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Yatin Varma : « Je refuse un débat religieux »

2 juin 2012, 06:52

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Normalement imperturbable, Yatin Varma se laisse aller à l’émotion. Le jeune «Attorney General» explique pourquoi il ne faudrait pas que ceux qui sont contre le droit à l’avortement continuent à protester contre la loi. Et, il révèle, surtout, pourquoi il est fi er d’avoir piloté ce projet de loi.

? Quel effet cela fait d’être LE ministre de la Justice qui a réussi à changer une loi vieille de 174 ans sur l’avortement, en la remplaçant par une qui est extrêmement contestée ?

D’abord, nous n’en serions pas là sans le soutien du Premier ministre et du Cabinet. J’ai accepté le défi de piloter ce projet de loi avec beaucoup d’humilité et c’est une lourde responsabilité. J’ai des convictions très fortes sur la question de l’avortement. Mais, jamais je n’aurais imaginé que la tâche de piloter ce projet de loi me reviendrait ! Je suis heureux et satisfait d’avoir pu aider à faire quelque chose qui va dans le sens de l’intérêt national. Mais, surtout dans celui de femmes et de filles mineures victimes de choses atroces, comme le viol ou l’inceste. Ce qui me fait le plus plaisir, c’est le consensus politique qu’il y a eu autour du projet. C’est très encourageant.

? Auriez-vous refusé de piloter le projet si vous étiez personnellement contre l’avortement ?

Pas du tout. Nous sommes dans un système de gouvernement où la responsabilité collective est de mise.

? Beaucoup de gens s’interrogent sur le «timing» du projet de loi. Pourquoi maintenant ? Est-ce vrai que c’est aussi une tactique de diversion ?

Pas du tout. Nous travaillons sur ce projet de loi depuis plus d’un an. Je vous le dis sincèrement et honnêtement : la préparation du projet de loi a suivi son cours et il a été présenté au Conseil des ministres dès qu’il a été prêt. Et, trois semaines après avoir obtenu l’aval du Cabinet, il a été
 introduit au Parlement.

? Vous avez parlé de consensus politique, mais il n’y a pas, nécessairement, de consensus en dehors du Parlement. Etait-ce un souci pour le gouvernement ?

On débat de l’avortement depuis des années. Mais, le débat a pris une autre tournure à partir du 4 mai, quand le Cabinet a donné son aval pour que le projet de loi soit présenté au Parlement. Les gens doivent comprendre que le gouvernement est là pour gouverner. Et qu’il a pris une décision sage, audacieuse et courageuse, dans l’intérêt national, en décidant de légaliser l’avortement thérapeutique. Mais, vous noterez que cette décision ne froisse pas les sensibilités. Car, ce dont nous sommes en train de parler, est de donner le choix à la femme dans quatre cas spécifiques, pas de lui imposer quoi que ce soit.

? La décision de se faire avorter allait toujours être volontaire, mais qu’est-ce qui a changé pour que, cette fois-ci, malgré l’opposition des anti avortement, le gouvernement est quand même allé de l’avant ?

C’est le courage qui a fait la différence cette fois-ci. Nous avons décidé qu’il y a eu assez de débats sur la question et qu’il était temps de prendre une décision. Et d’aller de l’avant avec celle-ci.

? Beaucoup n’acceptent pas cette décision, menaçant même d’entamer une grève de la faim. Comment réagissez-vous à cet ultimatum ?

Je refuse d’entrer dans un quelconque débat religieux. Nous respectons l’opinion de tout le monde, nous respectons leur droit d’avoir ces opinions, mais le gouvernement est là pour gouverner. J’ai été à l’écoute de tout le monde, j’ai lu tous les articles sur la question de légalisation de l’avortement, je suis allé sur Facebook je sais qu’il y a des gens qui sont contre et qu’il y en a qui sont pour. Il était temps de prendre une décision parce que ce débat aurait continué indéfiniment. Et, le gouvernement, dans sa sagesse, l’a prise.

? Il y a, malgré tout, des pétitions qui sont toujours en train d’être signées et circulées. Y a-t-il une possibilité qu’elles aient un quelconque effet sur la décision du gouvernement ?

Je voudrais demander à ceux qui refusent d’accepter la décision du gouvernement, de faire en sorte que le débat continue sans dérapage. La décision a été prise, c’est un fait et je n’envisage aucun problème.

