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Yousouf Ismael Economiste du groupe St-Aubin

3 octobre 2012, 07:00

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<STRONG>«L’intervention gouvernementale trop présente tue la productivité, l’innovation...»<BR></STRONG>

?  Le gouverneur de la BoM s’est expliqué sur les raisons ayant motivé une majorité de membres du «Monetary Policy Committee» à voter en faveur du maintien du taux directeur à 4,9 %. Est-ce que ces raisons vous ont convaincu et si oui, pourquoi ?

Il a parfaitement raison. Car, le gouverneur de la Banque de Maurice (BoM) a le devoir de s’assurer de la mise en place de la bonne politique monétaire et de maintenir un contrôle serré sur l’inflation. Il a un certain nombre d’objectifs à atteindre. Et il s’emploie actuellement à le faire.

Par ailleurs, nous savons que l’inflation sera autour de 5 %. Or, il est clair qu’une hausse de salaires, l’existence d’une roupie faible – qui entraîne d’ailleurs des prix énergétiques et alimentaires à la hausse – ainsi qu’une augmentation au niveau de la demande pour des produits pendant les périodes de fin d’année, exerceront inévitablement de fortes pressions inflationnistes.

D’ailleurs, si nous ne sommes pas assez vigilants, nous pourrons créer des situations débouchant sur des taux d’intérêts négatifs.

Ce qui nuirait au pouvoir d’achat des consommateurs et à l’économie en général.

Le gouverneur a certainement pris ce risque en considération. Il s’est appuyé sur sa marge de manoeuvre pour s’assurer que le pays ne s’enfonce pas dans des risques inflationnistes.

A mon avis, c’est une question de timing.

Nous aurions aimé avoir des baisses du taux directeur en janvier et après le budget, au lieu de l’avoir maintenant. Pour ma part, j’ai toujours avancé l’idée d’un réalignement des politiques fiscales et monétaires. Et ce, afin de pouvoir créer les bonnes incitations pour le développement économique.

? Comprenez-vous les réactions de nos capitaines de l’industrie et des responsables de l’establishment du secteur privé, qui estiment que la BoM avait une marge de manoeuvre pour baisser le «Repo Rate» et qu’elle a raté une chance d’envoyer un message pro-croissance ?

Disons que le gouverneur ne peut à la fois suppléer au rôle du gouvernement et de Chief Executive Officer (CEO) des compagnies. Sa marge de manoeuvre ne doit pas être une démarche à court terme. En période d’incertitude, il ne faut pas prendre de décisions irréfléchies qui peuvent, en retour, créer des chocs négatifs à long terme. A l’instar du célèbre philosophe et économiste, Frederich Von Hayek, qui a soutenu que trop d’interventions étatiques peuvent nuire à la bonne marche économique. Du reste, c’est ce à quoi nous avons eu droit quand les banques centrales ont systématiquement baissé le taux directeur, déclenchant la crise financière.

Par ailleurs, dans les années trente, Frederich Von Hayek, défenseur du marché libre, était en désaccord avec un autre économiste, John Maynard Keynes. Cela portait sur l’intervention gouvernementale dans l’économie.

Keynes disait aux politiciens que de telles interventions pourraient faire progresser l’économie alors qu’Hayek plaidait le contraire. A la fin de la journée, c’est ce qui fait toute la différence.

Si l’intervention gouvernementale est trop présente, elle tue la productivité, l’innovation, l’esprit d’entrepreneuriat ou encore la prise des risques. Empêchant ainsi les entreprises de se battre contre des compétiteurs internationaux.

Comme en témoigne, aujourd’hui, l’économie du pays. Il s’agit là d’une triste constatation.

L’intervention de la BoM, par le biais du taux directeur, demeure l’un des outils dont elle dispose pour encourager la croissance et favoriser un environnement pro-entreprise.

Aujourd’hui, force est de constater que les grosses entreprises privées arrivent à survivre tout en prenant des risques. Cela est dû notamment à leur portefeuille d’investissements qui sont largement diversifiés. Toutefois, les entreprises opérant dans un seul secteur d’activités sont celles qui éprouvent les plus grosses difficultés.

Bien que nous ayons un marché libre à Maurice, où la main invisible est supposément présente, nous avons the heavy hand du secteur public qui se pose comme une barrière à la création d’un environnement pro-entreprise.

Enfin, je note que très peu d’entreprises ont les stratégies appropriées pour faire face à un environnement d’affaires compétitif et changeant. Il faut savoir que le terme business as usual n’existe pas dans un tel environnement.

