers des positions communes qui serviraient l’intérêt général. Nous devrions créer des fonds régionaux. Les Africains ne se respectent pas. Nous avons les capacités.


Vous vous êtes battu pour que Jayen Cuttaree devienne directeur de l’Organisation mondiale du Commerce. Et c’est le Français Pascal Lamy qui a été choisi…

Jayen Cuttaree était à deux doigts d’être élu. Cette campagne a démontré la différence entre les discours et la réalité. Les Africains, les pays ACP parlent de solidarité. Les représentants non-Africains, non-ACP m’ont dit qu’ils étaient convaincus des capacités de Jayen Cuttaree et m’ont conseillé d’aller voir « vos propres gens », des ministres de grands pays m’ont dit : « Untel et untel sont en train de vous berner là. » J’en ai parlé à Jayen Cuttaree, j’ai fait ce qu’il fallait faire, Je suis allé les voir. Ils m’ont dit : « Oui, tu sais, nous avons nos intérêts… » Pour moi, il est clair que Cuttaree était le candidat idéal dans la conjoncture de l’époque pour le poste de directeur de l’OMC.


Pourquoi était-il le candidat idéal ?

Les pays en voie de développement ne représentent peut-être pas grand-chose en terme de pourcentage, mais en terme de population, ces pays sont très importants. Il y a un côté moral dans tout cela. Les négociations de Doha — le Doha Development Round — n’avaient pas abouti, à cause du mot ‘développement’. Il n’y avait qu’une personne du Sud à pouvoir faire bouger les choses. Jayen Cuttaree avait les capacités, il avait des contacts, il avait bien su tisser ses relations, avec les pays du Sud, mais aussi avec les pays du Nord. D’ailleurs, même la France était d’accord au départ que Jayen Cuttaree devait être candidat. Elu, il aurait été encadré de personnes compétentes et aurait agi en toute indépendance, pour arriver à conclure le cycle de négociations de développement en faveur de tant de milliards de personnes qui attendent encore de participer à cette globalisation dont on parle tant et d’en tirer des bénéfices. Et on a raté par deux votes, deux votes de notre camp ! Si cette joute avait été entre Pascal Lamy et Jayen Cuttaree, ce dernier aurait gagné. Nos soi-disant amis nous ont laissés tomber. En politique internationale, l’amitié permanente n’existe pas, ce sont les intérêts permanents qui comptent. Les Occidentaux ne voulaient pas d’une joute entre Cuttaree et Lamy.

Comment s’est passée l’élimination de Jayen Cuttaree ?

Les Français sont allés dire à ceux qui soutenaient Jayen Cuttaree d’indiquer comme second choix Pascal Lamy. Ils ont changé les procédures. Les Européens n’ont donc pas voté pour Cuttaree comme second choix, mais ils ont exigé des pays ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique) qu’ils le fassent pour Lamy. Ensuite, ils ont effectué une pondération (weightage). Et les Africains ont accepté ce que leur ont dit les Européens.

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