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CSG : quand la solidarité sociale finance les promesses électorales
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CSG : quand la solidarité sociale finance les promesses électorales

Présentée en 2020 comme une réforme de rupture destinée à moderniser le système de sécurité sociale, la Contribution Sociale Généralisée (CSG) avait pour ambition de renforcer la solidarité intergénérationnelle, de simplifier les prélèvements sociaux et d’élargir la couverture des protections sociales. Cinq ans plus tard, les chiffres officiels révèlent une tout autre réalité : un dispositif déséquilibré, détourné de ses objectifs initiaux, devenu un levier de financement de mesures électoralistes coûteuses.
Mardi dernier, en réponse à une question parlementaire de Kushal Lobine, le Premier ministre et ministre des Finances a dévoilé des données détaillées qui mettent en lumière les pressions croissantes sur le système. Entre l’exercice 2020/21 et avril 2025, la CSG a généré Rs 44,5 milliards de recettes (Voir tableau). Ces contributions proviennent majoritairement du secteur privé : les employeurs privés ont versé Rs 22 milliards (près de 50 % du total), les employés du privé Rs 10,9 milliards, contre seulement Rs 1,7 milliard pour les employés du secteur public et Rs 668 millions pour les travailleurs indépendants.
Une caisse parallèle
Mais au-delà de cette architecture inégalitaire, c’est surtout l’utilisation des fonds qui suscite les critiques les plus vives. Officiellement destinée à financer des prestations sociales contributives, la CSG est rapidement devenue une caisse parallèle utilisée pour honorer des engagements sociaux non contributifs, souvent dictés par des considérations politiques.
Sur les Rs 44,5 milliards collectés, Rs 34 milliards ont été consacrés à diverses allocations : Rs 20,7 milliards pour l’allocation de revenu (CSG Income Allowance), Rs 8,3 milliards pour les pensions de retraite, Rs 3,6 milliards pour les aides à l’éducation et à l’enfance, et le reste pour des prestations ciblées (invalidité, maternité, égalité des chances). À cela s’ajoutent Rs 10,6 milliards versés par l’État pour ses propres employés : Rs 9,2 milliards en cotisations et Rs 1,4 milliard en compensations pour neutraliser l’impact de la CSG sur les fonctionnaires. Des transferts internes qui n’améliorent pas réellement le pouvoir d’achat, mais qui alourdissent sensiblement la facture globale.
La trajectoire budgétaire de la CSG confirme une tendance préoccupante. Si les trois premiers exercices ont enregistré des excédents – Rs 3,8 milliards en 2020/21, Rs 6,4 milliards en 2021/22, et Rs 596 millions en 2022/23 – la situation s’est brusquement inversée. L’exercice 2023/24 a affiché un déficit de Rs 3,2 milliards, suivi d’un effondrement au cours des dix premiers mois de 2024/25, avec un déficit de Rs 7,7 milliards. Résultat : un solde cumulé désormais négatif de Rs 122 millions. La CSG, censée être auto-financée, est devenue structurellement déficitaire.
La principale cause de ce retournement ? L’allocation de revenu, une mesure non contributive introduite à titre temporaire après la crise sanitaire, mais depuis pérennisée et étendue au gré des annonces électorales. À elle seule, elle absorbe près de 47 % des dépenses du système. Sans fondement contributif ni droits acquis, elle a transformé la CSG en un outil de redistribution populiste, bien éloigné de sa vocation initiale. «L’ancien gouvernement a puisé des fonds de la CSG pour accorder une série d’allocations au cours du mois précédant les dernières élections, dans le but de séduire les électeurs», a accusé Navin Ramgoolam au Parlement.
L’ex-ministre des Finances a toujours justifié ces choix en soulignant que les allocations visaient à soutenir le pouvoir d’achat des plus vulnérables. Mais il n’a jamais précisé comment ces dépenses seraient pérennisées, ni s’il envisageait d’élargir la base des cotisants ou de revoir les taux. Il est également resté muet sur une question essentielle : la CSG peut-elle continuer à financer des politiques sociales sans réforme de fond, sans compromettre son équilibre financier ?
Pour Bernard Yen, actuaire et directeur général de AON Hewitt Mauritius, qui avait déjà exprimé des réserves sur la création de la CSG en remplacement du National Pension Fund en septembre 2020, le constat est sans appel : «Ce que le Premier ministre a dit n’a rien de surprenant. La CSG a cessé depuis longtemps d’être un véritable mécanisme de protection sociale. Elle est tout simplement devenue un impôt de plus. Un impôt que nous ne capitalisons jamais, que nous n’investissons pas intelligemment, mais que nous dépensons systématiquement.»
Dans un contexte de rétrécissement des marges de manœuvre budgétaires et de poids croissant du service de la dette, l’absence de stratégie à long terme est d’autant plus préoccupante. Elle laisse penser que la CSG a été détournée de son ambition initiale pour devenir une boîte noire budgétaire, mobilisée à des fins de clientélisme social.
Réflexion en profondeur
À l’approche du prochain Budget national, ces dérives appellent une réflexion en profondeur. Faut-il revoir les prestations pour les rendre plus ciblées ? Augmenter les taux de cotisation ? Intégrer les travailleurs informels ? Ou, plus radicalement, retirer les allocations non contributives du périmètre de la CSG pour les financer directement à travers le Budget de l’État, en toute transparence ? Ce sont là des interrogations que se posent de nombreux spécialistes.
Une chose est certaine : on ne peut pas prétendre bâtir une protection sociale durable sur des fondations aussi fragiles, opaques et politiquement instrumentalisées. La CSG, conçue comme un pilier de solidarité, risque de devenir le symbole d’un système à bout de souffle.
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