De ce fait, les sociétés doivent employer plus de stratèges et disposer d’une gestion moderne et avant-gardiste. D’ailleurs, très peu d’entreprises locales ont recours à des stratèges. Si elles les emploient, ils ne sont pas écoutés. Short term gains and quick wins mentally is a real virus in companies.

? Le patron de la BoM a émis des critiques à peine voilées contre le niveau d’endettement énorme de l’industrie hôtelière. Faut-il craindre de l’avenir de cette industrie, qui est en mode survie face aux effets  de la crise dans la zone euro ?

La plupart des hôtels sont détenus et gérés par de grands groupes. Ce sont de petits établissements qui souffrent des effets de la crise.

Encore une fois, les stratégies auraient pu être discutées quant à l’approche à adopter pour faire à la crise de l’endettement en Europe.

Car, le pire y est à venir, avec le Portugal qui est à la recherche d’un nouveau plan de sauvetage financier. Ce n’est pas une menace. Mais, il faut bien reconnaître que les entreprises, qui se sont modernisées durant cette période, sont mieux préparées à affronter l’avenir.

Il faut aussi se demander si les fonds empruntés par les compagnies, à l’époque, ont été bien utilisés. Il me semble qu’ils ont été investis dans des campagnes agressives de marketing pour repenser leurs produits.

Par ailleurs, nous avons toujours, aujourd’hui, un secteur touristique qui est tourné vers le marché européen. Et ce, alors que nous savons pertinemment que celui-ci subit un ralentissement économique. Nous avons été peu enthousiastes à accorder les droits de 5e liberté. Ceux-ci permettent de prendre les passagers et de les déposer à Maurice sans aucune restriction.

Ce dont nous avons besoin, c’est avant tout de leaders qui sont dotés de qualités et qui ont une vision. Cela, afin de se réinventer face aux changements en cours. Les Seychelles, les Maldives, la Macédoine et d’autres compétiteurs dans ce secteur l’ont fait. Regardez CNN et BBC, où les campagnes publicitaires sont proposées. Ici nous en sommes encore au stade où nous nous disputons par rapport à un logo.

? Ne pensez-vous pas qu’il faut trouver un nouveau «business model» pour cette industrie ?

Non. We need to get the basics right. Nous devons avoir un leadership solide, porter un regard sérieux sur les produits innovants et les stratégies de marketing. Nous devons aussi avoir une vision commune et être agressifs au niveau commercial sur des marchés ciblés. Il faut avoir le courage de se battre contre nos compétiteurs. Mais, il s’agit aussi d’apprendre ce qui a fait leur succès.

Au final, nous devons apporter ce brand tant promis à notre clientèle. Nous avons perdu notre exotisme et nous persistons à croire que nous sommes un pays exotique. Nos gros problèmes se situent au niveau de l’offre et non de la demande. Nous ne sommes pas en mesure de proposer des produits que recherchent nos clients.

? Pour la troisième année consécutive, la croissance économique sera révisée à la baisse. Celle-ci est estimée entre 3,1 % et 3,2 % cette année. Pensez-vous que le pays est entré dans un marasme économique ?

Depuis le début de l’année, j’ai soutenu que la croissance avoisinerait les 3 %. Sans paraître pessimiste, j’avais raison. Mais, j’estime que c’est une bonne performance, compte tenu de la conjoncture économique mondiale qui s’est dégradée.

Toutefois, la question que nous pouvons nous poser est si nous pouvons potentiellement faire mieux. Le Premier ministre a l’habitude de dire que c’est une «sous performance satisfaisante». Mais, nous pouvons faire mieux, comme disaient nos enseignants à l’époque.

? Dans quelle mesure le ministre des Finances, Xavier Duval, pourrait redonner confiance à une population qui s’inquiète des lendemains économiquement difficiles ?

On dit souvent que la peur du crime est pire que le crime lui-même. Cela s’applique également à la confiance dans la gestion économique d’un pays. Aujourd’hui, l’incertitude économique et politique crée une crise de confiance. Je persiste à croire que le ministre des Finances peut à la fois être capable de prendre des décisions courageuses et continuer les réformes économiques tout en y accordant des incitations.

Cependant, faut-il se passer de la heavy hand de la fonction publique ? Que font actuellement nos entreprises championnes du privé pour prendre avantage des opportunités qui se présentent ? Comment procéder pour avoir les meilleures stratégies ? Comment faire pour guider nos jeunes vers le reskilling ? Que faisons-nous pour nous attaquer au problème de la population vieillissante ? Ce sont autant de questions qu’il faut se poser et auxquelles il est important d’apporter des réponses dans un plan stratégique à long terme. Savez-vous que le Japon a un plan de 100 ans. Ici, nous sommes incapables d’avoir un plan…

 

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