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Interview

Drishtysingh Ramdenee : «Une politique pro-croissance n’est pas incompatible avec des finances publiques saines»

28 mai 2025, 18:00

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Drishtysingh Ramdenee : «Une politique pro-croissance n’est pas incompatible avec des finances publiques saines»

Drishtysingh Ramdenee, secrétaire général de la MCCI.

Le secrétaire général de la Mauritius Chamber of Commerce and Industry (MCCI), Drishtysingh Ramdenee, situe la pertinence d’une Chambre de commerce dans un monde en pleine mutation. Il voit dans cette institution présente depuis 175 ans le besoin d’une voix forte et collective pour agir comme une boussole pour l’économie nationale. À la veille de l’exercice budgétaire 2025-26, le patron de la MCCI plaide pour une réindustrialisation du pays. Il se confie à «l’express».

🔵La MCCI célèbre ses 175 ans cette année. En quoi cette institution reste-telle pertinente face aux bouleversements économiques actuels ?

Quand on y réfléchit, en 1850, Maurice était une économie sucrière où les communications prenaient des mois. Aujourd’hui, nous naviguons dans l’intelligence artificielle (IA) et les transactions instantanées. Mais une chose fondamentale n’a pas changé : le besoin d’une voix collective forte pour le développement économique. Notre parcours a connu tellement d’événements majeurs – guerres, pandémies, crises économiques, cyclones. Chaque fois, l’institution s’est réinventée. C’est cette capacité d’adaptation qui fait notre force. Les entreprises ne prospèrent pas en isolation ; le progrès économique ne se fait pas par hasard – il faut des politiques intelligentes et une action coordonnée.

On peut dire que notre pertinence aujourd’hui se mesure par notre capacité à naviguer dans la complexité mondiale. Alors que les chaînes d’approvisionnement se réalignent et que le protectionnisme refait surface, nous servons de partenaire stratégique pour maintenir Maurice compétitive et connectée internationalement. Nous avons évolué au-delà de la plaidoirie traditionnelle. Nous nous positionnons comme partenaire du développement national, fournissant des services à haute valeur ajoutée. Tout en étant la plus vieille Chambre de commerce de l’hémisphère Sud, nous continuerons à façonner l’avenir de Maurice à travers des perspectives basées sur les données et des stratégies sectorielles ciblées.

🔵Le Conseil des ministres vient d’introduire un «maximum mark-up» sur plusieurs produits alimentaires de première nécessité. Le système de «maximum mark-up» est souvent critiqué tant par les opérateurs économiques que par certains consommateurs qui continuent de subir l’inflation. Que pensez-vous de l’efficacité de ce mécanisme ? Quelles alternatives proposez-vous pour à la fois protéger le pouvoir d’achat et préserver la liberté d’entreprendre ?

La position de la MCCI a toujours été claire : les forces du marché devraient déterminer les prix. Le contrôle des prix ne devrait être utilisé qu’en des circonstances exceptionnelles et temporairement. Après le Covid-19, le système de marge maximale a été étendu comme mesure exceptionnelle. Mais son application prolongée devient contre-productive. Le contrôle des prix à long terme déforme la dynamique du marché, réduit la concurrence et décourage l’efficacité. Les entreprises font face à des coûts opérationnels croissants mais ne peuvent ajuster leurs prix, ce qui limite leur capacité de réinvestissement pour bâtir la résilience en temps de délai d’approvisionnement et autres crises. Nous privilégions également le dialogue sur le sujet pour éviter des décisions non communiquées et unilatérales.

Maurice se trouve loin des marchés et des centres de production, ce qui met une pression additionnelle sur les coûts de logistique, de stockage et de conformité. Les investissements consentis sont plus importants, et une dynamique concurrentielle basée sur l’offre et la demande optimiserait les décisions d’investissement. L’approche plus durable que nous préconisons est de laisser la politique de concurrence déjà bien ancrée guider la dynamique des prix. Une concurrence saine reste le mécanisme le plus efficace pour assurer des prix abordables à long terme.

🔵À l’ère numérique et dans un monde post-pandémique, quel doit être le rôle fondamental d’une Chambre de commerce ?

