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Interview

Bernard Yen, actuaire : « Enn pansion pa kapav kouma saler minimum. »

22 juin 2025, 10:00

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Bernard Yen, actuaire : « Enn pansion pa kapav kouma saler minimum. »

Pour commencer simplement : qu’est-ce que cette réforme de la pension à 65 ans ? En quoi consiste-t-elle concrètement ?

C'est un dernier pas vers une transition pour que l'âge national de la retraite atteigne 65 ans. De 2008 à 2018, il y a eu un mouvement dans ce sens. Avant 2008, on pouvait dire à une personne qu'elle avait atteint l'âge de 60 ans donc elle pouvait prendre sa retraite. Après 2018, à l’issue de cette période de transition, on ne peut plus dire cela à une personne qui a encore envie de travailler et qui ne veut pas prendre sa retraite à 60 ans. L'employeur ne peut pas lui dire de prendre sa retraite, car l'âge légal de la retraite est de 65 ans depuis 2018.

Pourquoi le gouvernement repousse-t-il l’âge de la Basic Retirement Pension de 60 à 65 ans ? Qu’est-ce qui a rendu cette réforme urgente aujourd’hui ?

Premièrement, d'une façon purement logique : si une personne a le droit de travailler jusqu'à l'âge de 65 ans, normalement c'est à l'âge de 65 ans qu'elle doit commencer à toucher sa retraite. Si, par exemple, son employeur lui donne un fonds de pension, elle prend sa retraite à 65 ans et perçoit sa pension à cet âge, que ce soit via son employeur ou via le National Pensions Fund (NPF). Mais la pension de vieillesse, elle, était déconnectée de cela. Elle restait toujours payable à 60 ans. Vous avez sûrement entendu beaucoup de personnes dire que ce n'est pas logique, et c'est vrai : une personne en bonne santé, qui travaille entre 60 et 65 ans, touche un salaire tout en bénéficiant du soutien de l'État à travers la pension de vieillesse, payable à 60 ans. Il fallait donc enlever cette anomalie. Cela se fait avec souplesse, comme cela avait été le cas de 2008 à 2018, sur cinq à dix ans. La réforme s’étalera ainsi jusqu’à ce que l’âge de 65 ans soit appliqué à tous en 2035.

Pourquoi ce report se fait-il de manière progressive ? Est-ce que c’est une façon d’atténuer le choc pour certaines personnes ?

Bien sûr, oui. On ne peut pas faire ce changement de 60 à 65 ans tout de suite, car certaines personnes allaient commencer à toucher la pension à 60 ans. Leur dire d'attendre encore cinq ans serait injuste. En fait, on ne sait pas si cela va débuter le 1er septembre ou le 1er janvier prochain. J'aime bien prendre l'exemple du 1er janvier car c'est plus simple à comprendre. Une personne qui aura 60 ans l'année prochaine allait toucher sa pension, mais là on lui dit d'attendre encore un an. Les personnes qui auront 60 ans en 2027 devront attendre deux ans de plus, donc elles toucheront la pension à 62 ans. Les personnes nées en 1970 auront la pension à 65 ans en 2035. Disons que si on l'avait fait sans transition, tout le monde aurait dû attendre 65 ans. Là, seuls les moins de 55 ans devront attendre cinq ans, tandis que les plus âgés attendront un peu moins : quatre ou trois ans.

Vous l'avez dit vous-même : c'était planifié de faire cette transition de 2008 à 2018, mais cela n’a pas été le cas. Ces années de retard ont-elles aggravé la situation ?

Oui, bien sûr. Si on l'avait déjà fait en 2018, on aurait économisé beaucoup d'argent et on n’aurait pas aujourd'hui environ 260 000 personnes de plus de 60 ans qui touchent cette pension. Seules 180 000 personnes de plus de 65 ans y auraient eu droit. Ces 80 000 personnes de 60 à 65 ans n’auraient pas été à la charge de l’État. En faisant le calcul, on aurait économisé un tiers de ce que l’on dépense aujourd'hui pour la pension de vieillesse. Aujourd'hui, on dépense environ 55 milliards de roupies par an, donc un tiers représente 18 milliards. On a fait des projections : si on applique la réforme maintenant, dans 10 ans, on économisera entre Rs 15 et 17 milliards par an.

Vous parlez souvent de « soutenabilité » du système de retraite. Qu’est-ce que cela veut dire, et pourquoi le système actuel était-il en danger ?

Aujourd'hui, on dépense Rs 55 milliards sur la pension de vieillesse. En ajoutant la pension d'invalidité ou de veuvage, le budget de la Sécurité sociale dépasse un tiers du budget national, soit Rs 90 milliards. C’est choquant quand on compare cela avec les autres postes budgétaires : on dépense Rs 20 milliards pour l’éducation ou la santé, environ Rs 10 milliards pour d’autres secteurs. Le poste « pension » est trop gros. Si l'âge de la pension avait déjà été fixé à 65 ans, on aurait pu économiser 20 milliards de roupies. Cet argent aurait pu servir à rembourser la dette, qui s’élève aujourd’hui à Rs 650 milliards. On paye Rs 20 milliards d’intérêts annuellement. Avec une population vieillissante et de moins en moins de jeunes pour financer le système, il deviendra insoutenable. Il faudra alors doubler nos taxes : imaginez la TVA à 30 %, l’impôt sur le revenu à 50 ou 60 %. Pourrons-nous vivre ainsi ? C’est pour cela qu’il faut agir maintenant.

Pour ceux qui ne connaissent pas : qu’est-ce que le système «pay-as-you-go» sur lequel est basée la BRP ? Et pourquoi ne suffit-il plus aujourd’hui ?

