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Yves Pitchen : «Le numérique nous rend davantage esclaves de l’économie»

6 mars 2011, 07:44

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Photographe et observateur social, Yves Pitchen estime que «pour vivre heureux», il faut vivre «cachés et déconnectés».

Un policier de Chicago poursuit son employeur pour l’avoir contraint à faire des heures supplémentaires à cause de son Blackberry. Une sorte de 24/7 à l’américaine ?

Est-ce qu’une société compulsivement tournée vers le «Produire pour produire» tant et plus, peut fonctionner autrement qu’en soumettant tous ses individus à la productivité maximale ? Moins de liberté individuelle pour plus de productivité est l’inévitable conséquence de cette orientation maladive de nos sociétés modernes.

Maintenant que des outils numériques d’interconnexion, et donc de contrôle en temps réel, existent à profusion, s’imagine-t-on qu’ils ne seront pas utilisés pour nous rendre tous encore plus esclaves de la méga-machine économique ?

Le 24/7 mauricien n’est-il pas d’essence américaine ? Le modèle yankee est devenu le modèle unique à suivre par toute la planète. Nous nous en inspirons chaque jour. Nous vivons dans l’espoir de lui ressembler de plus en plus. Et nous repoussons avec mépris toutes les critiques radicales qui ont été faites de ce modèle, par des Américains d’abord (Henry-David Thoreau publiant Walden en 1845, Charlie Chaplin jouant dans Les Temps modernes, Henry Miller écrivant Cauchemar climatisé, Theodor Kaczynski écrivant en prison où il est interné à vie L''''effondrement du système technologique, John Zerzan allant jusqu’à dire que toute la société industrielle devrait disparaître pour voir renaître une vraie liberté pour l’humanité, la seule liberté nous restant actuellement étant celle de choisir au supermarché entre le produit A et le produit B (voir le film Surplus où Zerzan est interviewé), mais aussi par des Européens comme Paul Lafargue, en 1880, avec son Droit à la paresse, Georges Orwell, bien sûr, avec 1984, Georges Bernanos avec La France contre les Robots ou le philosophe français Jacques Ellul, dont Le bluff technologique a été réédité tout récemment en poche). Et chez nous, c’est Malcolm de Chazal, notre pestiféré national, qui s’en est pris à toute cette modernité infernale.
Hélas, toutes ces critiques restent totalement incompréhensibles à nos penseurs (!) politiques, économiques, médiatiques, syndicaux et même religieux, toutes tendances confondues.

La vidéosurveillance prend de plus en plus d’ampleur dans les entreprises à Maurice. On se rapproche du flicage permanent ?

La vidéosurveillance dans les lieux de travail, quoi de mieux pour nous asservir à la productivité ! Mais pourquoi s’en plaindre aujourd’hui alors que depuis vingt ans on nous a abreuvés de discours productivistes ? La vidéosurveillance est anti-muda pour parler comme le JEC, il y a dix ans, lorsqu’il utilisait ce mot japonais pour nous inciter à la chasse à l’anti-productivité.

Que diriez-vous à un jeune idéaliste qui se définirait comme «anarcho-communiste» sur son profil Facebook ?

L’inter connectivité, à terme, éliminera nos dernières libertés et nous transformera en robots exécutants complètement manipulables. En cas de dysfonctionnement grave, l’élimination physique télécommandée sera autorisée. Aujourd’hui même, n’importe quel possesseur de téléphone portable peut être localisé par satellite et éliminé en faisant usage d’un missile téléguidé. Effets collatéraux importants mais pour les réduire à peu de choses, de nouveaux minuscules missiles, pas plus gros qu’un frelon sont actuellement testés et seront bientôt opérationnels. Magnifique progrès technologique !

D’un côté, l’offre du smartphone aux salariés pour qu’ils travaillent davantage et de l’autre la vidéosurveillance. La technologie informatique mène fatalement vers un univers orwellien ?

Avec les implants électroniques RFID que l’on rendra bientôt obligatoires (comme c’est déjà le cas pour beaucoup d’animaux), même plus besoin de téléphone portable. Nous serons tous sous surveillance satellite depuis le jour de notre naissance. Traçabilité 24/7, n’est-ce pas merveilleux ? Plus d’échappatoire ! Le cauchemar n’est plus seulement climatisé. Il est devenu panoptique et glaçant.

Un employeur a-t-il le droit de surveiller ce qu’un salarié dit sur lui sur Facebook et utiliser ces commentaires contre eux ?

Qui a lu, par ailleurs, les conditions d’utilisation du réseau social numérique Facebook avant de s’y inscrire ? Quasiment personne. Facebook signale pourtant que tout ce qui entrera comme informations sur son serveur lui appartiendra de facto. Facebook a vite compris le pactole financier que cela allait représenter. Facebook revend ainsi légalement tout le contenu des pages de ses abonnés à qui pourrait s’y intéresser. Notamment à des employeurs. Il paraît que cela se fait beaucoup dans les milieux bancaires. Pour quelques millions d’euros ou de dollars, les banquiers achètent les pages Facebook de leurs milliers d’employés.

Utiliser Facebook comme moyen de communication anti-système ne me paraît pas, dès lors, très judicieux. Pour vivre heureux, vivons caché et déconnecté.

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