La révolution numérique, les impératifs climatiques couplés aux séquelles de la pandémie ont complètement redéfini les opérations commerciales. Notre rôle, c’est surtout d’être un guide pour aider les entreprises à naviguer dans cette nouvelle normalité tout en anticipant les transformations futures. Cette mission s’articule autour de quatre axes. D’abord, allier tradition et innovation – 175 ans d’expérience mais toujours à la pointe technologique. Par exemple, la MCCI a initié la venue du premier système de codes-barres dans les années 90 à Maurice ou encore, a lancé la première tax-free app 100 % digitale d’Afrique, lancée en 2022.

Ensuite, démocratiser l’accès. N’importe quelle entreprise peut être entendue, de la multinationale à la petite et moyenne entreprise (PME). Le troisième axe, c’est la connexion locale et globale. Nos partenariats internationaux et nos Joint Business Councils donnent accès aux marchés mondiaux. Les outils modernes comme les certificats d’origine électronique et les carnets ATA (Admission temporaire) numériques facilitent ce commerce.

Enfin, anticiper l’avenir. Une Chambre moderne doit être agile, tournée vers l’avenir et de confiance. L’objectif est de rassembler les voix des entreprises de tous secteurs pour influencer les politiques de manière équilibrée et basée sur des données concrètes.

🔵Maurice fait face à d’importants défis en matière de main-d’œuvre qualifiée. Comment contribuer à améliorer notre compétitivité alors que nous peinons à attirer et à retenir les talents ?

Maurice fait face à une inadéquation continue entre les besoins du marché du travail et les talents disponibles, particulièrement dans les technologies de l’information et de la communication (TIC), la logistique et les services financiers. La MCCI a établi un Labour Committee dédié pour identifier les solutions pratiques. Une étude sera menée pour cartographier les déficits de compétences et évaluer les besoins de formation sectoriels. Il faut des données précises pour agir efficacement.

Dans notre mémoire budgétaire 2025-26, nous avons plaidé pour une stratégie nationale du capital humain ancrée dans les besoins du secteur privé. Les mesures immédiates proposées portent sur une simplification des permis de travail et d’Occupation Permit, révision des quotas pour travailleurs étrangers ainsi que l’introduction d’un régime d’expert familial pour attirer les talents mondiaux.

🔵Les entreprises se plaignent d’un manque de prévisibilité réglementaire, ce qui complique leur stratégie. Comment la MCCI défend-elle les intérêts de ses membres face à ces changements parfois soudains ? Quelles sont vos demandes concrètes au gouvernement pour améliorer la stabilité et la transparence du cadre réglementaire ?

Nous adoptons une approche proactive et structurée, et menons des consultations étendues avec nos membres à travers des commissions établies pour que les positions reflètent les réalités du terrain. Nous participons également aux consultations sur les réglementations alimentaires 2024, la loi de protection de l’environnement, les Réglementations sur le plastique, l’e-Commerce, parmi bien d’autres. Ces engagements permettent d’aligner les réglementations avec la faisabilité opérationnelle.

Les changements soudains peuvent perturber les opérations et saper la confiance des investisseurs. Ceci dit, la MCCI appuie fortement les démarches du gouvernement de moderniser nos lois et réglementations dans un souci de faire croître notre compétitivité et efficience. Nous plaidons pour un Regulatory Impact Assessment comme pratique standard, garantissant une consultation transparente avec toutes les parties. Il est important de trouver un équilibre entre modernisation nécessaire et prévisibilité pour les entreprises.

🔵Le prochain Budget sera présenté dans une semaine. Quelles sont les mesures proposées par la MCCI ?

Le contexte est certes complexe. L’incertitude domine les perspectives mondiales. Le Fonds monétaire international (FMI) projette une croissance mondiale de 2,8 % en 2025, bien en dessous de la moyenne pré-pandémique de 3,7 %. La Banque centrale prévoit 3,0 % à 3,5 % pour Maurice – c’est prudent mais réaliste. Notre mémoire budgétaire est ancré sur quatre piliers stratégiques : une stratégie de réindustrialisation complète, le renforcement de la diplomatie économique, la consolidation des exportations et la création d’un environnement des affaires propice.

Les facteurs habilitants sont cruciaux : une stratégie de développement du capital humain, l’amélioration de l’efficacité portuaire et l’expansion de la connectivité numérique. Concrètement, la Chambre demande des mesures décisives de stimulation de l’investissement, particulièrement dans les services, un soutien ciblé aux PME, et des réformes pour améliorer la collaboration publicprivé et supprimer les obstacles bureaucratiques.