? Mais, s’ils continuent d’organiser des pétitions, c’est qu’ils doivent bien entretenir un espoir que cela aura de l’effet. Pouvez-vous nous donner la garantie que ces pressions n’auront pas d’effet ?

Elles n’auront pas d’effet. Le Conseil des ministres a pris une décision, le projet de loi est actuellement débattu au Parlement et il a fait l’objet d’un consensus politique. Donc, je ne vois pas comment les choses pourraient changer. Il faut que je vous dise une chose : je viens d’apprendre qu’une enfant de dix ans est tombée enceinte. Une enfant qui porte un enfant ! Une autre collégienne a été violée par son ancien petit ami. Ce genre de personnes n’avait aucun recours auparavant. Pourquoi refuse-t-on de leur donner ce choix ?

? Surtout que, sous la loi actuelle, si ces filles se font avorter clandestinement, elles risquent la prison !

Tout à fait. La façon dont je vois les choses, c’est qu’un viol est déjà un traumatisme. En sus, nous obligeons la personne à subir une grossesse pendant neuf mois, alors que pas une seconde ne passera durant cette période, sans qu’elle ne repense à ce viol. Et quand elle donnera naissance, elle y repensera encore. Allons-nous continuer à faire subir cela à nos femmes ? N’avons-nous aucun respect pour elles ? Pour leur dignité ? Donnons-leur le choix ! Si une femme veut aller de l’avant avec sa grossesse, c’est son choix, mais si elle ne veut pas, c’est son corps, sa santé mentale et physique ! Imaginez maintenant qu’elle soit enceinte de son père ou de son frère ! Et, nous savons le genre de problèmes génétiques que la consanguinité génère. La science l’a prouvé ne devrait-on pas prendre cela en considération ? Donnez-lui le choix, pour l’amour du ciel ! La loi, telle qu’elle est maintenant, fait que la femme n’a aucun choix sur la vie et la mort. Est-ce cela que nous voulons imposer aux femmes de ce pays ? Allons, soyons raisonnables !

? Vous êtes généralement assez imperturbable et c’est la première fois que je vous vois aussi agité. Vous y croyez vraiment, n’est-ce pas ?

Oui. J’y crois.

? Est-ce la raison pour laquelle vous avez rencontré le front commun qui soutient le projet de loi et non les représentants du front anti-avortement ?

Les représentants des mouvements en faveur de la légalisation de l’avortement thérapeutique ont demandé à me voir. Ceux qui sont contre ne l’ont pas fait. Je ne me pose aucun problème de rencontrer les gens quelles que soient leurs opinions. Mais, ce que je n’apprécie pas, c’est qu’on personnalise le débat, ce n’est pas correct. Il n’y a pas de loi Varma, il y a un projet de loi du gouvernement dans l’intérêt de la population.

? Une des raisons pour lesquelles les Nations unies demandent la légalisation de l’avortement est pour éliminer le phénomène d’avortements clandestins. Mais, la nouvelle loi ne va pas résoudre ce problème puisque les femmes qui ne tombent pas dans les quatre catégories, continueront à se faire avorter clandestinement. Comment proposez-vous de régler ce problème ?

C’est un autre débat. Vous êtes en train de me demander s’il faut légaliser l’avortement à la demande ce n’est pas du tout la position du gouvernement. La décision du gouvernement est d’accorder l’avortement dans quatre cas spécifiques.

? Tout à fait, mais on parlait plus tôt de libre choix de la femme. Un choix n’est un vrai choix que s’il est complètement libre. Et le problème d’avortement clandestin reste !

Il faudra voir comment aborder ce problème. Mais, pour le moment, notre priorité reste la légalisation thérapeutique de l’avortement et son application.

? Il y a comme une certaine gêne à parler de légalisation complète de l’avortement, n’est-ce pas ? Même au Parlement, tous ceux qui se disent pour, à l’exception peut-être de Satish Boolell, prennent bien le soin de préciser que la légalisation n’est pas complète !

La loi qu’on est en train de proposer est très précise. Nous parlons du choix de la femme en ce qui concerne sa santé et celle de son bébé. Concentrons-nous, pour le moment, sur notre projet de loi.

? Quelle est votre opinion personnelle sur la question ?

Je préfère ne pas en parler maintenant.

 

Propos recueillis par Deepa BHOOKHUN
(l’express, samedi 2 juin 2012)

 

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