Le «pay-as-you-go» signifie qu’il n’y a aucun fonds. Dans les fonds de pension privés, il existe un fonds d’investissement. Les gens cotisent pendant qu’ils travaillent, et c’est ce fonds qui leur verse une pension à la retraite. Tandis que dans le système «pay-as-you-go», les contributions actuelles servent immédiatement à payer les retraités actuels. Il n’y a donc rien de mis de côté. Si la population restait stable, ce système fonctionnerait, comme c’est le cas dans certains pays développés. Mais l’espérance de vie a augmenté : on vit plus longtemps, donc le nombre de retraités augmente. En parallèle, la natalité baisse. Il y a donc de moins en moins de jeunes pour financer les pensions. Certains jeunes sont contre la réforme, car cela touche leurs proches ‒ leur mère, leur tante. Mais il faut penser à long terme. Aujourd’hui, trois personnes travaillent pour chaque retraité. Dans dix ans, ce sera 2,5 pour 1. Dans quarante ans, peut-être 1 pour 1. Cela signifie qu’il faudra tripler les impôts. Sans fonds, on demandera aux jeunes de payer trois fois plus. C’est mathématique.

Beaucoup de Mauriciens, surtout ceux proches de la retraite, se sentent trahis. Qu’avez-vous à leur dire ?

Je peux le comprendre, et c’est un peu malheureux. Mo pou dir li koumsa : nou pansion pou bann vie dimounn ti Rs 3 600 an 2014 ; zordi li Rs 15 000. Si ti ogmant avek linflasion, li ti pou Rs 5 500 zordi. Si la pension était aujourd’hui à Rs 5 500, ce qui serait raisonnable et abordable, est-ce qu’il y aurait eu autant de mécontentement ? Mo krwar pa. En 2000-2005, on avait tenté une réforme par ciblage : ceux qui gagnaient plus de Rs 20 000 ne touchaient pas la pension. Cela avait été mal accueilli. Le gouvernement actuel a choisi de repousser l’âge au lieu de cibler. À l’origine, la pension devait être un filet de sécurité.

Aujourd’hui, à Rs 15 000, c’est proche du salaire minimum. Où est l’incitation à travailler si la retraite rapporte autant ? C’était irresponsable d’aligner pension et salaire minimum. La Banque mondiale disait que la pension devait représenter 20 % du salaire moyen. Soit Rs 8 000. Si la pension était à Rs 5 500, les gens auraient accepté de patienter cinq ans. Mais à Rs 15 000, c’est devenu trop lourd à retirer. C’est comme donner une tablette à un enfant puis la lui reprendre. On aurait dû augmenter graduellement, pas exploser les montants, car aujourd’hui la dette est à Rs 650 milliards. Le gouvernement doit emprunter chaque année. Et plus on est mal noté, plus on paie d’intérêts. D’où l’enjeu du classement Moody’s.

Certains craignent que les plus vulnérables soient pénalisés. Est-ce qu’il y aura des mesures pour accompagner ceux qui comptaient sur la pension à 60 ans ?

C’est pour cela qu’il y a cette transition sur dix ans. En plus, le gouvernement a annoncé deux comités pour étudier les cas particuliers. J’espère qu’ils feront un bon travail. J’espère que ceux qui comptaient sur cette somme pourront bénéficier d’une aide.

Le terme NPF 2.0 : vous en pensez quoi ?

C’est une chose très importante, et je suis content qu’on en parle. Je travaille avec le groupe La Sentinelle, et je sais qu’il y a un fonds de pension pour les employés. Je conseille aux employeurs d’en créer un. Si l’État complète, tant mieux. Mais il faut que les employés aient leur propre pension via leur employeur. Dans la fonction publique, c’est déjà le cas. Aujourd’hui, il y a aussi le PRGF pour le secteur privé. Ceux qui n’ont pas de fonds doivent y cotiser. Il ne faut pas croire qu’en changeant la pension de vieillesse, tout s’écroule. Les autres systèmes existent et peuvent être améliorés. J’espère que le comité d’experts fera un bon travail. L’un des plus anciens fonds, le Sugar Industry Pension Fund, est un exemple.

Le risque maintenant, c’est que le gouvernement devienne impopulaire et que certains partis promettent de ramener la pension à 60 ans. Est-ce viable économiquement ?

C’est dommage que cela devienne politique. Je suis revenu à Maurice il y a 25 ans. J’ai toujours plaidé pour une réforme basée sur la consultation. C’est essentiel. Il faut sortir la pension de la politique. Sinon, tous les cinq ans, on change tout. 65 ans, puis 60, puis 62… Ce n’est pas sérieux. Un fonds de pension est une structure de long terme. Je suis désolé qu’on ait aboli la NPF en 2020. C’était un système perfectible, mais utile. Je n’ai jamais eu la chance de travailler sur le fonds national. On aurait pu le diversifier pour réduire la dépendance à la BRP, à la NPF ou à l’employeur.

En quelques mots, pourquoi cette réforme est-elle finalement une bonne chose pour le pays, malgré sa difficulté ?

Oui, c’est non seulement une bonne chose, mais on n’a pas le choix. La première année, on économisera 3 milliards, puis 9, puis 15 milliards. Mais attention à l’effet négatif de la hausse des taxes. Il ne faut pas faire fuir les contribuables. Maurice doit rester une juridiction à fiscalité raisonnable, pas comme des pays à 50-60 %. Autrefois, notre taxe était à 15 %, cela nous a aidés. Si on ne fait pas cette réforme, il faudra hausser les taxes et perdre en compétitivité. Or, notre économie dépend du tourisme, de la finance et un peu de l’immobilier. Sans cela, on ne pourra même plus importer de riz ou de farine. Nou bizin fer sa pou nou lekonomi vinn pli saine.

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