🔵Donald Trump a déjà annoncé d’importantes hausses tarifaires sur les importations. Quelles seraient les conséquences directes pour Maurice et comment la MCCI se prépare-t-elle à accompagner les entreprises ?

Maurice bénéficie d’un accès préférentiel au marché américain via l’African Growth and Opportunity Act – 10 % de nos exportations y sont destinés. Si elles sont appliquées, ces hausses tarifaires réduiront notre compétitivité et impacteront les revenus d’exportation. La MCCI a soumis ses recommandations aux autorités pour appuyer notre propre démarche à travers notre lobbyiste de la Coalition africaine pour le commerce, dont nous sommes membre, pour trouver des solutions pérennes et positives pour notre secteur des exportations vis-à-vis du marché américain.

Aussi, nous nous réjouissons de nos échanges avec les autorités lors des réunions et appuyons une démarche collaborative. D’où l’organisation de réunions consultatives avec nos partenaires – Business Mauritius, la Mauritius Export Association, le Mauritius Sugar Syndicate et les principales entreprises exportatrices. Les conclusions ont été transmises aux ministères concernés, appelant à intensifier l’engagement diplomatique et à élaborer un plan de contingence.

Nous travaillons également à travers les réseaux régionaux et internationaux – Common Market for Eastern and Southern Africa (COMESA) Business Council, International Chamber of Commerce – pour appuyer une cause commune à Maurice soutenue par une démarche de plusieurs pays.

🔵Face à ces barrières commerciales croissantes, quelle stratégie la MCCI recommande-t-elle pour aider les entreprises à diversifier leurs marchés d’exportation ? Quelles sont les régions qui offrent les meilleures alternatives ?

La diversification des marchés est devenue un impératif national, d’où le besoin de la Chambre d’accompagner ses membres vers un accès durable à de nouveaux marchés.

Nous avons créé une commission dédiée aux accords de libre-échange et elle analyse les développements commerciaux et conseille sur l’optimisation des accords existants : African Continental Free Trade Area (AfCFTA), COMESA, Southern African Development Community (SADC), Mauritius-China Free Trade Agreement (FTA), Comprehensive Economic Cooperation and Partnership Agreement (CECPA) Maurice-Inde.

La publication MCCI Export Insights fournit des données granulaires sur les tendances de demande et la compétitivité des produits, aidant les entreprises à identifier les secteurs et régions à fort potentiel. L’approche est basée sur des données concrètes.

🔵Entre les avertissements de Moody’s, les recommandations du FMI et la dette nationale, quelle est la marge de manœuvre réelle du gouvernement pour ce Budget ? La MCCI proposet-elle des compromis entre discipline budgétaire et mesures de relance ?

Maurice navigue effectivement dans un paysage délicat : dette publique élevée, espace budgétaire limité, observés par Moody’s et le FMI. Nous proposons des compromis pragmatiques qui incluent des incitations d’investissement ciblées dans les énergies renouvelables et la technologie, des partenariats public-privé pour financer des projets infrastructurels avec l’apport financier du privé, une rationalisation des dépenses publiques via la numérisation, un soutien structuré aux PME ainsi qu’une évaluation continue des performances des budgets alloués.

La MCCI soutiendra aussi une diplomatie économique renforcée pour ouvrir de nouveaux flux de revenus. Les politiques pro-croissance ne sont pas incompatibles avec des finances publiques saines, surtout avec des réformes structurelles qui stimulent la productivité.

🔵Maurice a perdu des places dans plusieurs classements internationaux sur la facilité de faire des affaires. Quels ont été les obstacles majeurs et quelles solutions proposez-vous ?

Les consultations révèlent trois obstacles majeurs qui freinent notre compétitivité. Le premier, c’est l’augmentation des coûts opérationnels. Les entreprises de tous secteurs luttent avec la hausse des coûts de main-d’œuvre, d’électricité, de logistique. Ces pressions érodent la compétitivité et découragent l’investissement. Les mesures visant à atténuer des coûts sont nécessaires, surtout pour les PME et les entreprises orientées vers l’exportation, avec des incitations dans les secteurs prioritaires comme les services et l’énergie verte.

Deuxièmement, il y a un besoin de rendre plus efficace notre système de licensing. Les décisions d’investissement sont des fois retardées pour plusieurs raisons. Ces facteurs risquent d’affaiblir la confiance des investisseurs. La solution serait de réformer l’efficacité du secteur public avec des mécanismes de voie rapide, des délais de décision clairs et des interfaces numérisées. Une agence centralisée de facilitation des investissements rationaliserait les approbations.

Enfin, l’environnement réglementaire reste imprévisible. Les changements soudains de réglementation, dans le passé, souvent sans consultation, créent de l’incertitude et perturbent la planification des affaires. Il faut institutionnaliser les évaluations d’impact réglementaire et renforcer le dialogue publicprivé à travers des consultations structurées.

🔵Face aux défis climatiques, comment accompagnez-vous les entreprises dans leur transition écologique ? Avez-vous des objectifs mesurables ?

La transition verte est un changement économique stratégique et une responsabilité collective. La MCCI siège au comité directeur national sur l’économie circulaire, contribuant la voix du secteur privé à l’orientation politique. L’institution héberge un sous-comité sur les plastiques qui se réunit régulièrement pour aborder les défis réglementaires et concevoir des stratégies sectorielles de réduction des déchets plastiques. C’est du travail concret, pas juste des déclarations.

Dans notre mémoire budgétaire, des incitations concrètes sont proposées pour l’adoption d’énergies renouvelables, l’emballage durable et les initiatives d’économie circulaire. Il faut que les mesures soient incitatives, pas punitives.

🔵Malgré les discours répétés sur la diversification, l’économie mauricienne reste très largement dépendante de quelques secteurs. Quels sont les nouveaux secteurs porteurs pour l’avenir du pays et comment comptezvous vous y prendre pour catalyser leur développement ?

La MCCI a identifié cinq secteurs à fort potentiel de développement. En premier, le bio-pharma – intégrant santé, biotechnologie et pharmaceutique. Maurice abrite plus de 120 espèces aux propriétés bioactives selon l’Economic Development Board. Ensuite, l’économie bleue avec l’aquaculture marine, les énergies océaniques et la biotechnologie marine. Le potentiel reste peu exploité malgré notre statut insulaire. Il y a les nutraceutiques combinant à la fois alimentation, santé, durabilité avec un fort potentiel d’exportation. Aussi, nous avons identifié l’économie numérique et l’IA pour stimuler la productivité et l’innovation, positionnant Maurice comme hub technologique régional. Enfin, les biens de luxe comprenant le textile, la bijouterie, les produits lifestyle, en s’appuyant sur notre réputation de qualité.

Ces secteurs ont du potentiel mais nécessitent des investissements soutenus en recherches et développement, formation et accès aux marchés.

🔵Comment contribuez-vous concrètement à renforcer l’intégration économique régionale et quelles sont les principales contraintes à surmonter ?

La MCCI maintient des partenariats avec des organismes régionaux clés, facilitant dialogue et collaboration entre entreprises mauriciennes et leurs homologues africains, asiatiques et européens. Elle plaide pour des procédures commerciales rationalisées, des standards harmonisés et une infrastructure améliorée. Elle propose l’utilisation des accords régionaux comme la SADC, l’AfCFTA et le COMESA, des outils qui existent et qu’il faut utiliser.

Cependant, le principal reste la connectivité maritime et aérienne vers l’Afrique, impactant sur la logistique et augmentant les coûts de transport. Résoudre ces problématiques de connectivité est crucial pour améliorer les liens commerciaux régionaux. Sans connectivité physique efficace, l’intégration économique reste limitée.

🔵Si nous nous projetons 25 ans dans l’avenir, quelle île Maurice imaginezvous et quel rôle la MCCI aura-t-elle joué dans cette évolution ?

Maurice doit émerger comme une économie résiliente, diversifiée et axée sur l’innovation – globalement compétitive, socialement inclusive, environnementalement durable. C’est ambitieux mais nécessaire. Nous continuerons à être à l’avant-garde de cette transformation, plaidant pour un climat des affaires progressiste, renforçant les partenariats public-privé, défendant la diversification économique et la numérisation.

L’île future sera un hub stratégique attirant des investissements de qualité, nourrissant les talents, embrassant les technologies de pointe, menant la transition régionale vers une économie verte. C’est cette vision qui guide l’action. Cette transformation repose sur la capacité à surmonter les défis : développement des compétences, stabilité réglementaire, modernisation de l’infrastructure, adaptation climatique. La MCCI s’engage à conduire les réformes nécessaires pour libérer le plein potentiel du pays. Il faut passer de la vision à l’action concrète.

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